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Le journal personnel de Francis Perdriset

(novembre 1942 - août 1944)

Présentation et notes

Jean-Louis Laubry
avec le concours de
Maurice Nicault

(Cliquer sur les appels de note pour lire la note de bas de page, ensuite cliquer sur le chiffre indiquant l'appel de note pour revenir au corps du texte principal.)


En 1940, l'armée française sort humilée de la défaite et de la débâcle du mois de juin. Affaiblie et amaigrie, son ombre survit sous les traits de l'armée d'armistice dans la zone dite « libre ». Choyés par le Gouvernement de Vichy, les militaires demeurent dans leur énorme majorité fidèles au Maréchal. À l'image de la population civile française, un faible nombre a choisi le camp de la « dissidence » gaulliste. À l'inverse, la politique de collaboration avec le vainqueur et la création de la Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme (L.V.F.) ont rencontré peu de succès dans les rangs militaires. L'armée française redoute d'être contrainte un jour à intervenir aux côtés de l'Allemagne nazie en Russie. Le 11 novembre 1942, l'invasion de la zone sud par la Wehrmacht met fin à toute réelle souveraineté française : la flotte se saborde et l'armée d'armistice est dissoute. Le choc est rude dans le milieu des officiers demeuré très germanophobe. Les plus âgés sont mis à la retraite et beaucoup sont reclassés dans des postes administratifs. Une partie non négligeable prépare la revanche au sein de l'O.R.A. (Organisation de la Résistance de l'Armée) qui entretient assez peu de relations avec Londres et n'entre vraiment en action qu'après le débarquement.

Rares sont les officiers qui deviennent des cadres de l'A.S. C'est le cas des militaires de « Chefferie du Génie » de Châteauroux ou encore de Francis Perdriset. Quant aux membres de la Grande Muette présents chez les F.T.P.F., leur présence est exceptionnelle.

Le capitaine Francis Perdriset est né le 19 août 1911 dans le Doubs. De décembre 1940 à novembre 1942, il commande la batterie de D.C.A. 228 à Châteauroux (quatre sections de tir à la Martinerie, une à Déols), mais il n'accepte pas l'entrée de l'armée allemande dans la zone sud. Cet événement est le point de départ de son cahier personnel dont une copie est actuellement disponible aux Archives Nationales (cote 72 AJ 134).

Ce journal couvre pratiquement deux années et il constitue un précieux témoignage sur le parcours d'un officier dans la résistance berrichonne. Qu'on ne s'y trompe pas : il ne s'agit pas du « Journal de Marche » d'une unité quelconque mais plutôt du récit personnel d'un homme marqué par sa formation militaire et décidé de lutter contre l'occupation nazie. Peu d'informations apparaissent sur les combats dans le secteur Nord-Indre car les journaux de marche ont été rédigés par les chefs des sous-secteurs responsables de leurs effectifs et des opérations engagées sur le terrain. Ces récits sont reproduits dans l'Historique des Unités Combattantes de la Résistance dans l'Indre, édité en 1974 par le S.H.A.T. sous la direction du général de La Barre de Nanteuil.

À la Libération, le capitaine Perdriset est devenu commandant et a dirigé pendant quelques mois un centre d'instruction militaire à Issoudun. Il a achevé sa carrière au grade de colonel.

Jean-Louis Laubry


Dissolution de l'Armée

Le 11 novembre 1942, vers midi, on vit arriver à la Martinerie (1) un convoi allemand qui avait franchi la ligne de démarcation. Agitation ! Émoi ! On apprend qu'il s'agit d'une compagnie de défense des terrains d'aviation qui vient s'installer au camp.

Le Colonel Gigodot (2) décide de les loger au pavillon « Équipement » occupé par la D.C.A. Ils occuperont le rez-de-chaussée et le premier étage. Les artilleurs dont les pièces de D.C.A. (3) sont installées sous le toit occupent le 2e étage. Cette promiscuité excite la nervosité et la curiosité de mes hommes. Il faut beaucoup de précautions pour éviter les ennuis. Ceux-ci se produisent pourtant ailleurs. Les Allemands ont garé leurs voitures à côté des nôtres sous un hangar du camp ouest. Ce hangar est gardé par nous et dans la journée il est fréquenté par les chauffeurs français et allemands. Un jour, il manque de l'essence aux Allemands. Le lieutenant Spitz s'en plaint au colonel qui ordonne une enquête. Évidemment, pas de résultat ; on veut que je dédommage l'Allemand. Je m'y refuse car c'est se dénoncer. Après avoir tempêté, le lieutenant Spitz n'est plus sûr que nous soyions les voleurs. Il hésite etS reçoit l'ordre de partir.

Mais nous recevons bientôt d'autres Allemands plus hargneux qui nous mettent souvent les nerfs à fleur de peau. C'est sans doute pour calmer cette nervosité que le général Ricard (4) commandant la 9e D.M. (5) vient prendre le thé, avec les officiers à la batterie, le 21 novembre. Il est très optimiste. Les troupes qui défilent depuis quelques temps dans la région sont des troupes fatiguées. C'est bon signe et Hitler ne peut songer à créer des incidents qui lui mettraient sur le dos l'armée d'armistice. Nous devons être rassurés car nous sommes bien commandés. Ayons confiance.

En réponse à ces bonnes paroles, le lendemain à 7 heures, les bâtiments de la batterie et les sections détachées sont occupés par des troupes d'infanterie qui désarment immédiatement les sentinelles et bloquent le camp d'aviation. Le groupe de chasse I-2 est parti, il y a dix jours, pour l'Afrique du Nord. Mais il reste les services à terre.

L'officier de permanence à la batterie est le lieutenant Muller (6) qui parle parfaitement l'Allemand. Il évite par ses conversations des méprises qui auraient pu être sanglantes. Je suis en permission de 24 heures parce que ma femme est malade et je ne pensais pas prendre la camionnette du service qui nous menait tous chaque matin à la batterie à 7 h 30.

Vers 8 heures, le lieutenant Fournier (7) se présente chez moi avec un pardessus civil. Il m'explique que les Allemands gardent les monuments et les carrefours. Il demande des ordres. Pendant que je fais ma toilette, il ira chez le commandant Moreau demander des ordres. Il revient m'annoncer que notre chef est prisonnier chez lui et n'a pu le conseiller.

Je m'habille en civil et je sors pour me rendre compte de la situation. Un grand affolement règne dans la rue mais les occupants sont calmes à leurs postes. Tous nos camarades sont en civil et ont recueilli des renseignements contradictoires. Les Allemands arrêtent les officiers, ils crient sur les soldats, ils nous font prisonniers, etc.

Devant cette ignorance, je décide de me rendre à la batterie en uniforme car c'est mon poste normal. Mes officiers resteront en ville et essaieront d'échapper à la captivité si c'est le sort qu'on nous réserve. Fournier m'accompagne et nous montons à la Martinerie à pied.

Un poste de police allemand nous regarde entrer à la batterie. Nous sommes cernés et gardés de près. Dans mon bureau, les armes individuelles sont rassemblées et le téléphone coupé. Mes hommes se croient en captivité. Nous les détrompons, mais nos mouvements sont surveillés et nous ne comprenons pas très bien où les Boches veulent en venir. Un officier allemand me dit que Darlan (8) est un traître et qu'il n'y a plus d'armée française, plus de France. Bientôt nous marcherons à pied sous leur uniforme et avec leurs armes. Je réponds :

« Impossible, nous avons un traité d'alliance avec l'Angleterre.

- Et l'armistice qui brise tous ces traités ?

- C'est vous qui venez de le rompre, il n'est plus valable.

- Bon, alors vous marcherez contre les Américains ! »

Nous vivons ainsi quelques jours pendant lesquels les officiers allemands sont tantôt aimables, tantôt rageurs. Les hommes rassemblés sont anxieux, on parle de démobilisation puis de maintien de la D.C.A., jusqu'au 2 décembre où l'on apprend que l'armée est entièrement démobilisée. Pour le dernier jour, je fais un lever aux couleurs solennel. Les sentinelles allemandes présentent les armes. Après avoir rappellé le sacrifice de notre marine, j'exhorte les hommes à se considérer toujours comme des soldats prêts à rejoindre non une formation mais un chef. La guerre n'est pas finie, elle nous réserve des surprises mais les plus mauvaises sont passéesS

Il s'agit maintenant de démobiliser nos hommes et de rendre notre matériel aux ennemis. Première idée : sauver du matériel pour aider plus tard la résistance. Je trouve une baraque en ville, au Colombier, où je pourrai loger des équipements et du matériel. Mais les Allemands ne veulent pas laisser sortir de véhicule. J'allègue qu'il le faut pour le ravitaillement des soldats et on autorise une voiture. Je choisis un camion de cinq tonnes qui fera jusqu'à six voyages par jour. Les sentinelles allemandes exécutant ponctuellement leurs consignes laissèrent ainsi passer un véhicule muni d'un ausweiss (9) sans chercher à comprendre si cela correspondait aux idées de leurs chefs. Cette ruse - et quelques autres - nous permit de sauver beaucoup de choses qui furent ensuite données aux G.M.R. (10), gendarmes, jeunesse, etc.

