Démagogie meurtrière
La République de l’Indre, 17 août 1940
Vincent Rotinat
Ce qui aura caractérisé les dernières années de notre
régime parlementaire, c’est une démagogie insensée qui sévissait
dans tous les milieux, qui paralysait tout effort sincère et toute action désintéressée.
Les campagnes électorales étaient l’épanouissement de cette démagogie
éhontée qui ne savait que flatter bassement la multitude et lancer d’inconcevables
promesses.
On en était arrivé ainsi à tuer chez les Français tout esprit
civique et même tout sens de la dignité.
La notion de l’État n’existait plus chez personne.
Qu’importait l’intérêt général pourvu que chacun obtienne quelques
petites satisfactions égoïstes.
Les Associations et Syndicats de quémandeurs s’étaient multipliés
au point qu’aucun Français ne fit partie d’un ou deux au moins de ces groupements
dont le propre était d’assaillir les Pouvoirs publics et de mettre en coupe
réglée les finances du pays.
Pour le plus grand nombre, la pension ou l’allocation ou l’aide de l’État sous
quelque forme que ce soit, était devenue LE DROIT.
Plus grave, jusque dans l’exercice du devoir patriotique, la démagogie s’insinuait.
Elle aura fait là, bien du mal.
Les travaux parlementaires se déroulaient naturellement sous le signe de cette
démagogie meurtrière.
Les dépôts des propositions de lois les plus insensées s’amoncelaient.
Aucune n’arrivait au grand jour de la discussion publique, mais toutes s’étalaient
en caractères gras dans la presse locale pour la plus grande satisfaction des
électeurs au jugement atrophié.
La discussion du budget ou des lois importantes traînait indéfiniment,
alourdie d’interventions spectaculaires ou d’amendements à usage électoral.
Et c’est ainsi qu’était paralysé tout travail parlementaire efficace et
sérieux et que se généralisait le système des décrets-lois.
Ce mal prenait de telles proportions qu’il était bien évident que ça
n’irait pas loin.
Personnellement, dans une importante assemblée, quelque temps avant la guerre,
je m’étais fait huer pour avoir osé dire que le régime électoral
tel qu’il était pratiqué, sous le signe de la plus honteuse démagogie,
tuerait la République.
Et c’est un fait que cette démagogie envahissante conduisait inévitablement
à une chute du régime.
La défaite militaire l’a précipitée ; mais elle était sûre
puisque qu’aucun homme d’État n’avait le courage de se dresser contre cette
forme anarchique de la démocratie.
Et pourtant, ces revendications grandiloquentes qui étaient la plupart du temps
à la base de toute action démagogique, n’étaient ni toujours sincères,
ni toujours solides.
On vient de le voir par l’éclatant reniement de la C.G.T. à Toulouse.
Cette toute puissante organisation syndicaliste qui englobait à un moment la
presque totalité des ouvriers et une grande majorité des fonctionnaires,
avait basé toute son action sur le principe néfaste de la lutte des classes.
C’est par cette action dangereuse que les lois sociales, dont le principe était
défendable et qui restera d’ailleurs, servirent à créer un climat
malsain de protestations continues et de travail diminué.
Le malheur est qu’il a fallu la plus humiliante défaite de notre histoire pour
que le danger mortel de ces erreurs apparaisse aux yeux de tous.
La leçon est sévère et rude ; il faut souhaiter qu’elle soit profitable.
Rompre avec cette pratique de la démagogie ; en tuer chez tous et définitivement
l’esprit, devient l’un des devoirs essentiels du nouveau gouvernement.
Tous les Français, soucieux du relèvement rapide de leur pays, doivent
l’aider dans cette tâche.