Les idées mortes
La République du Centre, 12 octobre 1940
Vincent Rotinat
L’article, visiblement, a dû avoir des paragraphes de censurer, en raison
des réserves blanches qui trouent le texte. Voir les remarques précédentes
à propos des textes censurés.
Où en est l’œuvre de rénovation entreprise
par le Gouvernement du Maréchal Pétain ?
La révolution nécessaire que préconisent les dirigeants et les journaux
et que justifient les événements, pénètre-t-elle l’esprit et
le cœur des Français ?
Car elle ne sera qu’à cette condition.
Toute transformation imposée, qui ne paraîtrait ni nécessaire ni juste,
et qui ne répondrait pas aux aspirations profondes du peuple français,
pourrait s’implanter mais ne serait pas viable. Il faut avant tout nous débarrasser
de ces idées de facilité et d’égoïsme, de désordre et d’indiscipline,
condamnées depuis longtemps et que la défaite nous a fait apparaître
mortelles pour l’avenir du pays.
Après la victoire de 1918, et c’était bien naturel, le désir, le besoin
du bien-être s’étaient installés en France, dans toutes les familles.
Dès l’école, on préparait l’enfant aux carrières d’où l’effort
était exclu.
Le fonctionnarisme, à tous les degrés, attirait parce qu’une retraite devait
assurer la sécurité des vieux jours.
Non seulement le travail de la terre, mais l’artisanat était abandonné.
Le commerce ne tentait que là où il était possible d’escompter une
fortune rapide.
Par ailleurs, l’État-Providence devait parer au manque de travail et aux difficultés
de l’existence. Dans toutes les catégories sociales, les « ayants droit
» devenaient chaque année plus nombreux.
Dans les diverses manifestations de la vie publique se retrouvait ce désir exclusif
d’échapper à la loi de l’effort et de faire appel en toute circonstance
à l’aide tutélaire de l’État.
Ces tendances développées à l’excès annihilèrent tout goût
du risque, tout sens de l’initiative et des responsabilités.
C’était une des caractéristiques de nos Administrations que cette peur
des responsabilités.
Ce dont a le plus souffert la France dans ces vingt dernières années, c’est,
dans tous les domaines, le manque d’hommes ; nous entendons d’hommes de caractère.
La guerre a fait éclater cette indigence aux yeux de tous.
De l’intelligence, de l’éloquence, de l’adresse, de l’habileté, on en trouvait
partout, à revendre. Du caractère, du cran, nulle part.
[ paragraphe blanc, censuré ?]
Nous voulons espérer que l’épreuve douloureuse de la défaite a tué
à jamais ces idées de facilité et ces tendances au moindre effort,
et que le Gouvernement saura diriger les Français vers l’action virile et le
goût des initiatives hardies.
La France avait un Empire colonial merveilleux dont elle n’a jamais entièrement
tiré parti parce que ses fils répugnaient aux risques des longs voyages
et des entreprises hasardeuses.
Idées mortes aussi que les dénigrements systématiques entre Français
d’opinions soi-disant opposées. La lutte des classes a fait plus de mal au pays
qu’une bataille perdue.
[ paragraphe blanc, censuré ?]
À côté des erreurs, que d’élans généreux et de créations
heureuses !
Si notre défaite n’était pour certains qu’occasions à revanches politiques,
si les malheurs de la patrie ne nous avaient pas désappris la haine entre Français,
c’en serait à désespérer de notre relèvement.
[ paragraphe blanc, censuré ?]
Alors il vaut mieux se taire.
Quel historien disait donc : « Si la peste était au Pouvoir, il y aurait
des gens pour lui faire la cour ? »
Ce n’est plus le moment. La presse a un autre rôle à jouer ; rôle
de rude franchise dans les épreuves à surmonter et rôle de conciliation
dans les esprits français que divisent encore trop de préjugés et
de malentendus.
La France, au fond de l’abîme, s’est rassemblée sous le plus illustre de
ses fils.
Pétain, ç’a été en 1917 la résurrection de l’armée
française ; c’est un symbole qui prend aujourd’hui une haute signification d’espoir.
À condition d’élaguer les idées mortes, de profiter des leçons
du passé, le pays peut s’engager avec assurance sur la rude montée de l’avenir.