La guerre continue
La République du Centre, 23 novembre 1940
Vincent Rotinat



À la fin de septembre dernier, nous avions essayé de faire le point des opérations militaires et des situations respectives des belligérants. Depuis la guerre n’a fait que s’étendre et croître en violence.
On prête à M. Churchill une déclaration qui classerait les périls dont l’Angleterre est actuellement menacée en trois catégories, le péril numéro 1 étant constitué par la guerre sous-marine, le péril numéro 2 par l’attaque contre l’Égypte, et le péril numéro 3 par les bombardements aériens.
Sans nous arrêter à la véracité ou à la vraisemblance de cette déclaration, examinons successivement ce qui paraît bien être en effet les trois formes essentielles de la guerre entre la Grande-Bretagne et les Puissances de l’Axe.

La guerre navale a pris, au cours de ces derniers mois, une extension considérable et qui ne semble pas près de s’arrêter.
Jusque là, l’Angleterre avait la maîtrise des mers ; c’était sa supériorité incontestable. Or, l’Allemagne met tous ses moyens en œuvre, et ils sont puissants, pour anéantir cette supériorité.
Non seulement ses avisos, ses sous-marins et ses vedettes déciment la marine marchande anglaise dans la mer du Nord et sur les côtes de l’Atlantique ; mais on a vu la semaine dernière des vaisseaux britanniques coulés en plein Océan, à 500 kilomètres et plus de l’Irlande, par les avions de bombardement allemands.
C’est ainsi que fut atteint le grand paquebot « Empress of Britain », de 42.000 tonnes, qui transportait des troupes.
Les Anglais ne peuvent utiliser les bases de l’Irlande qui leur permettraient une surveillance facile et active des routes de l’Atlantique.
Les communiqués allemands annoncent chaque semaine des centaines de milliers de tonnes de navires marchands coulés, et M. Churchill admet que les pertes navales, subies ces dernières semaines, se rapprochent des pertes subies aux plus mauvais mois de la guerre 1914-1918.
Il faut ajouter, il est vrai, en contre partie, que les possibilités navales de l’Angleterre sont grandes et qu’elles s’accroissent par voie de capture, de réquisition ou d’achat. Son ministre de la marine ne déclarait-il pas récemment que la flotte marchande s’était accrue au 31 octobre, de 1.250.000 tonnes.
Quoiqu’il en soit, il se pourrait bien que ce péril fût pour l’Angleterre le péril numéro 1 ; elle ne peut en effet, se passer des approvisionnements considérables et des fournitures de guerre qui lui viennent d’Amérique et qui lui sont indispensables pour continuer son héroïque résistance.

La menace sur l’Égypte serait le péril numéro 2.
La Grande-Bretagne trouve en face d’elle un adversaire qui a étendu audacieusement son champ d’action.
L’Égypte, on le sait, et le bassin oriental de la Méditerranée, sont menacés par l’Italie qui attaque au sud par une armée partie de Lybie, et au nord par une armée d’invasion en Grèce.
L’armée du maréchal Griaziani, après un départ retentissant, est arrêtée depuis plusieurs mois à une centaine de kilomètres de la frontière, dans les sables du désert et a grand-peine à maintenir ses positions cependant que des forces anglaises contre-attaquent sur la frontière soudanaise.
Toute l’attention se porte actuellement sur la campagne de Grèce. C’est le 29 octobre que la puissante armée motorisée du Pô, passée en revue peu de jours avant par Mussolini, franchissait la frontière d’Albanie, en direction de Janina et de Salonique. Les communiqués les plus optimistes annoncent qu’en ces quinze jours d’offensive, elle a avancé d’une vingtaine de kilomètres.
Les Grecs, qui achèvent leur mobilisation, ont pénétré en territoire albanais et affirment avoir culbuté une division italienne, fait des milliers de prisonniers et capturé un important matériel de guerre.
L’Italie dispose évidemment d’une énorme supériorité en effectifs et en matériel ; mais il lui faudra probablement mettre en œuvre toutes ses troupes disponibles pour venir à bout de cet adversaire décidé à se défendre avec énergie.
En attendant, la guerre aérienne est devenue extrêmement active dans cette nouvelle zone de combats. L’Angleterre s’est installée dans l’île de Crète et utilise les aérodromes grecs ; de là, son aviation peut efficacement bombarder les ports d’embarquement et de débarquement des troupes italiennes. Bari, Brindisi ont été sévèrement touchés ; une partie de la flotte de guerre de l’Italie a été gravement endommagée dans le golfe de Tarente.
Voilà donc le territoire italien sous la menace directe de la puissante aviation anglaise. C’est un élément de pris [ sic] dans la suite des événements à venir.

Car on a beau dire que les bombardements aériens ne peuvent constituer à eux seuls l’élément décisif de la victoire, ils n’en demeurent pas moins l’arme la plus redoutable actuellement aux mains des belligérants.
La mauvaise saison n’a pas ralenti ces bombardements.
La violence des attaques allemandes sur la Grande-Bretagne croît de semaine en semaine. On est confondu par les chiffres que citent les communiqués : 150.000 tonnes de bombes en une nuit sur Londres, la nuit précédente, 500 bombardiers écrasent la ville industrielle de Coventry où il y a plus de 1.000 victimes.
Jusqu’à quel degré de résistance peut atteindre un peuple qui lutte pour son existence.
Et ces souffrances du peuple anglais, le peuple allemand les connaît ; car chaque jour la R. A. F. étend son champ d’action. La semaine dernière, Hambourg a reçu en une nuit jusqu’à 2.000 bombes. Toutes les nuits, les principaux centres industriels de l’Allemagne sont l’objet de bombardements incendiaires et la capitale elle-même est en état d’alerte permanent. Bien plus, les gros bombardiers anglais vont jusqu’à survoler les villes de l’Allemagne du Sud et de l’Est, comme Munich et Dresde, couvrant ainsi plus de deux mille kilomètres de vol.
Ces destructions sauvages, poursuivies sans arrêt, jour et nuit, peuvent-elles longtemps encore continuer ?
Cela dépend de deux choses, les possibilités de constructions aéronautiques des pays en guerre, et le degré de résistance des populations bombardées.
On connaît l’étendue de la puissance industrielle allemande, toute, depuis des années, au service des constructions de guerre ; elle s’est accrue des ressources trouvées dans les territoires occupées.
L’Angleterre ajoute à ses moyens propres qui sont grands, toute l’aide des Dominions, le Canada en tête, et des États-Unis.
Si ces ressources des deux principaux belligérants s’équilibraient, resterait en ligne de compte la résistance morale des nations engagées dans la lutte.