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Souffrance et supplice des femmes violées
(fin août 1944)
Présentation
Alain Giévis

Fallait-il ou ne fallait-il pas publier ces documents ?

Nous avons largement débattu, dans l'introduction générale à ce tome II (1), de la question du caractère historique des témoignages et des rapports administratifs.

Henri Amouroux, dont les ouvrages abondent de témoignages uniques, ne croit pas que « l'émotion [peut] naître des rapports officiels (2) » ; difficile de lui donner tort lorsqu'un compte rendu se contente d'énumérer et de comptabiliser des viols. Écrire que dans le département de l'Indre furent enregistrés cinquante ou cent viols ne donne aucune idée au lecteur de l'ampleur de ce drame humain et du traumatisme subi par ces jeunes filles et ces femmes.

Le drame récent de l'ancienne Yougoslavie a rappelé, brutalement aux Français, les réalités atroces de la guerre ; le calvaire de plusieurs centaines de femmes violées fait partie de cette longue litanie de cruautés auxquelles se livre impitoyablement la soldatesque, en dépit des lois de la guerre. Le pouvoir émotionnel de l'image, propre aux supports modernes de l'information, a sensibilisé la plupart des Européens à cette question des viols collectifs. Mais pour témoigner de la détresse des jeunes femmes violées par les soldats allemands et « hindous » durant l'été 1944 dans le département de l'Indre , nous n'avons à notre disposition ni reportages filmés ni longs entretiens reproduits dans la presse de l'époque. D'autant que les mentalités de ce temps, par rapport à la question du viol, étaient différentes de celles d'aujourd'hui. Qui pouvaient écouter et recueillir le récit des souffrances de ces femmes ? Les membres de la famille ? Le médecin ? Le prêtre ? Le gendarme ?

Les archives conservent les procès-verbaux des dépositions de ces femmes éprouvées (3) ; leur lecture est bouleversante et infirme totalement l'assertion d'Henri Amouroux. Publier ces rapports est une façon, pour nous, de saluer la mémoire de ces femmes à jamais marquées dans leur chair ; fillettes, jeunes filles, femmes pour qui aucune plaque commémorative ne rappelle ce que furent leur souffrance et leur supplice.

Notes et glose sont ici totalement inutiles.

Nous avons volontairement caviardé à la fois les noms des personnes et les noms de lieux ; il était hors de question de briser l'anonymat de familles déjà suffisamment accablées. Ces documents ont valeur d'exemple quels que soient le lieu et l'époque.

(1) « Peut-on et doit-on tout publier ? - Quels documents pour quelle histoire ? », voir p. 4-8.

(2) AMOUROUX (Henri), La grande histoire des Français sous l'occupation, tome 8, Joies et douleurs du peuple libérée, 6 juin-1er septempbre 1944, Paris, Éditions Robert Laffont, 1988, p. 13.

(3) Archives départementales de l'Indre, R 1071.

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Gendarmerie nationale

12e Légion

Compagnie de l'Indre

Section de X...

Brigade de Y...

N° de la brigade 402

du 3 octobre 1944

Procès-verbal constatant

le viol par trois soldats allemands de Mademoiselle X...

rue Y... à Z... (Indre)

1re expédition

Vu et transmis par le Commandant de Compagnie

à Monsieur le Préfet de l'Indre

à Châteauroux

le [...] octobre 1944 [pas de date]

Ce jourd'hui trois octobre mil neuf cent quarante quatre à huit heures

Nous, soussignés D... R.

et F... C.

gendarmes à la résidence de Y... département de l'Indre, revêtus de notre uniforme et conformément aux ordres de nos chefs, en visite dans la commune de Z... (Indre), avons effectué une enquête rapportant les circonstances du viol de Mademoiselle X..., demeurant à Z..., par trois soldats allemands.

Avons reçu les déclarations suivantes :

1° De Mademoiselle X... 17 ans, chemisière, domiciliée chez ses parents à Z..., rue Y...