Pour les canons, il fallait s'y prendre autrement. Impossible de les soustraire aux Boches. Mais l'on brisa les appareils délicats dans les manipulations. Même scénario pour le matériel-auto sauf une ou deux voitures qui furent camouflées (11).

Ces opérations de remise du matériel durèrent jusqu'en janvier 1943. À cette date, il ne resta plus de la D.C.A. qu'un organe liquidateur installé à Châteauroux. Les officiers étaient sans occupation et attendaient les ordres promis. Le commandant Moreau nous réunissait chez lui une fois par semaine pour parler de notre triste sort.

Un jour, il nous annonce la reconstitution de la D.C.A. par le général Marescot et sous le contrôle des Allemands. Quels sont les volontaires ? Un seul officier répond oui. Les autres prétendent qu'ils ont une situation en ville. Muller parle d'organiser la jeunesse en associations d'éducation avec un sourire qui en dit long sur sa future activité. Pour moi, j'entrerai à la Jeunesse après avoir fini une permission à Dijon, Besançon et Belfort. Je désire voir mes parents et tâter là-bas si le patriotisme n'a pas donné plus de fruits qu'ici.

Je rentre à Châteauroux le 1er mai.

Le 10 mai, je prends la direction de l'association départementale pour la formation des Jeunes. Organisme très intéressant qui dépend du ministère de la Jeunesse, forme les jeunes ouvriers et possède plusieurs centres dans le département. Dès les premiers jours de mon installation, j'ai des contacts avec l'O.R.A. (12) Le colonel C. (13) vient me voir et compte sur moi. Muller fera la liaison et j'attends mes missions de résistant. Je ne sais ce qu'elles vont être, mais je pense que mon association m'aidera à les mener à bien. Il faut donc que j'organise la maison dans ce but et je débute par la conquête de ma liberté d'action. Je m'entoure d'une secrétaire et d'un démarcheur qui à eux deux pourront faire le travail et me laisser libre.

D'autre part, je reprends liaison avec Mercier (14) qui dirige un centre similaire dans la Vienne, et je sonde dans mon entourage pour connaître les sympathies.

En juillet, je suis prêt et je demande des missions en rapport avec mes possibilités qui me paraissent grandes et précieuses car :

- je suis un organisme officiel ;

- j'ai le droit de me déplacer ;

- j'ai priorité pour certains avantages ;

- je m'occupe de jeunes gens.

L'O.R.A. me répond vaguement qu'au jour J, j'aurai un poste en rapport avec mes capacités. Je juge par cette réponse que cette « maison » ne « travaille » pas beaucoup et j'offre mes services ailleurs.

Pour arriver à contacter une autre organi-sation, je dévoile mes sentiments sans trop m'engager quand, un jour, le lieutenant Leroy (15) de la compagnie de guet me dit qu'il appartient à l'A.S. Je lui offre mes services en lui donnant mes possibilités, il me renvoie au capitaine Alexandre (16) qui accepte immédiatement et me promet de l'activité prochainement.

Sentant que j'allais bientôt avoir à me dépenser dans la résistance et peut-être me compromettre envers mon personnel, je prépare ma secrétaire, Huguette Boyer, 16 ans, à voir venir des « amis » qui s'intéressent à des questions militaires ou de jeunesse. Un jour que je vais un peu loin dans mes explications, elle comprend et s'offre de m'aider. Ce sera une aide précieuse car c'est une femme jeune et jolie, intelligente et brave.

J'éprouve son dévouement et sa discrétion en lui signalant un « jeune » qui est dans nos centres pour éviter le S.T.O. Bientôt, c'est elle qui les amène, qui trouve des cartes d'identité.

Cette secrétaire étant confirmée, je la mettrai au courant de tout et s'il m'arrivait un malheur, elle pourra passer les consignes. Son jeune âge est sa sauvegarde.

Là dessus, Malauze (17) vient me voir et m'annonce que je suis nommé « chef maquis » pour l'Indre. Je devrai organiser en maquis les volontaires, les faire encadrer, instruire, ravitailler. Celui qui remplissait ces fonctions est Charlemagne (18), il se présentera sous peu à moi muni d'une moitié de billet de 5 francs (signe de reconnaissance). Il est convenu que je m'appellerai « Kléber ». Pour me seconder dans le ravitaillement, j'aurai à ma disposition Didier, adjoint administratif, qui sera appointé et entièrement libre.

Je suis donc chef départemental pour les maquis de l'A.S. (19) Mais il n'y a pas un homme en maquis. Plusieurs centaines de réfractaires au S.T.O. sont « planqués » mais ne reçoivent pas d'instruction sur l'armement ou l'explosif.

J'entre aussi en contact avec le chef de l'A.S. (20) par des entrevues dans une chambre de la place Voltaire (21). Il me promet quelques armes de démonstration. Pour le reste, j'aurai des instructions du chef régional maquis. À cette époque, il s'appelle « Pierrette » (22) et vient me voir à mon bureau de l'avenue de la Châtre.

Ce bureau comprend trois pièces : un ancien magasin, une pièce commandée par ce magasin et une troisième en enfilade des deux premières. Derrière cet ensemble, l'ancien dancing du Tivoli peut servir à entreposer du matériel et même des armes.

Pierrette me donne les consignes suivantes :

- trouver un adjoint qui sera rémunéré et qui circulera dans le département pour l'organisation de détail des maquis ; je resterai à Châteauroux et ferai quelques inspections ;

- créer un « point de chute » pour les futurs maquisards, leur procurer cartes d'identité et l'alimentation ;

- trouver des chambres sûres pour passagers ;

- assurer la liaison avec lui.

L'adjoint sera Mercier qui donnera sa démission à la Jeunesse et sera à ma disposition dès décembre. Il vient me voir fin novembre et « contacte » quelques personnes de sa connaissance.

L'étude de la carte nous amène à adopter la solution suivante : les maquis seront d'abord créés dans le sud du département qui est boisé et plus accidenté que le nord.

On débutera par la Brenne à l'ouest et on s'étendra vers l'est dans la forêt au sud de Châteauroux et vers La Châtre, les forêts n'étant pas très étendues et trop perméables ; on constituera des petits groupes de dix à quinze hommes. Lorsque plusieurs groupes seront instruits, ils se dédoubleront et essaimeront pour regrouper autour des noyaux les nouvelles recrues.

Didier part prospecter le pays pour connaître les ressources et stocker des vivres.

C'est l'époque des dures répressions en Dordogne (octobre 1943). Lors d'une entrevue que j'ai avec Clovis (23), chef départemental de toutes les branches, et Claude (24), adjointe à Pierrette, j'apprends que beaucoup de maquis de Dordogne ont été attaqués et dispersés. Les chefs sont tués ou arrêtés. Nous devons donc nous attendre à recevoir les restes de cette région. L'Indre est encore considérée comme zone non gaulliste et les rapports de la Gestapo considèrent l'activité de la Résistance comme presque nulle. Seuls les atterrissages sont éventés et quelques parachutages d'agents anglais. Mais pour les maquis, l'A.S. et les F.T.P. (25) sont inexistants.

C'est à cette époque (début décembre) que je vois arriver Robert Vollet (26) qui a suivi les cours d'une école de cadres dans les Alpes. Il a pour mission de former une école régionale et veut s'installer chez nous puisque les départements montagneux lui sont interdits.

Je lui offre tout mon appui et lui adjoint momentanément Mercier qui s'appelle alors Junot dans la résistance. A eux deux, ils adoptent les principes arrêtés par nous pour l'établissement des maquis et vont prospecter dans la Brenne.

À Mézières-en-Brenne, ils entrent en relation avec le maire, M. Morève (27), qui leur fait entrevoir toutes les difficultés, la zone étant alors couverte de Chantiers de Jeunesse. A leur retour à mon bureau, Robert et Junot m'exposent les résultats qui sont minces mais nous avons là-bas tant de sympathies que nous n'abandonnons pas la région. On décide ce qui suit :

La première école de cadres fonctionnera en Brenne. Elle aura un point de repli à quelques heures de marche de son point normal pour parer toute éventualité.

Les sessions seront de quinze jours et une seule session fonctionnera au même endroit. Comme les forêts sont trop minces et trop fréquentées pour nous cacher complètement, nous agirons au grand jour dans une ferme.

On donnera à l'école une allure officielle qui se justifiera au milieu des chantiers.

