Le Président Roosevelt
La République du Centre, 16 novembre 1940
Vincent Rotinat




Bien qu’à notre époque les événements aillent vite, nous ne croyons pas qu’il soit trop tard, dix jours après sa réélection, pour évoquer encore la puissante personnalité du Président de la grande République américaine.
Tout a été dit et redit sur la vie publique de Franklin Roosevelt. Les journaux et les revues ont popularisé les moindres détails de sa vie de famille et de son action au Gouvernement, nous n’ignorons rien du programme de sa journée et de ses méthodes de travail.
Il y a deux traits cependant de cette nature, par ailleurs si riche en dons divers, qui nous semblent mériter plus particulièrement notre attention.
Jusque-là, il semble bien que les événe ments formidables qui se déroulent depuis deux ou trois ans dans le monde, mènent les Chefs d’État. Aucun d’eux ne paraît avoir dominé ces événements ; ils en ont été comme les jouets.
Roosevelt, lui, paraît de taille à embrasser la situation ; à la juger en face dans sa réalité et dans ses conséquences.
On le croit capable de dominer les événements.
C’est ce qui donne tant de relief à sa personnalité et qui a rendu le monde si passionnément attentif à sa réélection.
Du véritable Homme d’État, Roosevelt a ce don du jugement sûr, cette espèce de perspicacité divinatoire qui ajoute aux qualités du visionnaire, la rectitude du jugement.

Appelés à la Présidence des États-Unis alors qu’une effroyable crise économique ravageait le Pays, avec quinze millions de chômeurs ; Roosevelt, avec une hardiesse de vues qui surprit et fit même crier au scandale, inaugura par son « New Deal » une politique sociale extrêmement courageuse, qui s’attaqua au capitalisme dont les droits furent sévèrement limités et subordonna à l’intérêt général les grandes puissances industrielles et bancaires.
Assuré d’avoir vu juste, Roosevelt, en dépit des plus violentes attaques et des plus puissantes, poursuivit la réalisation de son plan, corrigeant ce qui lui apparaissait une erreur, rectifiant ce qui lui semblait excessif.
Et c’est ainsi que fut ranimée la grande industrie des États-Unis, que l’agriculture redevint prospère et que le nombre des chômeurs fut réduit.

On a bien souvent reproché, et justement reproché, à nos hommes d’État de manquer de caractère. On serait tenté de reprocher à Roosevelt d’en avoir trop, tant il a porté à un haut degré le sens de l’autorité gouvernementale ; ce qui, loin de là, on s’en aperçoit aujourd’hui plus que jamais, n’est pas incompatible avec le gouvernement d’un pays libre.
Le courage est le trait dominant de Franklin Roosevelt.
C’est à force de courage qu’il arriva à dominer la terrible maladie qui, à quarante ans, l’avait fait infirme ; et tout au long de ses huit années de mandat, il donnera dans les circonstances les plus dramatiques, le même exemple de courage persévérant et sûr.
On se rappelle, à la veille de la guerre, ses appels pathétiques en faveur de la Paix, appels qui remuaient la conscience du monde et gonflaient d’espoir le cœur des mères.
Quand il vit la guerre inévitable, il se préoccupa d’en limiter les ravages.
Et puis il se rendit compte que le fléau s’étendait et qu’il pourrait bien un jour venir battre les rivages américains. Dès lors sa décision fut prise. Il resterait à son poste et armerait son Pays.
Il eut cette audace, brisant une tradition séculaire dans un pays plus qu’aucun autre traditionaliste, de briguer un troisième mandat présidentiel.
Bien mieux, il inaugura cette extraordinaire campagne électorale en décrétant la conscription militaire chez un peuple jusque là farouchement opposé à toute mesure se rapprochant d’un quelconque service militaire obligatoire.
On comprend mieux que le fameux institut Gallup, chargé d’exprimer l’état de l’opinion publique, ait indiqué, à la veille de l’élection, comme une des raisons de la baisse de popularité du Président sortant :
« La conscription promulguée par M. Roosevelt, du fait qu’elle constitue un sacrifice demandé à la population, n’est pas de nature à provoquer de nouvelles adhésions au parti au pouvoir. »
Roosevelt, on le sait, n’en fut pas moins triomphalement réélu ; les Américains tenant à garder le pilote qu’ils considèrent comme le meilleur aux heures où le danger menace.
L’unique souci du Président est en effet de préserver son pays des malheurs de la guerre.
Son programme d’armement, accéléré et massif, et qui doit faire des États-Unis la première puissance militaire du monde, a, avant tout, pour but de tenir la guerre éloignée des côtes américaines.
L’ordre nouveau qui, selon les Puissances de l’Axe, doit être établi en Europe et en Asie, affecte de trop près les intérêts américains, pour que le Gouvernement de Washington ne s’en préoccupe pas dès maintenant.
Soyons sûrs que le Président Roosevelt a déjà engagé les grandes lignes de l’action qu’il sera appelé à mener dans l’intérêt de son pays, et aussi, de la justice et de la paix.

Il serait à coup sûr ridicule de penser que la France puisse attendre son relèvement d’une intervention de Roosevelt ; ce qu’il n’est pas interdit d’espérer, c’est que ses efforts pourront limiter la guerre dans le temps et dans l’espace.