Tactique de la guerre aérienne
La République du Centre, 14 décembre 1940
Vincent Rotinat
La tactique de la guerre aérienne a singulièrement
évolué depuis septembre 1939, et cette évolution est loin d’être
terminée.
Au début de la guerre, l’aviation se bornait à des reconnaissances, des
prises de vues, des lancements de tracts.
Dès que s’engagea la bataille terrestre, en mai 1940, le rôle de l’aviation
apparut tout de suite considérable sinon décisif.
Le vol en piqué des avions allemands bombardant et mitraillant les troupes d’opération
fut, plus par l’effet moral produit que par les pertes occasionnées, un des
éléments de notre défaite.
Par contre, chez certains, les nerfs résistent mal au vrombissement des moteurs
qui tombent sur vous à une vitesse vertigineuse, au hurlement des sirènes,
au sifflement et à l’éclatement des bombes.
Les Allemands escomptaient qu’un effet démoralisant serait produit sur les populations
civiles anglaises soumises à des pilonnages massifs et répétés,
et ils espéraient abattre l’Angleterre par une action aérienne foudroyante.
On assista alors à un bombardement intensif du territoire britannique.
Ce furent, entre les avions de chasse des deux flottes aériennes, des engagements
terribles et, des deux côtés, des pertes extrêmement élevées.
Certains jours, l’aviation allemande perdit des dizaines d’appareils au-dessus de
la Grande-Bretagne. De même, l’aviation britannique, dans ses raids voyait ses
escadrilles fondre rapidement.
On changea alors de tactique.
Les Anglais effectuèrent des bombardements de grande envergure durant la nuit.
Leurs attaques de Berlin, de Hambourg et même des centres industriels de l’Italie
du nord, ont lieu entre le coucher du soleil et l’aube. Si les effets de destruction
restent considérables, les pertes, en revanche, sont minimes. On n’a pas encore
trouvé l’aviation de chasse qui pourra opérer la nuit ; et la D.C.A., si
puissante qu’elle soit, on le voit à Berlin comme à Londres, ne peut sérieusement
entraver l’action des bombardiers de nuit.
Alors que l’éloignement de ses objectifs ne permet pas à l’aviation anglaise
de bombardement d’agir par masses, l’aviation allemande engage dans ses raids nocturnes
des centaines d’avions.
N’ayant pu abattre l’Angleterre par une attaque foudroyante, elle cherche à
la réduire par un écrasement de Londres. Chaque semaine, presque chaque
nuit, des escadrilles puissantes, agissant par vagues, lancent sur la capitale anglaise
des milliers de tonnes de bombes incendiaires et explosives. Les dégâts
furent énormes, les victimes se chiffrèrent par milliers.
Le haut commandement allemand changea une fois de plus de tactique.
Sans délaisser Londres, ses forces aériennes s’acharnèrent à
détruire successivement les grandes villes industrielles de la Grande-Bretagne.
Presque quotidiennement, un centre important de fabrication d’armement est l’objectif
de la Luftwaffe. Ce fut d’abord Coventry, puis, tour à tour, LIverpool, Birmingham,
Bristol, Plymouth, Southampton.
L'aviation allemande opère, de jour avec ses chasseurs ; de nuit, avec ses bombardiers.
De jour, les attaques des Messerschmitts ont pour but de démoraliser les populations
ennemies, de désorganiser, par la fréquence de leurs apparitions, le travail
dans les usines d'armement.
De plus, ces chasseurs jouent le rôle de bombardiers légers. Ils n'emportent,
bien entendu, qu'un petit nombre de bombes ; mais, comme ils sont extrêmement
mobiles et qu'ils ont un grand rayon d'action, ils attaquent les points les plus
divers et les plus éloignés. Opérant avant la tombée de la nuit,
ils lâchent des bombes incendiaires et les incendies allumés guident, la
nuit, les gros bombardiers. Cette forme nouvelle de la guerre aérienne semble
particulièrement dangereuse pour la Grande-Bretagne.
Les enseignements de la guerre aérienne telle qu'elle se poursuit depuis quelques
mois, semblent bien indiquer que l'appareil d'avenir sera l'avion qui ajoutera à
la puissance et à la vitesse, des moyens de défense suffisants.
Si les bombardiers actuels ne peuvent opérer de jour, c'est que leur blindage
et leur armements sont insuffisants.
Si le choc décisif doit n'avoir lieu qu'au printemps, on peut être assuré
qu'on assistera d'ici là à de nouvelles tactiques de guerre aérienne
toujours plus meurtrières et plus destructives.