Pour les habitants de la Brenne, l'école fonctionnera comme centre du retour à la terre préconisé par le Gouvernement.

Aussitôt, j'écris à M. Morève une lettre officielle lui demandant au nom de notre asso-ciation de vouloir bien m'indiquer s'il existe une ferme à louer pour y grouper des apprentis cultivateurs. Morève sait qu'il s'agit d'une école de cadres résistants.

Je délivre à Robert un certificat de travail le nommant contrôleur régional de la Jeunesse chargé de l'apprentissage agricole.

Je procure à nos amis des documents sur le fonctionnement des centres d'apprentissage et ils bourrent leurs poches de brochures de propagande de Vichy et de la Légion.

Ils peuvent ainsi circuler officiellement si toutefois les policiers ne sont pas trop curieux. Au cours d'un nouveau voyage à Mézières, le maire leur indique une ferme près de l'étang du Pessilot (28). Il n'y a plus qu'à organiser notre école qui doit fonctionner dès le 15 janvier. Robert fait venir des amis, Achille (29) et Bastien (30), qui seront instructeurs. Après être passés chez moi pour régulariser leur identité, ils vont à Mézières où ils sont logés par Limoges dans une petite maison que nous appelons le Bungalow. Ils ne sortent que la nuit pour rassembler ce dont ils ont besoin, ustensiles, couvertures, équipements que leur procurent les sym-pathisants ; nous aurons un boucher et un boulanger pour nous ravitailler. Le reste sera pris à Châteauroux pour le compte des centres de jeunesse et livré par la camionnette de l'Association. L'O.C.A.D.O. fournira également son contingent de vivres.

Pour compléter la « couverture » officielle de l'affaire, je signe au nom de l'association un bail pour la ferme du Pessilot. Ainsi, une quinzaine de bourgeois castelroussins devenaient responsables d'une école de « terroristes (31) ».

Comme il fallait du matériel, nous allons demander aux Chantiers (32) de nous prêter ce qu'il faut. Ils se font tirer l'oreille. Mais Mercier connait le Chef (33) Dorn qui lui offre une roulante, du matériel agricole etS des boeufs.

Tout est complet, on va fonctionner et les convocations sont envoyées aux élèves.

C'est à cette occasion que je fais la connaissance de Julien (34) : comme je cherche des armes françaises pour l'école, Carpi (35) m'indique que Julien, qui est caché chez Jacques (36) à Issoudun, pourra remplir une mission de récupération. J'arrive chez Jacques un beau matin, il me présente Julien alors appelé Georges et je lui donne immédiatement la mission suivante :

À la dissolution de l'armée, des mitrailleuses ont été cachées dans une baraque de la caserne Châteaurenault (37). Il faut vérifier si elles y sont encore. Si oui, les enlever. La caserne est occupée par de la D.C.A. ferroviaire et l'opération est délicate. Julien a cinq jours pour la mener à bien.

Au bout de cinq jours, Julien m'apporte la réponse : les armes ont disparu probablement enlevées par l'O.R.A. (ancien 1er Régiment d'Infanterie [38] ). Il est entendu que Julien rejoindra bientôt l'école des cadres. Pour cela, je le convoquerai en lui faisant donner télégraphiquement un rendez-vous par Huguette.

Notre première école a fonctionné quelques jours puis les élèves virent arriver des gendarmes de Buzançais. Pas très méchants, les pandores prièrent ces messieurs de se disperser car ils sont repérés par l'adjudant (39) très hostile à la Résistance. Il est entendu qu'on décrochera le soir en direction d'Obterre (40) où le point de repli est prévu.

Pendant que l'école vivait son destin mouvementé, à Châteauroux je faisais appel à des amis pour préparer des points de chute.

Les réfractaires sans gîte et les élèves qui rejoignent l'école doivent trouver refuge à Châteauroux. Ils seront reçus au centre de la Pingaudière par le Chef Debermandau au courant de leur passage.

Les agents de liaison féminins éprouvent aussi des difficultés à passer inaperçues. On les logera au centre ménager où elles seront présentées comme parentes de Huguette Boyer, ma secrétaire.

Tous les rapports, les lettres ou notes relatives à nos travaux seront tapés le soir par Mlle Boyer dans mon bureau. Cette jeune fille est ainsi au courant de toute notre activité et nous aide de toute son ingéniosité.

Nous apprenons à ce moment l'arrestation à Limoges de Pierrette et la prise de ses papiers par la Gestapo. Je pense qu'il est bon pour moi de partir en vacances et le nouvel an m'offre cette occasion. Je vais quelques jours à Dijon avec ma femme.

À mon retour, j'apprends par Huguette que tout marche bien et que Pierrette n'a rien révélé. D'autre part, Mercier n'a plus à s'occuper de l'école des cadres et nous allons pouvoir installer des maquis. Pierrette nous a laissé de l'argent et son successeur sera bientôt nommé.

Cette fois, on recherche dans la région est de Châteauroux et on prend contact avec deux gardes forestiers d'Etrechet. Ils nous trouvent de bons emplacements et des intelligences aux environs. Personnellement, je me procure nombre de cartes d'état-major, des boussoles et des munitions françaises. J'enverrai le tout à l'école de cadres qui en a besoin.

Tous les jours passent chez moi des recrues qui sont prises en compte par nos centres de Jeunesse avant d'être envoyées aux maquis.

Comme tout est organisé dans cette branche, on songe à mettre sur pied l'instruction de membres de l'A.S. déjà groupés en trentaines (41).

Pour la mise sur pied du programme d'instruction des trentaines, il faut réunir un ensemble de chefs qui discuteront des attributions de chacun et de la répartition des parachutages. À cette réunion doivent assister : le chef maquis régional, le chef départemental toutes branches, le chef A.S., le chef C.O.P.A., le chef de l'école des cadres, Mercier et moi (42).

Cette réunion se tiendra à mon bureau le 17 janvier à 19 heures. Elle doit être repoussée au 19 janvier par suite des mauvaises communications dues au temps de neige.

Le 17 janvier, Mercier vient me voir vers 18 h. Il revient de Chauvigny avec ses effets d'hiver pour pouvoir travailler mieux. Il dépose ses valises dans la première pièce du bureau qui n'est pas éclairée et m'invite à prendre un verre au café voisin où il fera la monnaie dont il a besoin. Nous allons au café en parlant en termes conventionnels de notre « travail », de nos « apprentis », des « logements », etc.

À notre retour au bureau, je vois sur la droite un grand gaillard qui attend dans l'ombre près du téléphone. Pensant qu'il s'agit d'un client de l'association, je lui demande : « Que désirez vous ? » Pendant ce temps, Mercier cherche sa valise pour y prendre un paquet de cigarettes.

La réponse du monsieur ne se fait pas attendre. Il plaque sa mitraillette dans mon dos et me pousse vers la deuxième pièce dont la porte s'ouvre à l'instant. Je me trouve en face de deux hommes qui me demandent si je suis bien le capitaine Perdriset. À ma réponse, ils font écho par :

« Police allemande. Haut les mains ! » C'est Sutter (43) qui parle, l'autre tient deux pistolets et Schmitt (44) est toujours derrière nous avec sa mitraillette.

Sutter est surpris de voir Mercier. Schmitt lui explique que c'est le propriétaire des valises et comme il est vêtu d'un « cuir » d'avia-tion, mon ami est suspect au premier chef. On lui fait l'honneur de le fouiller en premier. Le comptable de l'association est présent, le nez enfoncé dans ses papiers. Il n'a pas été questionné. Par contre, Sutter me demande où est Mlle Boyer. Huguette vient de conduire un agent de liaison au centre féminin, mais je réponds qu'elle était présente à mon départ et j'ignore où elle est actuellement.

Pendant qu'on fouille Mercier, je jette un coup d'oeil sur la pièce. Ma table de travail est remuée de fond en comble, les tiroirs vidés, les boussoles et les cartes gisent sur la table ou à terre. Une douzaine de photos d'identité appartenant à des gars du maquis et qui n'ont pas encore leurs fausses cartes sont éparpillées. Je ne peux m'empêcher de regarder mon armoire où quatre heures auparavant, j'avais pris deux pistolets et 500 cartouches pour les cacher ailleurs.

Dehors, on entend marcher des faction-naires. D'autres fouillent la salle de danse. Sutter est agressif au cours de la fouille. Il jubile en trouvant sur Mercier une carte d'état-major. Entre Metger (45), le chef de la Gestapo. Quelques paroles de Sutter amènent sur ses lèvres un sourire vainqueur. Il jette un regard de satisfaction sur les cartes et les boussoles.

