Retour à la terre (II)
La République de l’Indre, 14 septembre 1940
Vincent Rotinat



Dans quelle voie, par quels moyens le retour à la terre, nécessaire à la stabilité sociale de demain et à la reprise d’une économie prospère, doit-il être encouragé et développé.
Il faut tout naturellement remonter aux causes de l’exode rural pour renverser le courant.
Était-ce seulement l’appât du gain qui attirait le jeune paysan à la ville ?
Il y avait cela sans doute ; les salaires agricoles étant restés si exagérément bas qu’ils ne suffisaient plus à élever une famille.
On a vu cependant des domestiques de ferme quitter la terre pour prendre en ville un emploi moins rémunérateur.

C’est qu’en ville la vie présente d’autres attraits que les salaires élevés.
Il y a le logement plus confortable, la nourriture plus variée, l’habillement plus coquet.
Il y a les loisirs tentants des fins de journée ou des dimanches.
Il y a les possibilités de déplacements rapides.
Il y a ces mille petites commodités de la vie domestique dont jouit le citadin et qu’ignore le paysan.
Bref, c’est un travail généralement moins dur, une vie plus agréable.
Peut-on changer cela ?
Quoiqu’on fasse, le travail de la terre sera toujours pénible et soumis à des risques redoutables.
On ne peut pas empêcher l’orage de dévaster la moisson et l’épidémie de décimer le troupeau.
Mais, ce qu’on peut faire, c’est apporter à la vie paysanne un peu de ce confort, de ces facilités, de cet agrément de la vie citadine.

Il faut d’abord et de toute évidence que la profession de cultivateur permette d’élever une famille de façon décente ; il faut que ce travail soit rémunérateur, autrement dit.
Or, pendant trop longtemps, on a vu un prolétariat agricole, journalier, domestique, petits métayers travailler dur et vivre misérablement. Comment s’étonner que cette jeunesse cherchait ailleurs à mieux gagner sa vie.
Il doit y avoir en France plus de deux millions de familles paysannes qui n’ont guère plus d’un hectare à cultiver. Dans ce cas, un enfant reste à la terre, les autres partent.
Multiplier les petites et moyennes propriétés, c’est retenir à la terre des milliers de jeunes gens qui y sont nés et qui auraient le désir de la travailler.
Il y a évidemment la question grave du prix des produits agricoles.
Il sera conditionné par l’importance de nos débouchés et il faut craindre là une dan gereuse concurrence des pays agricoles de l’Europe Centrale, dont la production est abondante, et dont les populations ont un niveau de vie sensiblement inférieur.
Mais la terre de France est d’une richesse infinie ; on peut, on doit y multiplier des cultures régionales qui ne craindraient, en qualité, aucune concurrence.
C’est affaire d’éducation professionnelle.

D’autre part, la coopérative, qui s’est considérablement développée ces dernières années, défendra le cultivateur contre la spéculation, dans le même temps où un système d’assurances, simplifié et unifié, le défendra contre les risques de tous ordres.
Avec un travail rémunérateur, le jeune paysan doit trouver à la campagne confort et joie de vivre.

Confort dans la maison.
Si l’habitation rurale s’est très heureusement améliorée depuis une vingtaine d’années, elle reste en général, très insuffisante.
Dans beaucoup de fermes où vivent des familles nombreuses, la pièce unique est encore trop souvent la règle ; et si l’électricité a pénétré les hameaux les plus éloignés, elle n’y a pas apporté tout le confort désirable.
L’habitation rurale doit être à l’ordre du jour des législateurs qui veulent, demain, refaire une France paysanne.

Et, dans le même esprit, doit y figurer également l’amélioration de la vicinalité. Des efforts considérables ont été accomplis dans ce sens. Il reste à faire tant que chaque maison n’a pas un chemin de sortie viable ; et voilà de l’occupation pour notre main-d’œuvre surabondante.
La maison coquette, avec son intérieur agréable où il fait bon se reposer, la route qui conduit vite au bourg proche, et où la jeunesse trouvera les joies saines des jeux sportifs ou du cinéma éducatif, c’est déjà, supprimées, bien des tentations de la ville.

Ajoutez-y la considération dont jouira le paysan bien installé, à l’abri du besoin, et qui aura mieux ainsi le sentiment de son indépendance, et des avantages qui s’attachent à sa profession, et le retour à la terre deviendra une réalité.