« Le 29 août 1944, vers 19 heures 30, une colonne allemande composée de troupes d'origine hindoue et d'Allemands s'immobilisa dans notre commune vraisemblablement pour y passer la nuit. Dès leur arrivée, ils visitèrent divers domiciles. Vers 21 heures 30, deux soldats se présentèrent à la porte de notre maison et pénétrèrent à l'intérieur de notre domicile en nous maintenant sous la menace de leurs armes. À l'instant où ces soldats pénétrèrent dans notre maison, je me trouvais dans mon lit. Dès leur entrée, un soldat se dirigea vers la cuisine où il s'assit, l'autre demeura dans la chambre où j'étais couchée. Après avoir discuté avec son camarade, il ferma la porte de communication de la cuisine à la chambre à coucher, puis il éteignit l'électricité de la chambre. Pendant tout ce temps, je suis restée dans mon lit. Une fois la lumière éteinte, j'entendis ce soldat déboucler son ceinturon et se déhabiller, il ne conserva sur lui qu'une chemise. Il s'est avancé doucement près de mon lit. À cet instant, comprenant la menace qui pesait sur moi, je me suis levée pour aller me réfugier dans la cuisine où se trouvaient mon père et ma mère qui étaient en train de parlementer avec deux autres soldats, car entre temps, un autre soldat allemand, passant par la porte de la cour, avait pénétré dans la maison pour se faire cuire des oeufs.

Arrivée dans la cuisine, je me suis mise à crier mais les soldats expliquèrent que si je ne me laissais pas faire, ils tueraient tout le monde en jetant une grenade dans la maison. Pendant ce temps, ma mère habilla mes deux petites soeurs et mon petit frère qu'elle emmena chez mon beau-frère [sic], Monsieur Y..., où ils passèrent la nuit.

Lorsque je me suis couchée, je ne m'étais pas déshabillée car nous avions la crainte d'avoir la visite des soldats qui se promenaient dans le bourg. Pendant la discussion qui s'éleva entre mes parents et les deux soldats qui se trouvaient dans la cuisine, celui qui s'était déshabillé dans la chambre se revêtit de son pantalon.

Un des soldats demeuré dans la cuisine m'obligea à passer dans la chambre à coucher où son camarade à demi vêtu m'attendait, à cet instant la lumière de ma chambre était allumée. Une fois dans la chambre, il m'obligea à me déshabiller et trouvant que je n'allais pas assez vite, il tira sur mes effets. Je n'ai conservé sur moi que mon soutien-gorge. Il m'obligea alors à me coucher sur le lit. Il avait entre temps quitté à nouveau son pantalon. Il se dirigea vers le lit et se coucha sur moi. À ce moment, je me défendis et il ne put réussir à me pénétrer. Il ne fit qu'effleurer mes organes génitaux. Après plusieurs tentatives qui demeurèrent vaines, il se retira et se rhabilla. Aussitôt, je me suis levée et j'ai passé sur moi une blouse, je me suis ensuite dirigée vers la cuisine.

À cet instant, des coups furent frappés à la porte d'entrée donnant dans la chambre à coucher, mais personne ne répondant, les bruits cessèrent et les soldats partirent. Je me suis réfugiée dans l'arrière-cuisine où je suis restée quelques instants.

Le soldat allemand qui était resté dans la cuisine avec l'Hindou vint me chercher. Cet Hindou sortit un billet de mille francs qu'il me força à prendre dans la main en me faisant comprendre qu'il me donnait cette somme pour coucher avec moi. Vue ma résistance, il sortit son revolver et sous menace m'obligea à repasser dans la chambre. Il referma la porte sur nous et commença à se déhabiller pour ne garder sur lui que sa chemise. Quant à moi, j'ai conservé ma blouse. Il se coucha sur moi et à chaque fois que je me reculais, il me donnait un coup de poing dans les côtes. Il réussit à me pénétrer en me faisant beaucoup de mal. Tout ceci se fit en un temps très réduit, environ cinq minutes. Aussitôt après il se rhabilla et m'obligea à l'attendre pour revenir ensemble dans la cuisine.