Enfin, on me passe les menottes et, lié à mon ami, nous sommes enfournés dans une traction pour la rue de Mousseaux (46). Là, on nous fait sortir brutalement et, conduits dans un bureau du rez-de-chaussée, nous avons le droit de nous adosser à la cheminée, sans parler. Un S.S. ridicule et hargneux nous garde avec deux revolvers à barillet ; par-ci et par-là, des mitraillettes.

Nos policiers sont repartis et nous suivons leurs allées et venues au bruit de la voiture et de la grille qui s'ouvre et se referme pour chaque voyage.

Enchaînés l'un à l'autre, et pouvant seulement échanger des regards, nos pensées ne sont pas follichonnes. Je pense à l'angoisse de ma femme. J'imagine qu'ils perquisitionnent chez moi. Qu'on brutalise ma femme et ma fille et j'entrevois pour le lendemain matin un peloton d'exécution. J'essaie d'imaginer l'attitude que j'aurai en face des fusils. Je crois que je serai fusillé et je me propose de commander moi-même le peloton. Je suis officier et j'imagine que j'aurai droit à une exécution en règleS

J'en suis là de mes pensées quand j'entends dans la salle à côté la voix de ma secrétaire. Elle paraît gaie et parle fort pour que nous comprenions qu'elle ne parlera pas :

« Mais que se passe-t-il ? Je ne comprends rien à cette histoire ! »

Après avoir déposé Huguette, la voiture est repartie.

Vers onze heures du soir, un policier vient me demander ce que signifie cette phrase sur mon bloc éphéméride : « Au 17 janvier, réunion de chefs. »

J'explique que j'avais l'intention de réunir nos chefs de centre pour des questions de service.

D'autre part, les initiales A.S. viennent quelquefois sur mon bloc. Ceci les intrigue et ils traduisent par Association Secrète. Je leur fais comprendre qu'il s'agit des Assurances Sociales ou d'assistante sociale suivant les cas. Ensuite, on me présente une carte d'état-major sur laquelle ils relèvent des traits et des points au crayon. Cette carte provient de mon ancienne batterie et les installations de la D.C.A. y figurent encore. J'entame un long discours pour leur expliquer où se trouvaient les pièces, les postes de guet, etc. Je néglige les points marqués plus récemment. Ils cherchent visiblement les terrains de parachutages. Ils sont marqués mais j'explique qu'il s'agit de zones de surveillance particulière qu'on donnait à la D.C.A.

Ils paraissent douter pour un point des environs de Châteauroux et partent en voiture. Je pense qu'ils vont constater sur place.

À son tour, Mercier est appelé dans un couloir pour expliquer les initiales A.S. qu'il a sur un carnet de poche. Cette fois, il s'agit effectivement d'Assurances Sociales. Il revient la mine épanouie. Tout va bien jusqu'à présent. Mais bientôt je le vois songeur. Il demande les W.-C. On nous y conduit sous bonne garde. Mercier en sort content. Il vient de se débarrasser d'un papier qui avait échappé à la fouille.

On nous ramène au bureau. Nous avons le droit de nous asseoir. Tout va beaucoup mieux. J'ai l'impression qu'on peut se défendre.

Vers minuit, une voiture arrive, on entend monter et une voix qui ne m'est pas inconnue nous parvient. Je ne peux pas dire cependant qui elle trahit.

Quelques minutes plus tard, je suis appelé au bureau de Metger. Sutter est là qui traduit les questions de son chef et mes réponses.

On m'accuse d'être le chef d'une organisation secrète à Châteauroux. Je réponds que je n'ai jamais été franc-maçon. « Il ne s'agit pas de cela, précise Sutter rageur, mais d'association qui aide les parachutistes anglais, les héberge et les guide. » Comme ce n'est pas mon « rayon », je réponds en toute franchise que je n'ai jamais reçu un Anglais. Je constate par là qu'ils ne sont pas au courant de mon activité réelle et je sais maintenant que je les aurai.

Pourtant, une alerte encore. Les messieurs me précisent que c'est Alexandre qui m'a « entraîné » dans cette histoire, il est arrêté lui aussi et a parlé. J'y suis. C'est sa voix que j'ai entendu dans l'escalier. Ils n'ont pas eu le temps de l'interroger et ils mentent pour me faire parler. Je suis sûr de m'en tirer et après quelques questions, ces messieurs me renvoient en me disant que toute la bande est coffrée, mais que si je parle, j'irai retrouver ma femme sur l'heure et je ne serai plus inquiété.

Enfin, on nous emmène en cellule (47) et c'est à la descente de voiture que j'aperçois Alexandre qui me fait un signe d'amitié avec un sourire. Tout va bien.

La cellule est exiguë : nous avons un bat-flanc et deux couvre-pieds. Il fait froid et je prépare ma défense. Il me faut des alibis pour chaque chose trouvée. Pour les coups de téléphone, pour mes voyages etc.

Après cela, une pensée à ma femme. Huguette qui n'est pas emprisonnée a dû la prévenir. Demain, je ne serai pas fusillé mais interrogé. Il faut être fort, donc il faut dormir. J'arrive à faire un somme mais le froid me réveille et comme je n'ai pas de place pour marcher, je fais des mouvements de culture physique sur place.

Je sais que Mercier est dans la cellule voisine. Alexandre est plus loin. Impossible de communiquer.

Le 18 janvier est morne. Quelquefois, les policiers viennent me poser une question. Ils ont perquisitionné chez moi mais à leur attitude, je comprends que ma femme n'a rien dit. Bien mieux, elle a dû se moquer d'eux, donc elle a confiance.

Lorsque nous mangeons dans la cour de la prison, nous sommes sortis de nos cellules l'un après l'autre. Pour aller aux W.-C., il faut deux sentinelles et un sous-officier. Trois armes braquées sur nous. Et surtout, ne pas fermer la porte. Un détail curieux retient notre attention. Certains W.-C. sont réservés aux « slaves ». Ce sont les moins bien aménagés et les seuls que nous puissions utiliserS Théorie raciale ?

Le 19 janvier après le repas de midi, on m'extrait de ma cellule. Menottes aux poignets et en compagnie d'un gros Boche, je traverse la ville en auto. J'arrive rue de Mousseaux à 4 heures. C'est pour l'interrogatoire. Pour ne pas être surpris, je pense que j'en aurai jusqu'à minuit. Cela se passe au premier étage où un gros policier m'attend cigare au bec. Il attend l'interprète. Quand celui-ci arrive, lui s'en va, puis on me laisse avec un garde du corps. Ce sont des va-et- vient de gens désinvoltes, manifestement pour m'énerver. Peine perdue, je suis décidé à rester calme.

Enfin, on m'interroge sur mon passé civil et militaire. Questions générales auxquelles je ne veux rien comprendre et je demande que l'on me dise quels points précis on veut éclaircir. La Gestapo est bien renseignée. Je m'occupe de maquis. Je travaille avec Alexandre. Je le vois et lui téléphone fré-quemment. D'ailleurs, on prétend que lui a parlé ce matin et il ne m'a pas ménagé, paraît-il. Enfin, si j'avoue, j'aurai ma liberté et garantie par la Gestapo elle-même.

Après quatre heures de ce manège, ces messieurs sont nerveux et je suis encore calme. Alors on emploie les grands moyens. Schmitt est arrivé entre temps. Il manie une cravache qui siffle à quelques centimètres de mon nez. Celui qui m'interroge me demande si je tiens à revoir ma femme et mon enfant. Il veut évidemment en finir et vite. Pour moi, je m'efforce de rester correct dans mes réponses. En désespoir de cause, on va me faire avouer par la brutalité.

Schmitt dispose une table au milieu du bureau. Je dois enlever mon manteau, ma veste et me coucher à plat ventre sur la table. Pendant cette mise en scène, Sutter s'évertue à me dire que c'est ma dernière chance. La dactylo qui tape le procès-verbal prend un air de pitié et oublie de suivre. Son patron Schmitt est rageur et veut me la « kasser cette sale gueule parce que : nous sait tout » [sic]. Il me répète dix fois cette phrase mais ne frappera que sur l'ordre de son chef qui m'interroge.

À 8 h 30, ils abandonnent la partie et l'interprète me lit le P.V. que je vais signer. On me reproche en définitive d'avoir écouté la radio anglaise et d'avoir dit : « Les Boches » en parlant des Allemands.

C'est tout ce qui reste de l'accusation de chef terroriste portée contre moi. J'ai peine à dissimuler ma satisfaction. Sur le chemin de la prison, mon garde du corps resserre les menottes et me prévient que ce n'est pas fini. En arrivant en cellule, j'entends qu'on emmène Mercier. Je siffle : « Tout va très bien Madame la Marquise » pour qu'il comprenne que mon interrogatoire n'a rien révélé.

Il entend et comprend.

Il rentrera dans la nuit après avoir reçu dix-huit coups de cravache sur les reins.

