Survie de la France
La République de l’Indre, 10 août 1940

Vincent Rotinat


Dans l’effroyable malheur qui nous frappe, et dont il semble bien que beaucoup ne mesurent pas encore toute l’étendue, aperçoit-on, pour la France, une possibilité de renaissance rapide ?
La génération de 1914 aura-t-elle l’ultime consolation de revoir une France libre, fière et maîtresse de ses destinées ?
Certes, aucun peuple au monde n’a des ressources aussi variées, des facultés de redressement aussi riches que le peuple de France ; mais jamais non plus, au cours de son histoire, il n’avait connu une chute aussi profonde.
Tant que durera la guerre européenne, tant que la paix ne sera pas définitivement rétablie avec l’Allemagne, il sera prématuré de dresser des plans de rénovation économique, politique et sociale ; mais il se pose dès maintenant un certain nombre de problèmes urgents et d’importance vitale dont la solution conditionnera la possibilité de redressement de la France.
Au premier chef, possibilités de vivre et d’espérer !
Vivre ; le ravitaillement demeure pour le gouvernement la question dominante.
Elle sera heureusement résolue si, à l’autorité gouvernementale, s’ajoute la bonne volonté des Français unis dans la même détresse et dans la même résolution d’en sortir.
Non moins importante se posera la question du travail pour les millions de démobilisés.
Le retour à la terre, pour intéressant qu’il soit, n’absorbera pas toutes les activités de ce pays. Il faudra revenir aux vieilles industries nationales qui ont fait, dans le passé, le renom de la France et, pour une bonne part, sa prospérité.
Et là encore, cette ébauche dans l’œuvre de reconstruction, ne pourra s’accomplir que dans l’union des Français serrés autour de l’âme blessée de la patrie.
Hors de cette union, et quoi qu’on fasse, pas de salut.
Il faut plaindre les pauvres esprits qui ne voient dans les malheurs du pays qu’une occasion à satisfaire ressentiment personnel ou rancune partisane.
Toujours, ici, nous avons aux heures de péril, prêché l’union des Français.
Cette union est devenue aujourd’hui la condition première de notre relèvement.
Au premier rang des éléments de faiblesse qui ont concouru à l’effondrement moral du pays, il faut placer la persistance des luttes partisanes et le relâchement des mœurs politiques.
Combien de fois n’avons-nous pas dénoncé les dangers de cet état de choses.
La défaite nous en guérira-t-elle ?
Cela va, en grande partie, dépendre de l’impulsion qui sera donnée par les milieux dirigeants.
La France est tombée par suite de bien des erreurs, de bien des insuffisances et de bien des fautes aussi ; et de cela, les hommes sont plus responsables que le régime.
Le régime n’avait pas empêché la victoire de 1918.
Il en est qui voudraient rejeter la responsabilité de la défaite sur l’Armée, d’autres sur le Parlement, d’autres sur l’École. Convenons qu’à part certaines responsabilités immédiates et directes qu’il sera facile d’établir, il existe surtout, ainsi que le disait récemment le Ministre de l’Intérieur dans une allocution radio-diffusée, une espèce de responsabilité collective qui atteint tous les Français dans leurs devoirs envers la Patrie.
À cette heure entre toutes douloureuses et sans chercher à abaisser notre pays et à le charger de responsabilités qu’il n’a pas, on peut bien dire que la flamme patriotique de 1914 était singulièrement réduite.
Il y avait quelque chose de brisé dans le ressort de l’âme française.
La chute est profonde. Elle peut être salutaire si elle ouvre tous les yeux aux nécessités du jour.
Pour que survive la France, un gros trait sous nos communes erreurs et tous à l’œuvre d’un même cœur pour l’œuvre de reconstruction.
On a remis les destinées du pays à un homme qui est le vivant exemple de ce que peut la volonté française.
Verdun est sans doute le symbole le plus pur de cette énergie farouche dont nous sommes capables aux heures les plus critiques.
Retrouvons notre âme d’il y a 25 ans.
Préparons le noyau d’une grande amitié française forgée dans le malheur et prête aux grandes tâches qu’exigera la renaissance de la patrie.
On parle de la constitution d’un parti unique.
Là devrait être son but : le rassemblement de toutes les bonnes volontés françaises, sans ressentiment, sans haine, sans vaines polémiques, et de toutes les forces vives de la nation avides de travailler à son redressement et dépouillées de tout autre souci.
Tâche immense et magnifique qui redonnerait vite toutes les raisons d’espérer en une France nouvelle, plus belle et meilleure.
Car le premier devoir est, aujourd’hui, d’espérer en la France.
« Quand nos paysans gaulois, raconte Michelet, chassèrent un moment les Romains, et firent un empire des Gaules, ils mirent sur leur monnaie le premier mot de ce pays, et le dernier : ESPÉRANCE ! »