Après quelques instants, le premier soldat allemand que j'avais dû subir ainsi que l'Hindou quittèrent la maison. Seul demeura celui qui était venu pour faire cuire ses oeufs. Ma mère lui demanda la permission de me faire quitter la maison car elle craignait que d'autres soldats renseignés par ceux qui venaient de partir ne viennent à la maison. Je me rendis chez monsieur X... garde champêtre de la commune, mon voisin.

Une dizaine de minutes après mon arrivée ma mère vint me chercher en me disant qu'il fallait que je revienne car le soldat demeuré à notre domicile désirait que je vienne boire un verre de vin avec lui. Après m'avoir fait boire et fumer, il obligea mes parents à passer dans la chambre à coucher. Je suis donc demeurée seule avec lui dans la cuisine. Il éteignit la lumière et se dirigea dans l'arrière cuisine où il but et fuma en ma compagnie. Il discuta un long moment avec moi mais je ne pouvais comprendre exactement ce qu'il disait. Il se déshabilla et ne garda que sa chemise. Il approcha sa chaise de la mienne et tenta dans cette position de me pénétrer, n'y réussissant pas, il me fit coucher sur le carrelage. Il se coucha sur moi mais ne put réussir à me pénétrer totalement, cependant il me fit du mal et pour faire cesser ma résistance, il me donna lui aussi des coups de poing. Il se rhabilla [sic] mais ne voulait pas quitter la maison, prétextant qu'il voulait y passer la nuit.

Cependant vers 0 heure 30, il consentit à partir. J'ai appelé ma mère qui l'accompagna jusqu'à la porte d'entrée. Entre temps, il m'avait offert la somme de 200 francs que j'ai dû accepter de force.

Après son départ aucun autre soldat ne s'est présenté à la maison.

Après avoir pris les soins d'hygiène nécessaires pour éviter toutes suites, je suis partie en compagnie de mes parents me coucher dans le grenier situé au-dessus de notre maison.

Le lendemain, ma mère alla voir le docteur du maquis de X... stationné dans la ferme dite « La F... ». Ce dernier dont j'ignore le nom donna à ma mère un désinfectant dont je fis usage.

Le dimanche 3 septembre 1944, je fus visitée par ce même docteur qui constata des mâchures dans mes organes génitaux. Il me conseilla de prendre des soins particuliers pour empêcher l'infection en cas d'une maladie vénérienne.

Je ne me suis pas fait délivrer de certificat par ce docteur.

Depuis sa visite, je n'ai ressenti aucun malaise et rien ne me laisse supposer de suites graves de ces actes.

Je ne puis vous fournir aucun renseignement sur le nom, l'unité ou l'arme auxquels appartenaient ces soldats. Ils quittèrent le pays le lendemain dans la journée pour se rendre à Châteauroux.

Lecture faite, persiste et signe.

2° De Monsieur X..., 44 ans, charpentier demeurant à Z..., rue Y... :

« Le 29 août 1944, vers 21 heures 30, des soldats allemands au nombre de deux se présentèrent à mon domicile et pénétrèrent dans ma maison sous la menace de leurs armes. Ma fille, S âgée de 17 ans, se trouvait couchée toute habillée dans notre chambre ainsi que ses deux petites soeurs âgées respectivement de 13 et 9 ans et de son petit frère âgé de trois ans.

Aussitôt rentrés un des soldats demeura dans la chambre à coucher et l'autre vint s'asseoir dans la cuisine. Quelques instants après ma fille S vint se réfugier dans la cuisine suivie du soldat qui s'était entre temps en partie déshabillé. Ils firent comprendre à ma fille qu'ils désiraient coucher avec elle et qu'en cas de refus ils nous tueraient tous. Ma femme leur fit comprendre qu'elle désirait emmener nos trois enfants demeurés dans la chambre à coucher. Elle les habilla et alla les conduire chez mon beau-frère demeurant en vis-à-vis. Malgré nos tentatives pour éviter à notre fille de subir ces individus, nous n'avons pu les dissuader d'exécuter leur acte. Sous la menace du revolver ma fille S dut passer dans la chambre à coucher pour subir un premier soldat. Quelques instants après elle était à nouveau avec nous. Des coups furent frappés à notre porte mais n'ayant pas de réponse ces coups cessèrent et les soldats poursuivirent leur route dans la nuit.