Les nuits sont froides et deux couvre-pieds me paraissent minces. Encore faut-il remercier la Croix-Rouge (48) de nous les avoir apportés.

Quant aux repas, nous avons mangé le premier jour ce qui nous était destiné, mais les jours suivants, les hommes de garde mangeaient ce qu'on nous apportait et le remplaçait par leur infâme rata. Nous n'avions pas de quoi boire, mais, dès le jeudi 20, grâce à un Strasbourgeois incorporé de force dans la Wehrmacht, je savais que mes camarades n'avaient rien dévoilé et qu'ils étaient satisfaits. Tant pis pour la prison, mais les camarades ne seraient pas inquiétés. Ce fut notre dernier jour à Châteauroux. Le lendemain, nous étions transférés à Limoges par la Feldgendarmerie en chemin de fer.

Ce voyage nous permit de manifester notre joie sur le quai de la gare pour que les amis qui nous voyaient puissent rassurer nos familles sur notre moral.

À Limoges, on nous incarcéra à la Maison Centrale où les bâtiments du centre étaient réservés aux prisonniers de la Gestapo.

À ce nouveau domicile, on nous logea tous les trois : Alexandre, Mercier et moi dans la même cellule. C'était un progrès appréciable sur notre logement précédent. Mais nous avons immédiatement pensé à une supercherie et sitôt la porte refermée sur nous, nous fouillâmes toute la cellule pour y découvrir des micros. Il n'y en avait point. Néanmoins, assis sur les lits, tête contre tête, à voix très basse, nous avons tenu conciliabule. Il est bien entendu que nous sommes innocents et que durant notre séjour, nous ne parlerons que de notre innocence entre nous.

Nous avions le coeur gai, car la Gestapo de Limoges nous avait fait pressentir que notre affaire ne demandait que peu de temps, deux ou trois jours. Pour n'être pas désagréablement surpris, nous comptons sur huit jours, le séjour sera d'ailleurs assez doux puisqu'ici nous pouvons parler, nous avons des matelas et plusieurs couvertures. Luxe inouï, nous avons un broc d'eau pour la journée et l'on nous sert les repas en cellule même. La corvée est faite par des prisonniers qui circulent dans chaque cellule avec une lessiveuse pleine de soupe. Ils nous versent notre ration dans des cuvettes d'émail et nous sommes libres de manger comme nous l'entendons. La nourriture est nettement meilleure et abondante.

Nous voilà donc optimistes. Comme arsenal de poche, un mouchoir et un peigne. Toutes les conditions sont réunies pour être heureux et nous le prouvons en chantant après le dîner. Le soir, la lumière nous est laissée environ deux heures après le repas. Cela peut représenter 9 heures pour les citoyens libres.

Nous avons beaucoup de choses à nous raconter : l'histoire de notre arrestation, nos interrogatoires et des souvenirs communs. Comme nous pensons être interrogés à nouveau, nous préparons cette nouvelle épreuve et ceci nous demande plusieurs jours. Alors nous attendons de pied ferme. Dès lors, on guette les pas dans la salle qui commande les cellules. Vont-ils s'arrêter à notre porte ? Quelquefois la porte s'ouvre. C'est pour un gardien qui veut un petit renseignement d'état civil. Une fois, c'est pour nous faire faire la corvée de soupe. C'est avec plaisir que nous traînons la lessiveuse de cellule en cellule. Ainsi nous faisons connaissance avec nos compagnons d'infortune. On ne doit pas parler mais pendant que l'un demande si le prisonnier veut beaucoup de soupe, l'autre demande ce qui l'a amené là.

Les jours suivants, on nous sort de cellule pour la promenade dans une cour grande comme un salon aux murs de cinq mètres. Il s'agit alors de tourner en rond à la queue leu leu, sans parler pendant une demi-heure. Cette promenade se renouvelle tous les deux jours.

En étudiant les habitudes de la maison et par quelques paroles échangées à l'occasion de la soupe ou de la promenade, nous constatons que, petit à petit, on nous considère comme n'étant pas dangereux, puis victimes d'une erreur. Deux ou trois fois, les gardiens nous donnent des cigarettes. Nous connaissons d'ailleurs les bons et les mauvais. Parmi les premiers, nous classons : un frère bénédictin, un cultivateur de Rhénanie, un boulanger sarrois qui est fiancé à Clermont-Ferrand.

Mais notre séjour se prolonge et nous passons par des alternatives d'espoir et de doute. On ne nous interroge pas. Personne ne nous renseigne sur notre sort. Un soir, vers 5 heures, nous entendons deux rafales qui coupent net notre conversation. À la soupe, on nous annonce deux fusillés. Demain, à la promenade, on cherchera à voir qui manque. Ces rafales se produisirent plusieurs soirs.

Comme nous sommes des « invités » bénins, on nous offre même un soir de nous chauffer. Nous voyons arriver de pauvres gars se traînant, marqués de coups, geignants ou criant. Ces visions avec notre maintien en prison nous rendent moins optimistes et on constate des silences dans la cellule. Pour remédier aux effets de cet état d'esprit, nous décidons que chacun de nous fera chaque jour un exposé sur un sujet qu'il connaît bien. Alexandre choisit la chasse, Mercier la mécanique, moi la formation de la jeunesse.

Ainsi nous nous instruisons en évitant l'effet déprimant de l'oisiveté, sans lecture ni moyens d'étude.

L'arrivée de colis nous apporte un air de « maison » et nous avons ainsi un économat que nous laissons gérer à Alexandre. Désormais, il nous distribuera dessert et goûter. C'est un travail ardu, car il faut durer jusqu'à la libération qui n'est pas connue et il faut lutter contre l'appétit dévorant de gens nourris de rutabagas. Trois gros fumeurs qui n'ont rien à brûler sont malheureux.

On s'ingénie à fabriquer quelque chose avec rien. Avec des bouts de ressort et de la laine prise aux couvertures, on arrive à faire une toupie qui nous amusera quelques heures.

L'étude de notre « évasion » nous prend aussi beaucoup de temps et on passe des heures à regarder à travers les barreaux pour connaître les lieux si l'occasion de nous échapper se présentait.

Heureusement, un beau matin, un gardien ouvre la porte et crie : « Frei ! » Je traduis pour mes camarades qui n'y croient pas. Il y a trois semaines que nous attendons cette minute et il faut du temps pour réaliser.

Mais une fois réalisé, nous faisons en hâte notre maigre paquetage et nous allons au poste de garde nous présenter à un gros civil qui nous dit dans un rictus : « Gondents ? » [sic]. Tu parles si on est content.

À notre retour à Châteauroux, nous retrouvons nos femmes qui ont été magnifiques d'énergie et d'espoir. Elles se sont groupées pour supporter l'épreuve et elles s'unissent de la même fraternité que nous avions dans notre travail. Leurs visages marquaient leurs soucis et leurs luttes, mais on voyait qu'elles n'avaient pas désespéré quoiqu'elles fussent au courant de nos actions et plus ou moins nos collaboratrices.

Elles nous racontèrent comment elles furent évitées par des amies. Comment, sans pudeur, on les pria de ne plus venir voir ces connaissances qui cependant « tenaient à leur rendre service s'il en était besoin ».

Les Allemands ayant pris le poste radio, nos épouses étaient isolées et pensaient à notre retour, tout en ruminant dans leur coeur l'amertume qu'une foule y faisait naître, alors que nous avions risqué pour sa liberté nos biens et notre vie.

Par contre, notre élargissement nous ramène beaucoup d'amis qui avaient pensé à nous, qui avaient prié pour nous, mais qui n'avaient pas fait un geste pour aider nos familles.

Ma secrétaire me conta les lendemains de mon arrestation. Pendant quatre jours, trois femmes allemandes « épluchèrent » mes dossiers au bureau, examinant les carbones et les rubans de machine à écrire, scrutant les buvards et les vieux papiers, les questions à brûle-pourpoint qu'on lui posa, les huit interrogatoires au siège de la Gestapo et les transes de ces braves bourgeois du conseil d'administration.

Quant à la Résistance, elle avait fait instantanément le vide autour de mon bureau. J'étais « contagieux » et des précautions étaient prises au cas où l'un de nous aurait été contraint de parler. Je constatai par là que tout fonctionnait bien dans notre organisation et j'eus plus confiance que jamais dans la réussite. Si la masse était moutonnière et bêlante, il existait une élite sur laquelle la France pouvait compter pour redevenir un grand pays.

Je repris mes fonctions à la tête de l'Association. Chaque jour, je constatais la présence d'un « ange gardien », homme ou femme, qui surveillait étroitement les allées et venues dans mon bureau. Un inconnu venait de temps à autre demander des renseignements fallacieux ou tâter pour savoir si l'on pouvait cacher un Juif ou un jeune convoqué par le S.T.O. La ruse était trop grossière pour réussir et j'en vins à m'amuser de ces manigances.

