Retour à la terre (I)
La République de l’Indre, 7 septembre 1940
Vincent Rotinat




Le retour à la terre est le slogan du jour.
C’est la panacée qui doit sauver le pays et permettre sa résurrection rapide.
L’idée séduit, parce que le goût de la terre, la nostalgie de la campagne sommeillent au cœur de bien des Français.
On a pris soin d’ailleurs de nous avertir que c’en était fini d’une France industrielle et que l’avenir de notre pays vaincu ne pouvait se concevoir que dans le développement intensif de son agriculture.
Pour le moment, nécessité oblige.
L’industrie, ou détruite, ou paralysée pour longtemps, il faut bien vivre, et chacun de penser qu’en cultivant son jardin et en élevant ses poulets, il sera à l’abri du besoin. La campagne ne regorge-t-elle pas de tout ce qui devient rare, lait, beurre, œufs ?
La décision est vite prise ; l’usine ne rouvre pas, la place est perdue, on s’installera à la campagne.
Et c’est là que commencent les difficultés.
S’installer où ?
Les places, paraît-il, ne manqueront pas et une loi récente vient d’ordonner le recensement et la mise en culture des terres abandonnées.
Si les terres en friches sont, dans notre département, plutôt rares, il est de fait que de nombreuses exploitations restent incultes ou confiées à des mains étrangères, notamment dans la région du Sud-Ouest.
Combien de fois, ici même, n’a-t-on pas déploré ce dépeuplement de nos campagnes qui laissait, une à une, désertes et délabrées, ces maisons de village, si péniblement édifiées et améliorées au gré des générations laborieuses et économes.
Le déséquilibre social au profit des villes, s’avérait chaque jour plus dangereux et nous n’avons pas attendu la défaite pour le dénoncer.
On va y remédier ?
Tant mieux, et nulle part on ne s’en réjouira autant que dans ce journal qui a consacré à la cause paysanne, le meilleur de son activité.
On va donc revoir les villages déserts reprendre vie ; et les grands domaines en jachères vont à nouveau retentir du cri joyeux des laboureurs revenus.
Supposons le problème résolu.
Les avances de l’État ont permis l’achat de l’outillage et du cheptel nécessaires.
Le nouveau cultivateur a déjà vécu à la campagne et a conservé certaines connaissances de la pratique culturale ; tout va bien.
Toute la France va-t-elle se trouver, par là même, remise au travail ?
Autrement dit, ce travail de la terre, si largement encouragé qu’il soit — et il ne le sera jamais trop — va-t-il pouvoir absorber toutes les activités inemployées du fait de l’arrêt industriel ?
Ce serait folie que de le laisser croire.
S’il est exact qu’on ne compte ramener à la campagne que les hommes qui ne l’ont quittée que depuis trois ou quatre ans, le chiffre de ces terriens repentis ne dépassera guère deux ou trois centaines de mille. Ajoutons qu’une autre centaine de mille pourra trouver place dans les exploitations remises en état ; il n’en reste pas moins que ce retour, si ample qu’on l’imagine — et il sera toujours limité par le développement de la mécanique agricole — ne suffira pas à donner du travail à tous les ouvriers d’usines en chômage.
Voilà une vérité d’évidence.
Cependant, bien que l’agriculture à elle seule ne réglera pas la question sociale de la France de demain, elle n’en constitue pas moins, dans son développement intensif, l’ébauche d’une économie nouvelle, indispensable au rétablissement de notre prospérité.
Le tout est d’amorcer le courant de ce retour à la terre dans les conditions les meilleures.
Comment ?
Si l’on imagine, dans certains milieux, qu’on va ramener les gens à la campagne pour qu’ils y vivent comme ils y vivaient il y a cinquante ans, en état de demie servitude, on se trompe.
Un important hebdomadaire publiait cette semaine — nécessairement — son couplet sur le bonheur de la vie aux champs, et son rédacteur s’étonnait que les « journaliers » aient disparu de nos campagnes.
« Le journalier », c’est l’ouvrier agricole qui va travailler, « à sa journée », tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre.
Pour s’étonner de n’en plus trouver beaucoup, il faut n’avoir pas connu la misère, les privations de ces rudes travailleurs, vivant difficilement, au jour le jour, sans aucune garantie du lendemain quand guette la maladie ou le chômage saisonnier.
Si c’est ce qu’on espère revoir, le retour à la terre donnera bien des désillusions.
C’est au contraire dans la continuité des progrès réalisés ces dernières années à la campagne qu’il faut placer ce retour.
Pour ceux qui découvrent seulement aujourd’hui le problème agricole, il paraît qu’on ne s’était pas encore soucié du sort des paysans et que rien n’avait été fait pour l’améliorer.
Il n’est pour répondre qu’une comparaison à proposer.
Ceux qui se sont élevés à la campagne se rappellent la vie qu’on y menait il y a seulement une trentaine d’années. Ils revoient la maison paysanne et son installation rudimentaire, les travaux épuisants et l’alimentation trop souvent simplifiée à l’excès, les difficultés de circulation presque insurmontables.
Que l’on compare avec la situation d’aujourd’hui.
L’amélioration est certes insuffisante, mais qui, de bonne foi, pourrait en nier l’importance.
Dans cette voie du progrès matériel et moral incessant, le retour à la terre doit réussir.
Nous dirons, la semaine prochaine, les conditions premières à cette réussite.