Ma fille vêtue d'une blouse s'était dirigée dans l'arrière-cuisine.

Pendant que ma fille subissait le premier individu, un autre soldat s'était présenté à la maison pour se faire cuire des oeufs. Il alla chercher ma fille dans l'arrière-cuisine et l'obligea à passer dans la chambre à coucher avec le soldat hindou qui était assis près de nous. Ce dernier obligea ma fille à accepter un billet de mille francs. Peu de temps après ma fille était de nouveau de retour à la cuisine.

Les deux soldats satisfaits quittèrent notre maison. Alors ma femme demanda à celui qui restait la permission de faire partir [ma fille] chez un voisin par crainte de l'arrivée d'autres soldats. Ma fille se réfugia chez monsieur X..., notre voisin.

Le soldat allemand qui était resté demanda à ma femme d'aller rechercher ma fille soi-disant pour boire un verre de vin.

À son arrivée, il nous fit passer dans la chambre à coucher et ma fille demeura avec ce dernier dans la cuisine. Nous sommes restés dans la chambre jusqu'à près de 0 heure 30. À ce moment l'Allemand seulement quitta la maison accompagné de ma femme. Avant son départ, il avait offert à ma fille la somme de 200 francs.

Aussitôt le départ du dernier Allemand, nous avons brûlé le billet de 1000 francs ainsi que les deux billets de 100 francs.

Craignant le retour de ces individus nous sommes allés nous coucher dans le grenier.

Aucun Allemand ne s'est présenté à notre domicile pendant le reste de la nuit.

Ma femme s'est rendue le lendemain au lieu dit « La F... » pour voir le médecin du maquis de X... Ma fille fut visitée par ce dernier le dimanche 3 septembre. Jusqu'à ce jour ma fille ne s'est pas plainte de douleurs et tout semble normal.

Je ne puis vous donner aucun renseignement sur le régiment ou l'unité ou l'arme auxquels appartenaient ces trois soldats. »

Lecture faite, persiste et signe.

3° De Madame X..., née Y..., 37 ans, sans profession, demeurant à Z..., rue Y...

« Le 29 août 1944, vers 21 heures 30, deux soldats allemands se présentèrent à notre domicile. Ils forcèrent l'entrée de notre porte sous la menace de leurs armes.

Ma fille S, âgée de 17 ans, était à cet instant couchée toute habillée dans notre chambre ainsi que mes deux autres filles et mon fils. Un des soldats demeura dans la chambre où se trouvait ma fille, l'autre vint dans la cuisine. Quelques instants après, ma fille se réfugia auprès de nous dans la cuisine. À ce moment, les soldats nous firent comprendre qu'ils voulaient coucher avec ma fille ou bien qu'ils nous tueraient tous.

Je leur ai demandé l'autorisation d'emmener mes trois petits enfants hors de la maison. Je les ai conduits chez monsieur Y... notre beau-frère.

J'ai fait tout ce qu'il était possible de faire pour dissuader ces soldats d'accomplir leur acte. Malgré mes supplications ils obligèrent ma fille à passer dans la chambre. Quelques instants après, ma fille était à nouveau de retour dans la cuisine. Des coups furent frappés à la porte d'entrée ; restant sans réponse, ils cessèrent et les soldats continuèrent leur chemin.

Ma fille s'était blottie dans l'arrière-cuisine. Un des soldats alla la chercher et elle dut à nouveau par contrainte passer dans la chambre avec un Hindou.

Dès qu'ils furent de retour les deux soldats satisfaits quittèrent la maison. Craignant l'arrivée d'autres soldats, j'ai demandé à celui qui se trouvait encore à la maison la permission d'emmener ma fille chez un voisin. Je la conduisis chez monsieur X..., garde-champêtre de notre commune. Cependant quelques minutes après il me demanda d'aller chercher « Mademoiselle » pour boire un verre de vin avec lui.