Pourtant, il n'était pas question d'abdiquer. Je devais renouer avec l'A.S. La tâche, délicate en elle-même, se trouva compliquée du fait que des postes importants avaient changé de titulaires. Les boîtes aux lettres étaient déplacées. Je demandai à ma secrétaire de reprendre le contact avec Julien ou Robert sous prétexte d'un rendez-vous d'amour. Huguette remplit ce rôle à merveille. En quelques jours, elle m'apporta des renseignements sur la marche de l'A.S. et elle contacta les nouveaux venus Ducher (49) , Ricard (50) etc. Je fis savoir par son intermédiaire que j'étais toujours à la disposition de la Résistance et que j'attendais les ordres. J'eus aussi des rendez-vous rapides dans la rue avec Robert, Julien, Ducher etc.

C'est au cours d'un de ces rendez-vous que Julien vint me demander mon avis sur le choix du remplaçant de Carpi arrêté récemment. Il me parla de Surcouf (51) et de Charreau (52). Je fus formel pour éliminer ce dernier qui n'avait pas donné les preuves de sa loyauté. Quelques jours plus tard, j'apprenais la prise de fonctions par Surcouf. Je chargeai Julien de lui dire que Mercier et moi étions à sa disposition au moment voulu.

Au cours du mois de mai, sentant venir les événements décisifs, je resserrai les liens, et mis Mercier en contact personnel avec nos amis qu'il ne connaissait pas. Je ne pus voir Robert qui travaillait surtout dans le secteur de La Châtre.

Je fus prévenu par Ducher que le jour J approchait et il me signala que les messages d'alerte étaient passés.

En rentrant chez moi, je prévins ma femme et Mercier qui mangeait avec nous. Je préparai mes effets comme pour une entrée en campagne. J'attends alors qu'on me fasse signe et qu'on me désigne un poste comme me l'ont promis tous les résistants que j'ai vus. Je touche Darras (53) et Mimile (54) qui sont « en l'air », car aucun chef ne s'est occupé d'eux et de leurs hommes.

C'est l'époque des premiers combats. Luant, Argenton, Dun-le-PöelierS L'im-pression est mauvaise en ville où l'on voit arriver des camions de prisonniers, où l'on parle de nombreux tués. Chaque jour, on voit partir de Bertrand (55) des colonnes de répression. Les bobards circulent : le maquis n'est pas sérieux, pas de chefs. La troupe est formée de gosses et de voyous. Les nuits sont troublées par des explosions. Le téléphone ne marche plus, les autos n'osent plus quitter Châteauroux, alors les racontars circulent de bouche à oreille se déformant toujours à l'avantage des Allemands.

Pendant ce temps, je ronge mon frein en pensant que je pourrais être utile dans les bois, que le chef sait où je suis et qu'il me néglige. Je vais voir Muller à l'hôpital pour avoir un contact avec l'O.R.A., si l'A.S. ne sait pas où m'employer.

En somme, je souffre du mal de tous les inactifs que l'opinion travaille. De son côté, la Milice s'agite et paraît prendre de l'importance. Elle perquisitionne chez les suspects, arrête et tire des coups de feu à tort et à travers. Un jour, en rentrant chez moi, je vide mon sac tyrolien prêt depuis longtemps et je rage en voyant que je ne sers plus à grand chose. Serais-je suspect ?

Mercier, plus bouillant encore, me presse de questions et veut courir « dans la nature à la recherche d'un groupe ». Confiant dans les promesses de nos jeunes chefs, j'attends et fais attendre Mercier malgré toute notre impatience.

Un jour enfin, je vois Julien à qui je critique la manière du maquis. Argenton et Issoudun (56) sont des erreurs. Qu'on nous fixe un poste, nous le rejoignons, Mercier et moi, immédiatement ainsi que Darras et Mimile et beaucoup d'autres. Je lui reproche le manque de parole de Ducher et de Ricard. Il m'apprend alors que ces deux ardents patriotes ont été tués aux premiers combats. Que je regrette les mauvaises paroles que j'ai eues à leur égard !

Julien me donne alors le moyen de retrouver Robert à Aigurande. Il est entendu que j'irai le voir, mais je ne prendrai pas de décision s'il m'offre un poste, car il doit voir Surcouf entre temps et me donner sa décision.

Ainsi le 14 juillet, Mercier et moi nous roulons à vélo vers Aigurande où nous prenons contact avec Robert qui a l'air bien étoffé et ne paraît pas désirer beaucoup notre venue. Pourtant si nous voulons absolument nous « dévouer », il y aura deux places dans son maquis. Nous rentrons contents, car si Julien ne se présente pas à la fin de la semaine avec des ordres fermes, nous rejoindrons Aigurande.

Le lendemain, je vois Julien qui vient du P.C. départemental. Surcouf veut me voir le 20 à La Gabrière (57) pour me confier un commandement. Le 20 juillet est un jeudi. J'irai prendre Julien à Levroux et de là, nous partirons en voiture à Mézières et à La Gabrière. Voilà des choses précises et je calme avec cela Mercier qui veut partir immédiatement avec Robert.

Le 20 juillet, nous devons déjeûner à La Gabrière avec des officiers du P.C. départemental. Là, on me précisera ma mission. Mercier m'a promis de me suivre. Je vais au rendez-vous avec Julien. Avant d'arriver à Mézières, nous apprenons, par le colonel Martel (58) rencontré en route, que les Allemands occupent la ville. Nous faisons demi-tour près d'un passage à niveau gardé par deux sentinelles et cachés d'elles par un troupeau de vaches, qui, pour une fois, tombe fort à propos (première alerte).

Contournant la ville d'assez loin, nous arrivons au sud sur la route de La Gabrière. Du bas de la côte, nous apercevons des camions à hauteur des maisons, beaucoup de fumée et des soldats dans les fossés. Arrêt, demi-tour et nous avons juste le temps de filer sous les rafales de F.-M. (deuxième alerte).

Après des tours et des tours, nous nous retrouvons sur la route Mézières-Migné où nous apprenons par des automobilistes que nous sommes recherchés au sud par les Allemands. Nous filons sur Subtray où nous garons la voiture chez des amis et nous mangeons en réfléchissant à la meilleure façon de reprendre le contact.

Nous décidons d'aller à Mézières en vélo et de nous renseigner sur les événements. À Mézières, tout le monde est affolé. Les femmes des résistants font leurs valises et nous apprennent qu'une embuscade a eu lieu où périt le prince Murat (59). Les maquis de la région se sont dispersés à l'arrivée de la colonne allemande. Les Allemands sont encore là et nous regardent avec méfiance. Aussi, nous ne nous éternisons pas et nous filons vers notre voiture en prenant des petits chemins. Bien nous en prit, car sur la bonne route, nous voyons bientôt filer des voitures légères qui nous recherchent probablement (troisième alerte).

Il est tard et nous ne savons où retrouver Surcouf, nous laissons pour lui un mot dans une boite aux lettres à SS C'est à ce moment que Julien m'explique que le chef départemental pensait me confier la mise sur pied du secteur Nord. Comme lui connaît bien la région, je lui demande de me la faire visiter le plus tôt possible et je prends la responsabilité d'y partir de moi-même et de travailler comme si j'avais reçu cet ordre du chef.

Il est convenu que nous ferons le tour des maquis le lundi 24 juillet, Julien n'étant pas libre avant cette date.

En attendant le 24 juillet, j'étudie la carte de mon futur secteur. Il est peu boisé et plat comme un billard. Il est traversé par des routes importantes et longé par la voie ferrée Tours-Vierzon. Julien m'assure qu'on peut y lever près de deux mille personnes et que je n'aurai qu'à demander les armes à Pauline (60), agent anglais qui me les fera parachuter dans les trois jours qui suivent la demande.

Je vois Darras qui accepte de me servir d'officier de renseignements avec siège à Châteauroux. Mon bureau sera une permanence où l'on trouvera mon contact par l'intermédiaire de ma secrétaire. Je me procure la carte nécessaire et je fais chercher dans la région un refuge pour ma femme et ma fille qui ne pourront rester sous la main de la Gestapo.

Je revois quelques-uns de mes anciens sous-officiers. Ils m'ont promis de me suivre mais beaucoup trouvent une bonne excuse et s'éclipsent.

Je me renseigne sur le matériel entreposé aux Defends (61) par l'aviation et à Bitray (62) par l'armée. Je recense le matériel du Centre de Jeunesse du Moulin de Salle (63). Je pense trouver là de quoi équiper une partie de mes maquis.

