Fraternité
La République du Centre, 30 novembre 1940
Vincent Rotinat
S’il est vrai que, ainsi que certains se plaisent
à le répéter, de la devise inscrite aux frontons de nos monuments
publics, la liberté et l’égalité n’étaient qu’une fiction, que
représentait donc le troisième terme ?
La fraternité était-elle aussi un vain mot, une parade trompeuse ?
Il n’est hélas que trop vrai qu’elle n’a pas toujours existé entre les
Français. Un mot malheureux a été lancé un jour, à la Chambre,
qui exprimait tout un état d’âme réfractaire à la fraternité
française.
Je n’ai jamais pu comprendre, pour ma part, qu’une opposition d’idées pût
engendrer de la haine. La haine est un sentiment que je ne connais pas.
On a pu parler, avant guerre, avant l’autre, du temps où les Français ne
s’aimaient pas.
Après 1918, cependant, ce temps semblait bien révolu tant la grande épreuve
avait rapproché tous les Français dans un même sentiment de fraternité
élevé que personnifiait au plus haut degré l’amitié combattante
des hommes de la tranchée.
Cette amitié est restée plus vivante que jamais entre tant d’écueils,
et en dépit de tant de divisions factices.
Et il se pourrait bien que ce fût autour de ce sentiment profond que se reforme
la fraternité nationale indispensable, demain, au relèvement de la patrie,
aujourd’hui, à la sauvegarde de tous ceux qui souffrent.
N’est-ce pas à notre sens de la fraternité qu’a fait appel, en termes si
pathétiques, le Maréchal Pétain, pour l’aide à apporter aux prisonniers,
aux évacués sans asile, aux malheureux qui souffrent de tous côtés.
Jamais la fraternité française n’aura eu à s’exercer avec autant d’urgence
et d’ampleur, car jamais, dans la France douloureuse, il n’y a eu autant de détresses
à soulager.
N’a-t-on pas assez de sujets d’inquiétude ?
Toutes nos pensées, tous nos efforts ne doivent-ils pas être tendus vers
les Français qui appellent au secours.
Y a-t-il une seule famille française qui n’ait pas un des siens dans les camps
de prisonniers et qui ne tremble à l’idée que l’hiver qui vient pourra
être rude.
Les prisonniers, c’est d’abord à eux qu’il faut penser parce qu’ils souffrent
doublement des privations matérielles et de l’éloignement de la Patrie.
Avec quelle joie n’a-t-on pas salué l’annonce que plusieurs dizaines de milliers
d’entre eux allaient être être libérés et que le sort des autres
serait adouci.
Mais il faut penser à tous ceux qui peuplent encore les camps qu’entourent les
barbelés. Pour tous ceux-là, la vue du colis arrivant de France est le
seul réconfort qui compte parce qu’il représente un peu du pays lointain,
des figures aimées, des lieux chers.
Il faut avoir été malade pour savoir ce que vaut la santé ; il faut
vivre loin de sa patrie pour sentir qu’on l’aime plus que tout.
C’est vers ce soulagement à leur apporter que doit tendre la grande fraternité
des âmes françaises.
Pour cela des œuvres sont nées dont on ne vantera jamais assez les généreux
efforts, tel cet admirable Comité de l’Indre qui expédie les colis par
milliers et se charge de faire parvenir, avec un soin méticuleux, les denrées
les plus rares aux familles des prisonniers.
Tous les groupements de Combattants se sont associés à cette œuvre et rivalisent
d’ingéniosité pour soulager les misères de leurs jeunes camarades
malheureux.
Voilà de la fraternité en action.
Mais plus près de nous, d’autres souffrances appellent.
Il y a nos frères lorrains expulsés de leurs demeures, de leurs villages,
de leurs villes où ils vivaient depuis des générations.
Ils manquent de tout, puisque partis presque sans argent et sans bagages.
Ils nous arrivent le cœur saignant de tant de blessures.
Pour les réconforter, il faudra leur donner plus que des choses matérielles,
toute notre chaude affection.
Il y a aussi tous les évacués qui n’ont pu rejoindre leur région,
les sinistrés qui sont sans logis, les chômeurs sans ressources.
Se rend-on bien compte des misères innombrables qui sollicitent la bonté,
la générosité de tous ceux que le sort a, si peu que ce soit, protégés.
Il faut qu’aux appels émouvants du Secours National, tous les Français
qui le peuvent répondent.
Le Secours National, c’est l’expression même de la fraternité en action.
Or, devant la souffrance, il n’est pas un cœur de Français qui ne s’ouvre et
se donne ; pas une famille ne restera sourde à l’appel du Chef du Gouvernement,
les misères seront soulagées et les malheureux consolés.
C’est dans le malheur qu’un pays se forge une âme commune, et les épreuves
que nous subissons ne peuvent que recréer, entre nous une fraternité agissante.
C’est cette fraternité qui sera un des meilleurs éléments de notre
redressement.