À son retour, il nous fit passer, mon mari et moi, dans la chambre à coucher et demeura seul dans la cuisine avec ma fille.

En rentrant dans la chambre, j'ai constaté sur les draps du lit qui était défait, les couvertures ayant été rejetées, les traces de sperme.

Vers 0 heure 30, le soldat qui était demeuré dans la cuisine avec ma fille se décida à quitter la maison. Je le reconduisis pour fermer la porte derrière lui.

À mon retour, j'ai fait prendre à ma fille les soins d'hygiène nécessaires et le lendemain, je me suis rendue à « La F... » pour voir le docteur du maquis de X... Ce dernier me procura des désinfectants. Il vint à la maison le dimanche 3 septembre 1944 pour examiner ma fille et constata des mâchures dans ses organes génitaux.

Depuis ce jour ma fille ne s'est pas plainte de douleurs internes et je crois qu'il n'y aura pas de suites.

Je ne puis vous fournir aucun renseignement qui puisse vous permettre de retrouver ces individus.

4° De Monsieur X..., 64 ans, garde-champêtre de la commune de Z...

« Le 29 août 1944, vers 22 heures 30, Mademoiselle X..., vint se réfugier à mon domicile ; elle me dit qu'elle avait peur mais ne m'a pas causé des violences qu'elle avait déjà subies.

Peu de temps après son arrivée sa mère vint la chercher disant que l'Allemand qui était encore présent à leur domicile la demandait pour venir boire avec lui. Elle est repartie et je ne l'ai pas revue de la soirée.

Je ne puis vous donner aucun renseignement complémentaire à ce sujet. Cependant, j'ai appris le lendemain que Mademoiselle X... avait été violée par trois soldats allemands. »

Lecture fait, persiste et signe.

5° De Monsieur Y..., 61 ans, cultivateur demeurant à Z..., rue Y...

« Le 29 août 1944, j'ai aperçu vers 18 heures, Mademoiselle X... qui revenait de chercher du lait. Je ne l'ai pas vue ressortir après. Vers 19 heures, un convoi allemand s'immobilisa sur la place X... Aussitôt je me suis réfugié à mon domicile.

Vers 21 heures 30, j'ai entendu les Allemands frapper à la porte de Madame X... Ils ouvrirent eux-mêmes la porte. Un moment après les trois petits enfants âgés de 13, 9 et 3 ans sont venus en courant se réfugier à mon domicile. Je les ai gardés près de moi jusqu'au lendemain matin.

J'ignorais totalement ce qui se passait dans la maison de mon beau-frère.

Je ne puis vous donner aucun autre renseignement et j'ignore à quel régiment et à quelle arme appartenaient ces soldats. Je sais cependant qu'il y avait deux Allemands et un Hindou au domicile de Monsieur X...

Ce n'est que le lendemain que j'ai appris par ma belle-soeur les violences dont fut victime la petite S [Mlle X...]. »

Lecture fait, persiste et signe.

6° De Monsieur Y..., 54 ans, receveur buraliste, président du Comité de Libération de la commune de Z... :

« J'ai appris par la rumeur publique que Mademoiselle X... avait subi des violences de la part de soldats allemands qui occupèrent la commune le 29 août vers 19 heures 30.

À ma connaissance, aucune plainte n'a été portée à la mairie. Le docteur du maquis de X... est venu il y a environ quinze jours pour me demander le nom de Mademoiselle X... ainsi que celui de Madame Z...

Je ne puis vous fournir aucun renseignement sur les unités qui stationnèrent dans notre commune le dit jour.

Ces soldats quittèrent le bourg vers 18 heures le lendemain pour se rendre vraisemblablement à Châteauroux. »

Lecture fait, persiste et signe.

