Une Légion Française des Anciens Combattants
La République de l’Indre, 31 août 1940
Vincent Rotinat
Une loi vient de créer la « LÉGION FRANÇAISE
DES COMBATTANTS » qui groupera dans son sein tous les Combattants de la Grande
Guerre et tous les Combattants de la Guerre 1939-1940.
C’est, enfin réalisée, l’unification des forces combattantes.
À cette nouvelle, il n’est pas un de nos camarades de l’Indre qui n’éprouve
une certaine satisfaction à se voir ainsi donné raison même si tardivement
et dans de pareilles circonstances.
Car, depuis bientôt vingt ans, nous luttons ici pour grouper tous les vrais
Anciens Combattants dans une formation unique.
Ç’a été le but premier de nos efforts dès que nous fûmes
constitués en fédération départe mentale.
Pas un Congrès national où nous ne soyons intervenu dans ce sens.
On put croire un moment, à la suite de la grandiose assemblée des États
Généraux de Versailles, que l’unité était faite, ou allait se
faire, sous l’espèce d’une Confédération nationale sortie de ces délibérations
laborieuses.
Ce ne fut qu’une unité de façade.
Dans la nouvelle Confédération persista la rivalité sourde des grands
groupements nationaux. Rivalité de personnes et d’États majors qui paralysa,
sous toutes ses formes, l’action combattante.
Les premiers jours de cette guerre virent d’ailleurs éclater cette opposition
par la scission de la Confédération en deux blocs hostiles.
Il a fallu les jours douloureux de la défaite pour qu’une sorte de réconciliation
se produisit entre les dirigeants responsables.
Cela, c’est le passé.
Voilà donc, par une loi, créée cette vaste Association unique des
Combattants français.
Mieux vaut tard que jamais.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, la question est plus délicate qu’on ne pense et
n’est pas pour autant réglée.
On a beau jeu aujourd’hui à dauber sur l’esprit exclusivement revendicatif des
Associations d’Anciens Combattants que la loi entend supprimer.
Ce n’est pas exact d’abord ; et quand cela serait, ces groupements remplissaient
là, à l’égard de camarades infiniment intéressants, une œuvre
d’entraide qui n’était pas sans utilité et même, suivant la forme
sous laquelle elle s’exerçait, sans grandeur.
Que d’infortunes, discrètes, soulagées ; que de camarades momentanément
gênés, aidés et remis à flot !
Que de veuves et de pupilles ont dû, à la générosité de
nos associations, de ne pas tomber dans la plus noire misère !
Et l’œuvre sociale que nous avons réalisée est-elle donc si négligeable
?
Par dessus tout, au dessus de tout, au dessus de toute idée politique ou confessionnelle,
les Associations d’A.C. ont créé un magnifique esprit de camaraderie combattante
qui demeure entier et constitue aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais,
une force dont on aurait bien tort de sous-estimer la valeur.
Que vaudra le nouvel organisme officiel institué par le gouvernement ?
Nous le répétons, l’idée nous plaît qui réalise l’unité
de nos groupements et tend à nous associer activement à l’œuvre de reconstruc
tion nationale.
Depuis toujours, depuis l’autre guerre, c’est ce que nous demandions.
Mais attention, et Xavier Vallat est trop averti de l’esprit combattant pour s’y
tromper, la réalisation totale, définitive de cet organisme n’ira pas sans
d’assez grandes difficultés.
Un simple texte, à « l’Officiel », ne suffira pas à cette réalisation.
Nos Associations sont anciennes, solides, vivantes, plus vivantes même que jamais.
Un long passé leur a donné des habitudes chères et a soudé tous
les membres d’une amitié fraternelle ; ces membres que le Ministre appelle les
aristocrates du courage. Ils sont plus fiers qu’on ne croie de cette aristocratie
et plus intransigeants qu’il ne paraît sur tout ce qu’elle représente.
La notion de Combattant d’abord.
Elle nous a coûté assez cher à acquérir.
On se rappelle combien de temps il nous a fallu, et avec quelles difficultés,
pour obtenir cette charte du Combattant ; et encore est-elle bien imparfaite puisque
de nombreux camarades attendent encore que justice leur soit rendue.
Pour les jeunes Combattants de cette guerre, ce sera bien autrement difficile.
On ne connaît pas encore, il est vrai, les détails de l’organisation qui
présidera aux formations nouvelles.
Il serait dangereux d’innover et de décider en dehors de ce qui existe et sans
au moins une espèce d’adhésion tacite des Associations existantes de ces
Associations dont toute l’activité atteste tant de services rendus et dont l’esprit
répond si pleinement à cette commune volonté de servir que met en
avant l’exposé de la loi.
L’idée est aussi excellente qui cherche à associer les jeunes combattants
d’au-jourd’hui aux Combattants d’hier. Rien ne serait plus péjudiciable à
la santé morale du pays qu’une opposition entre ces deux générations
; encore faut-il là aussi beaucoup de prudence et un sens aigu des tendances
qui animent les jeunes et les vieux pour ne heurter personne et faire que l’union
soit totale, sans réserve et sans fissure.
Bref, si nous applaudissons à cette création de la Légion française
des Combattants, si nous sommes d’accord pour reconnaître l’aide précieuse
que peut apporter à la reconstruction de la France cette force magnifique que
sont les Combattants, nous tenons à signaler les difficultés que rencontrera
cette réalisation pratique et qu’il faudra surmonter, car, pour le pays, l’idée
doit réussir.