Il est entendu que Mercier viendra me rejoindre au maquis de Conte (64) dans le bois du Landais (65). J'emmènerai son fils aîné lundi ; lui, pendant ce temps, ira chercher son équipement à Chauvigny et rejoindra en vélo.

Le lundi, je pars « en vacances » à 7 heures du matin avec Guy Mercier (66). La nuit n'a pas été très reposante. Ma femme sait où je vais et pense à chaque minute si j'ai bien tout préparé le nécessaire. À 8 heures, je suis à Levroux où je lâche mon jeune compagnon qui va retrouver Conte. J'irai voir le maquis de Valençay et déjeuner avec Pauline que je ne connais pas.

Arrivée à Valençay vers 11 heures où Georges Prieur (67) nous attend. Il nous amène à son maquis où se trouvent deux groupes de 17 et 28 hommes (en tenue militaire, avec une instruction des armes poussée, mais peu d'action contre l'ennemi, une bonne organisation matérielle et des armes inutilisées par manque d'hommes).

Je donne l'ordre à Georges de faire du recrutement, de grouper ses hommes dans la forêt de Gâtine (68) par section de trente. Quand il aura cinq sections, il formera une compagnie. En attendant, c'est lui qui doit donner tous les ordres d'action et contrôler les sorties de la forêt. Jusqu'ici, les chefs de groupe avaient leur autonomie donc incohérence.

De la forêt, nous allons à Valençay où je fais connaissance de la famille Lavisse qui est propriétaire du « Lion d'Or » (69), véritable P.C. de la résistance. Beaucoup de sympathisants fréquentent ce café et je suis l'objet de beaucoup de marques de dévouement.

De là, nous filons vers une ferme à 25 km à l'est où je retrouve Pauline. Elle est à table avec quelques amis, inquiète sur notre sort car nous sommes attendus et en retard. Cette femme fait grande impression. Anglaise parachutée en Berry, c'est elle qui, avec son mari qui est son adjoint (70), dirige manifestement le secteur nord. Elle manque d'expérience militaire et sa situation de femme et d'étrangère fait contester son autorité. Elle me voit arriver avec plaisir mais après une conversation de quelques instants, nous nous apercevons que nous n'avons pas toujours les mêmes conceptions. Son mari, qui a participé au combat des Souches (71), pense être en présence d'un usurpateur.

On me présente aussi le lieutenant Kneper (72), un Ardennais évadé des stalags et qui résiste à Dun-le-Pöelier depuis deux ans. Il connaît bien la région et les armes anglaises. Il est au courant de toute l'organisation réalisée dans le nord du département et sera un adjoint précieux.

Après le repas, des chefs locaux nous rejoignent et nous tenons réunion dans un verger. Je connais ainsi MM. Lévêque et Ferragu (73) de Graçay. Ils cherchent encore leur voie, n'osant entrer résolument dans la formation de maquis solides et étoffés. Ils manquent aussi de directives. Je me présente comme envoyé de Surcouf et chef nommé du secteur nord et leur donne l'ordre d'amener aux maquis autant d'hommes qu'ils ont d'armes disponibles. Les gens ont l'habitude de discuter et de ne pas réaliser. Ils observent, ils réfutent et tergiversent. Je suis formel. C'est obéir ou abandonner. Je suis le chef, la situation est sérieuse, il faut en sortir.

Pauline se concerte avec son état-major à mon sujet. On pense tout d'abord que je viens « lâcher le chien dans la basse-cour ». Pauline se décide à essayer ma présence pendant quelques jours, elle m'aidera, et si les résultats ne sont pas bons, elle me fera limoger.

Dans l'après-midi, nous partons avec Kneper qui sera mon adjoint pour Reuilly. Nous y trouvons Vannier (74) qui est traqué et réfugié dans un petit bois. Nous voyons Hal (75) également qui, secrétaire de mairie, dirige un groupe de résistants. Mais pas de maquis. On hésite et on se dispute ici comme ailleurs. Il faut donc que je m'impose et que je tranche dans le vif. Hall rejoindra Conte avec son groupe. Vannier formera un secteur et montera des maquis dans les bois de Font-Moreau (76).

Nous allons à Saint-Florent (77) où deux hommes encore ne s'entendent pas très bien. Lévêque est actif, mais Pucheux se prévaut de sa qualité d'ancien officier pour recommander la prudence qui amène l'inaction. Tous les deux voient des miliciens partout (78). Je juge qu'on n'obtiendra guère de résultat ici. Je décide alors ces messieurs à envoyer leurs recrues à Vannier, on verra ensuite pour Saint-Florent.

Comme il est tard, nous couchons sur place. Je m'entretiens une partie de la nuit avec Kneper qui connaît bien le malaise du secteur et le juge en militaire.

L'après-midi du 25 est employée à rendre visite au chef F.T.P. Alex (79) qui tient son P.C. dans son maquis de la Vernusse (80). Je suis reçu froidement comme un gêneur et un imposteur. Pourtant, je veux être conciliant et je perds trois heures sous la tente d'Alex pour sortir convaincu qu'on ne peut s'entendre avec un homme aussi intransigeant. Il prétend que l'A.S. le brime, que Pauline ne lui sert pas ses parachutages. On sent chez ses acolytes une mauvaise foi irritante.

En partant, je constate que le maquis de la Vernusse est mal installé. Dans un bois très clair avec des « camouflages », qui le feront repérer, et un manque de discipline dans la circulation, qui révèle son emplacement.

Quelques jours plus tard (81), il est attaqué et perd quelques hommes.

Le soir, nous arrivons chez Conte à l'autre bout du département (82). Tout y marche régulièrement. Il a de bons adjoints, il a formé des cadres et dès demain augmentera sérieusement ses effectifs. Je retrouve là Mercier tout joyeux d'entrer en action et je m'entretiens avec Conte de la marche à suivre pour l'organisation de son secteur. En attendant que j'aie pris des mesures générales, c'est lui qui assurera la liaison avec le P.C. départemental et qui recevra les recrues de Châteauroux s'il s'en présente.

Le lendemain matin, inspection de ses maquis. Ils se présentent bien, mais sont squelettiques. À ce moment, l'ensemble A.S. du Nord - Indre comprend en tout 132 hommes dans les camps. À midi, nous quittons Julien et partons pour Valençay, Mercier, Kneper et moi. Me voilà donc le maître de la maison. Elle n'est pas merveilleuse mais il y a des possibilités. En cours de route, j'explique à Mercier ce que j'attends de lui. Nous inspectons les maquis de Gâtine (83), les hommes y sont à l'instruction. Des recruteurs sont partis dans les localités. Ici, mes ordres sont exécutés, cela nous rend optimistes.

Le reste de l'après-midi se passe en inspection du dernier camp que je ne connais pas encore dans les Tailles de Ruines (84). Il est mal installé et j'ordonne son déplacement en fonction de son activité car d'ici, on va sabotter la voie ferrée Vierzon-Tours chaque nuit. Je veux aussi qu'on intensifie le recrutement. J'assiste au salut des couleurs et rejoint le P.C. dans une ferme près de Maray (85). C'est Kneper qui nous dirige, car je n'ai pas encore vu cet endroit.

Je retrouve Pauline et son mari qui m'an-noncent pour le lendemain la visite de diverses personnalités qui ont appris ma venue. On se croirait dans la brousse où les nou-velles les plus secrètes se répandent comme une traînée de poudre.

La ferme Trochet (86) où Pauline tient son P.C. est exploitée par un vieux résistant qui a fait tous les parachutages de la région et qui compte sur sa roublardise pour nous défendre contre les indiscrétions. Sa femme est charmante et dévouée, mais elle ne peut réprimer la peur que lui cause notre présence.

L'endroit est bien choisi : central, discret, à proximité de la forêt. Je le retiens, mais au lieu de loger dans la ferme, nous installons des tentes dans les bois proches et nous mangerons chez Monsieur Trochet.

Je passe la soirée à causer avec Pauline de notre secteur. J'essaie de lui prouver que je veux une franche collaboration entre nous et lui fais voir les défauts du système avant de lui parler des remèdes.

Je crois que nous nous entendrons et je vais dormir pour ce soir dans un lit. C'est le 26 juillet.

Le 27 juillet, je passe ma journée à organiser le secteur. Il convient tout d'abord de faire le tour des possibilités et de les utiliser méthodiquement. Ceci demande une étude approfondie des moyens dont je dispose et mon périple des jours derniers me permet de juger en connaissance de cause.