Poursuivant notre enquête, nous nous sommes rendus au lieu dit « La F... » pour audition du docteur du maquis de X.... Ce dernier n'étant pas présent, nous avons reçu la déclaration suivante :

De l'Adjudant Y... du maquis de X... stationné à « La F... ».

« Je sais qu'après le passage des troupes allemandes le docteur X... de notre groupe a été visiter à Z... des femmes violées en particulier Mademoiselle X...

Depuis près de quinze jours, le docteur X... a quitté notre groupe et je ne puis vous fournir aucun renseignement sur l'endroit où il pourrait se trouver actuellement. »

Lecture fait, persiste et signe.

Malgré les recherches effectuées, nous n'avons pu déterminer l'unité, l'arme auxquelles appartenaient les trois soldats auteurs des violences exercées sur Mademoiselle X...

Dressé en quatre expéditions destinées : la première par (V.H.) à Monsieur le Préfet de l'Indre à Châteauroux, la deuxième à Monsieur le Procureur de la République à Châteauroux, la troisième à Monsieur le Maire de Vendoeuvres, la quatrième aux Archives.

Fait et clos à S, les jours, mois et an que d'autre part [S].

(signature des deux gendarmes)

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*****

Châteauroux le 12 octobre 1944

22 avenue de Déols

COMITE DE LIAISON des SERVICES SOCIAUX DE L'INDRE

Téléphone : 14-05

C.C. Postaux : Limoges 504-38

Enquête du 4 octobre 1944

à

X... et Y...

STRICTEMENT CONFIDENTIELLE

X... [nom de la commune]

Personnalités rencontrées :

- le docteur X..., maire de la commune jusqu'à ces derniers jours ;

- monsieur le curé ;

- le docteur Y..., réfugié de Strasbourg ;

- M. Z..., maire actuel et son secrétaire.

Femmes visitées :

- Mme Y..., conversation avec l'intéressée ;

- Mlle X..., conversation avec Mme X..., mère de la jeune fille.

Madame Y..., seule chez elle, son mari étant absent pour la journée, s'est trouvée entourée de trois Hindous.

Mme Y... est une femme de 40 ans, mariée depuis 19 ans, et sans enfant. Sympathique, avenante, son intérieur est parfaitement tenu au point de vue ordre et propreté. Son mari est employé sur place au compte des mines du Nord qui se procurent dans la région les étais de galeries de mines.

Cette femme a été terrorisée par ces trois hommes. Sans défense, elle a dû subir le chef et ses deux hommes.

Aussitôt leur départ, elle n'a pu faire qu'une désinfection externe, et n'a eu d'injection désinfectante que trois jours après. Elle a été choquée psychiquement.

Elle doit aller voir le docteur X..., son médecin traitant.

Mlle X..., 16 ans 1/2, [est la] fille aînée d'une famille de cinq enfants, la dernière [étant] née le 3 octobre 1944.

La maison a été envahie par un groupe d'Hindous et d'Allemands qui se sont fait servir à boire. Puis, tenant en respect, le père et la mère avec la mitraillette, ils se sont jetés sur cette jeune fille et ont longuement abusé d'elle. Elle s'est débattue, mais on l'a immobilisée par la force.

La scène s'est passée devant les parents atterrés et impuissants, la mère enceinte à un mois de la naissance du cinquième enfant.

Les parents avaient réussi à faire fuir les autres enfants.

En partant, vers minuit, ces hommes ignobles ont remis à la jeune fille une somme de 1 200 francs, qu'aussitôt elle a jetée dans le feu.

Les soins de désinfection externe et d'injection ont été donnés immédiatement par la mère.

Famille sympathique. La mère reste bouleversée de l'événement. La jeune fille se remet, mais ne veut pas qu'on lui en parle.

Elle est suivie par le docteur X...

Y... [nom de la commune]

Personnalités rencontrées : le docteur X... et monsieur le curé.

Femmes visitées :

- Mlle Z..., conversation avec la mère de la jeune fille ;

- Mme Y..., conversation avec Mme X... en l'absence de Mme Y..., et qui lui a donné les premiers soins ;

- Mme X..., conversation avec l'intéressée ;

- Mme Y..., conversation avec Mme et M. Y..., beaux-parents de la jeune femme, en l'absence de celle-ci.

