Souvenirs
La République du Centre, 9 novembre 1940
Vincent Rotinat




Il me reste, de la guerre, deux souvenirs précis qu’a ravivés le passage du Maréchal Pétain à Châteauroux et son arrêt devant notre Monument aux Morts.
En juillet 1916, au retour de la plus dure période — et de la plus meurtrière aussi — que nous ayons connue à Verdun, les restes de notre Division, la 16e qui venait de briser sur le plateau de Tavanne l’ultime effort Allemand, défilaient devant le général Pétain.
Nous avions passé quatorze jours en ligne, sans une heure de repos et presque sans ravitaillement ; certaines compagnies ne comptaient pas plus de 25 à 30 hommes, des hommes exténués, à bout.
La présence du chef galvanisa ces revenants.
Il faut avoir vu, dans ces heures tragiques de Verdun, le Général Pétain regarder défiler les soldats qui allaient à la bataille pour comprendre l’ascendant extraordinaire, unique, qu’il exerçait sur la troupe.
Sa stature, son maintien en imposaient.
Son regard semblait pénétrer chacun de nous jusqu’à l’âme.
Aucun autre grand chef n’a jamais donné, à ce degré, une pareille impression de force, de volonté, de confiance.
Je devais avoir, au cours de la guerre, une autre occasion d’approcher le général.
Ce fut au début de juillet 1917, à l’époque la plus douloureuse et sans aucun doute la plus grave de la guerre, où chancela le moral de l’armée française.
Dans plusieurs unités au repos, des mutineries avaient éclaté. Des trains de permissionnaires ramenaient des ferments d’agitation qui gagnaient rapidement l’Armée entière.
C’est à ce moment que le Général Pétain prit le commandement de l’Armée.
Il visita tous les secteurs du front ; il vit les soldats au repos et dans les tranchées, s’inquiéta de leur nourriture, contrôla les tours de permission, consulta les gradés.
À l’issue de ces visites, il réunissait généralement les commandants de compagnie. C’est dans une de ces réunions que je l’entendis nous donner des renseignements impressionnants sur l’état d’âme de l’Armée. Il nous recommanda de nous pencher davantage sur la vie des hommes, de nous préoccuper plus de leurs situations, de ne manquer aucune occasion d’adoucir une souffrance, de remonter une énergie défaillante.
On sentait en lui une telle assurance ; il parlait avec une si souveraine autorité et une compréhension si humaine de la condition des combattants, qu’il emportait la conviction de tous, et son action bienfaisante réduisit rapidement le mal qui aurait pu emporter l’Armée.
C’est pourquoi, aux yeux des soldats, c’est le Général Pétain qui est resté le véritable artisan de notre victoire.