Mlle Z... de X... s'est débattue si bien qu'elle a découragé ceux qui voulaient s'en prendre à elle. Elle a échappé à tout mal.

Mme Y... était absente. Ses beaux-parents avec qui elle vit ont répondu pour elle. Le domaine de S situé sur la route de X... à Y... a été envahi par les Hindous. Il a fallu les servir, puis ils ont entraîné la jeune femme, mère d'une petite fille de deux ans dans la chambre et ont usé de la force pour abuser d'elle. Le bébé, témoin des choses, hurlait de frayeur, et malgré la mauvaise volonté de ces hommes, la grand-mère a réussi à prendre l'enfant devenu inconsolable.

Six Hindous, à tour de rôle, se sont jetés sur cette jeune femme.

Son mari, de l'autre côté de la route, près des granges où la batterie réunissait hommes et femmes de plusieurs domaines, était l'objet d'autres menaces.

À ces gens en plein travail des champs, il fut demandé la carte d'identité. Ceux qui l'avaient étaient placés à gauche, les autres à droite, à genoux par terre. Puis ces derniers furent alignés contre un mur. Au même moment, un avion survintS Effrayés, tous les soldats s'enfuirent, libérant ainsi subitement et la femme et la batterie, et tous ces travailleurs qui se dispersèrent immédiatement.

Devant l'impossibilité de circuler, un médecin du maquis « NS », le docteur X..., a donné les premiers soins de désinfection à Mme Y... qui depuis a revu son médecin traitant, le docteur Y... de Z...

Mme Y... était absente pour plusieurs jours de Y... Sa voisine et amie, Mme X..., qui lui a donné les premiers soins a bien voulu nous mettre au courant du cas.

Mme Y... est une jeune femme de 22 ans, mariée depuis deux à trois mois. Personne frêle, mince, sans apparence de santé, elle a dû subir quatre Hindous, sous les yeux de son mari, tenu en respect avec des mitraillettes.

Le mari était comme fou et la jeune femme très choquée psychologiquement.

Elle a eu tous les soins qui convenaient, désinfection externe et injection dans l'heure qui a suivi. Elle est suivie par son médecin.

Mlle X..., 16 ans, [appartient à] une famille de huit enfants ; l'aînée, 20 ans, qui a pu s'échapper et la plus jeune [a] 2 ans.

La mère était seule à la maison avec quatre de ses enfants, le père était aux champs.

Un Allemand et des Hindous ont envahi la maison, se sont fait servir à boire, puis ont terrassé la jeune fille sur le lit des parents et sous les regards de la mère, tenue en respect, et des trois enfants dont deux fillettes de 12 et 9 ans environ. L'Allemand a été le plus odieux de tous par sa brutalité, au dire de la mère.

La jeune fille s'est débattue, mais on lui a attaché les mains et comme elle essayait encore de se défendre, on lui mettait sur la tempe le canon d'un revolver.

La mère a pu voir sept à huit hommes à tour de rôle sur sa fille. Mais elle n'a pas pu tout voir et la jeune fille se refuse à donner aucun détail même à sa mère. La scène a duré de 9 h du soir à minuit et demi.

Mme X... a donné aussitôt les premiers soins, mais n'avait aucun désinfectant. Elle a fait examiner sa fille par son médecin traitant, le docteur X...

Mme X... est une femme sympathique, méritante, qui semble bien élever ses enfants.

Intérieur modeste, mais assez bien tenu, les enfants paraissent en bonne santé.

Mme Y... [habite] le domaine de la C... C'est une personne de 44 ans, qui porte sur elle, une grande distinction. L'intérieur est tenu d'une façon remarquable, exceptionnelle pour la région.

Ses enfants étaient absents. Elle était seule dans la maison.

Un Allemand l'a entraînée dans la chambre sous menace, a abusé d'elle odieusement, et a entraîné un autre qui n'y tenait pas à commettre le même acte.

Pendant ce temps, le mari essayait de défendre bicyclettes et matériels que les soldats voulaient enlever. Il ignorait tout des actes dont sa femme était l'objet.

Un troisième Allemand s'apprêtait à renouveler l'acte devant le mari devenu blème quand un incident a libéré le domaine de la présence de ces hommes.

Mme Y... s'est donnée elle-même les premiers soins, mais n'avait pas de désinfectant. Elle est suivie par le docteur X... de Châteauroux.

Conclusions

1. Toutes les victimes et leurs familles restent sous une impression de terreur, mêlée de révolte pour ces actes dont elles n'ont pu se défendre, malgré elles. C'est quelque chose de pesant qui continue à écraser au point de vue psychologique et moral, et qui marque les visages d'une profonde tristesse.

2. Toutes ont accueilli l'assistante, satisfaites que l'on se penche sur leur épreuve pour y compatir et les aider au besoin s'il y avait lieu.

3. À chacune, il a été conseillé une prise de sang et une analyse. Elles sont toutes disposées à le faire tant elles sont dégoûtées, le mot n'est pas trop fort, d'avoir été la proie de ces hommes déchaînés, et dont on peut tout supposer au point de vue santé. Elles l'acceptent d'autant plus volontiers que l'inspection de la Santé rend la chose facile ; plusieurs n'y avaient pas pensé ou n'auraient pas pu en faire les frais.

Toutes ont été renvoyées à leur médecin traitant respectif.

4. D'autres cas assez nombreux n'ont pas été signalés. Mais les intéressées désirent en garder le secret, leur attitude est à respecter d'autant qu'elles ont toutes consulté leur médecin traitant qui a fait le nécessaire à leur égard.

5. Jusqu'à cette date, on pense que ces actes n'entraîneront pas de conséquences pour l'avenir, grâce aux soins immédiats que toutes ont pris, et l'on espère ainsi qu'il n'y aura pas de naissances futures, liées à ces actes.

6. On constate du reste que la résistance de ces femmes même biologiquement a fait que si elles ont été violentées, on ne peut assurer qu'elles aient été violées, au sens plein du mot.

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*****

Le Comité de Liaison des Services Sociaux de l'Indre

ENQUETE

Fournie par le Comité de Liaison

des Services Sociaux de l'Indre

Famille : X...

Adresse : 32, rue S à Z...

Composition de la famille :

- père : X..., ouvrier-journalier ;

- mère : demeure à la maison ;

- enfants :

G..., 15 ans, placé dans une ferme à X...;

M..., 8 ans, écolière ;

L..., 7 ans, écolier ;

N..., 3 ans 1/2 à la maison.

Renseignements recueillis de Mme X...

Au moment du retour des Allemands à Z... fin août 1944, Mme X... était avec son mari et ses enfants chez ses parents, M. et Mme Y..., à Y..., hameau de X...

Les Allemands séjournèrent les 30 et 31 août jusqu'à 15 heures à Y... Seule au logis avec les plus jeunes enfants, Mme X... vit entrer dans la maison deux soldats mongols qui, sans brutalité, ni menace, lui firent comprendre ce qu'ils attendaient d'elle. Les enfants effrayés partirent se cacher dans la cour.

Restée seule, Mme X... se livra à ces hommes dans la crainte qu'ils ne se vengent sur ses enfants si elle se refusait à les satisfaire.

Après le départ de ces hommes, Mme X..., ce jour-là et les jours suivants, a fait une désinfection interne et externe. Mme X... est suivie par le docteur Y..., son médecin qu'elle vit pour la première fois le 15 septembre.

Mme X... qui paraît être une bonne mère de famille, est encore bouleversée de ce qui lui est arrivé et en parle difficilement.

Il ne semble pas que les dires doivent être suspectés. Rien ne permet cependant d'affirmer que la grossesse actuelle de Mme X... soit consécutive aux faits précités.

Mlle Z...

Assistante sociale.

Z..., le 30/11/1944

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© 2001, Alain Giévis