Le Terrain

Le secteur mesure 70 km d'ouest en est et 45 km du nord au sud. Notre mission est actuellement de harceler l'Allemand, là où il passe, et d'atteindre son moral en créant une zone d'insécurité à l'intérieur de son dispositif. Les voies principales de circulation allemandes sont :

- la vallée du Cher où la voie ferrée Vierzon-Tours prend une grande valeur de « pénétrante ». Elle longe le secteur sur 50 km et m'offre un champ d'action étendu ;

- la voie ferrée Issoudun-Vierzon est l'aboutissant d'une rocade Toulouse-Paris ; elle traverse mon secteur à l'Est. Nous aurons à travailler dans ce coin ;

- les routes nationales qui traversent le secteur se nouent à Valençay - Vatan - Levroux. La nationale 76 au nord du Cher fait aussi partie de mes objectifs pour l'interdiction de la vallée du Cher ainsi que la route Châteauroux-Vierzon au nord d'Issoudun.

En résumé, je distingue trois grandes zones d'action :

1° Vallée du Cher sur 70 km ;

2° Vallée de l'Arnon sur 25 km ;

3° les noeuds routiers du centre du secteur.

À chacun de ces objectifs correspond un ou plusieurs massifs boisés :

1° Forêts de Gâtine et de la Taille de Ruines ;

2° Forêt de Font-Moreau (Cher) ;

3° Forêt de Levroux et Vatan.

À vrai dire, seules les forêts du Cher (Font-Moreau) sont vastes et assez touffues pour préserver des hommes non armés. Les autres doivent abriter des hommes bien armés en raison de leur perméabilité et de leur peu de superficie. Ceci m'amènera à grouper mon armement dans mes groupes de l'Ouest et armer les groupes de l'Est ensuite.

En fonction de toutes ces considérations, je dessine sur la carte quatre sous-secteurs (87).

Le premier aux ordres de Conte occupe les forêts de Vatan-Levroux et choisira ses objectifs sur les routes nationales du centre.

Le second orienté vers la vallée du Cher logera en forêt de Gâtine.

Le troisième plus à l'est aura ses quartiers dans la Taille de Ruines et ses objectifs de Villefranche-sur-Cher à Vierzon.

Le quatrième dans les bois de Font-Moreau opérera sur la voie ferrée et les routes au nord de la vallée de l'Arnon. C'est Vannier qui le commandera.

Pour les deux secteurs II et III, je n'ai pas encore de chef capable. Je demande à Pauline de me présenter des candidats que je choisirai.

La Troupe

J'ai déjà donné l'ordre partout d'intensifier le recrutement. Nos armes qui sont encore en sapes (88) doivent trouver des servants. C'est alors une campagne d'affiches (89) qui m'attire des désagréments avec Alex. Il se considère comme le maître du lieu et prétend que je lui enlève ses recrues. De longues palabres dans la tente du chef F.T.P. s'engagent. Lui parle de moyens inélégants ou de pression employés par mes maquis. Mais il ne parle que d'après renseignements rapportés par ses hommes, car il ne quitte jamais son maquis. Trompé et abusé, il me fait des reproches de bonne foi et il est impossible d'arriver à un accord.

La propagande continue cependant et les recrues affluent. Les jeunes paysans demandent quelques fois quelques jours de sursis pour terminer les moissons. Ils viennent passer deux ou trois heures au maquis et manient leurs armes qu'ils emmènent quelques fois chez eux. Nous pouvons faire appel à leur concours pour des coups de main ou des sabotages. Ils sont prêts.

L'encadrement devient un problème. Nous manquons de chefs qualifiés et il manque encore deux chefs de sous-secteurs. Mais le mal va trouver un remède par lui-même.

Notre début méthodique, notre campagne de recrutement par affiches imprimées, les convocations aux jeunes gens ainsi que des opérations réussies (90) nous ont fait une bonne propagande d'organisation et notre renommée dépasse les limites du secteur.

Du Loir-et-Cher, je vois arriver un jour le chef départemental F.T.P. - 5 août, contact avec Chassagne (91) qui veut collaborer avec moi. Craignant des complications avec Alex, je le mets en rapport avec celui-ci. Mais Boisiau (92) préfère se mettre sous mes ordres avec ses hommes venus du Cher et je lui confie le sous-secteur de Valençay.

De Vierzon où la résistance ne paraît pas organisée, on me propose un capitaine d'infanterie coloniale pour encadrer les recrues venues de ce pays. C'est le capitaine Goumain (93) qui prendra le sous-secteur III.

Pour les petits commandements, nous avons des écoles de cadres chez Conte et à Valençay et dans les recrues, nous recevons quelques chefs de section ou de groupe.

Tout ce monde est mis immédiatement à l'instruction. Les anciens font office d'instructeurs et d'entraîneurs. Au bout de quelques jours, ils partent en mission de sabotage ou d'embuscade avec les anciens. C'est ainsi qu'on forme des sections de trente hommes vivant sous les parachutes montés en marabouts. Chaque section comprend deux tentes de quinze hommes. L'armement est de trois F.-M. et les armes individuelles sont données suivant nos ressources. Madame Pauline commande des bazookas pour doter chaque section d'une arme anti-char, mais nous les attendons encore.

À chaque visite dans les maquis, je constate avec joie que notre organisation marche bien. Les groupes s'étoffent, les hommes travaillent joyeusement, la discipline est acceptée et chacun veut tuer son Boche.

Commandement

L'étendue du secteur, les objectifs dispersés, le nombre d'hommes et les moyens dont nous disposons posent le problème des liaisons rapides et sûres. J'ai décentralisé au maximum l'administration en déléguant aux chefs de sous-secteur le pouvoir de réquisition, de ravitaillement en vivres. J'affecte aux capitaines les terrains de parachutages et leur demande de constituer une équipe spéciale et sûre pour ces opérations délicates, mais je veux absolument diriger moi-même l'action pour obtenir la cohésion, être sûr de l'opportunité des engagements et assurer dans mon secteur l'efficacité maximum. Pour cela, je songe au téléphone. Il est très incommode : le réseau est saboté en nombreux points ; mon secteur est à cheval sur trois départements et il faut passer par plusieurs centraux pour une communication de quelques kilomètres. Je dois renoncer à ce moyen et je charge Kneper de mettre sur pied un système d'agents cyclistes ou motos qui porteront des plis.

Chaque jour, les sous-secteurs m'enverront un agent à 8 heures du soir. Ces agents se rendront à un point de chute à un kilomètre du P.C. Ils trouveront mon secrétaire et remettront leurs plis, puis iront coucher au maquis le plus proche à deux kilomètres. Le lendemain à 8 heures, ils repartiront pour leurs P.C. respectifs munis des ordres et instructions. Ainsi, chaque soir, je suis au courant de ce qui se passe dans mon secteur. J'examine le courrier et je réponds dans la nuit. Il n'y a pas de perte de temps. Pendant mes nombreuses absences, Mme Pauline et mon adjoint Mercier font le travail suivant mes indications. Ces dispositions m'ont donné toute satisfaction.

Comme il me faut des renseignements, je songe au réseau qui doit me les fournir. Avant de quitter Châteauroux, j'ai donné à Darras l'ordre de constituer un centre de renseignements. Il est chargé de trouver les moyens de liaison avec Valençay où je recevrai ses renseignements.

De Saint-Aignan à Selles, Robert (94) connaît quantité de personnes qui lui signaleront les mouvements des ennemis.

De Romorantin, nous aurons aussi des renseignements sûrs grâce à un agent bien placé qui nous tiendra au courant des faits et gestes des S.S.

Vierzon et Bourges sont également surveillés par les nôtres qui passent le Cher chaque jour pour nous tenir au courant des intentions ennemies.

Ainsi, les principales directions sont gardées et nous ne serons jamais complètement surpris par les incursions et colonnes de représailles. Les renseignements arrivent directement aux sous-secteurs qui doivent les exploiter et, s'ils méritent d'être diffusés, leur diffusion émane du P.C. de secteur.

Un problème épineux est celui de l'intendance, du ravitaillement et des réquisitions. J'entends que les commandants de sous-secteurs doivent assurer la nourriture de leurs hommes par achats dans le pays sur la base de trente francs par jour et par individu. En cas de refus opposé par un fournisseur, les chefs de sous-secteurs achèteront de force en ménageant toutefois les besoins de la population civile.

L'habillement sera fourni par le P.C. qui a un intendant, le lieutenant Michel. Cet officier se met en rapport avec des manufactures qui habillaient la Milice et les Chantiers. Elles seront payées par bons de réquisition.

L'argent servant à la vie des maquis sera donné par le P.C. et lui seul pourra s'en procurer soit :

- par emprunt à Mme Pauline ;

- par envoi du chef départemental ;

- par réquisition chez des habitants (banquiers, collaborateurs ou riches commerçants).

Les réquisitions de matériel seront faites par des officiers, un par compagnie, à qui je donne une commission numérotée qui sera présentée aux fournisseurs. Toutes les autres opérations seront assimilées au pillage et passibles de sanctions.

Ainsi je pense obtenir une tenue qui facilitera l'établissement d'une bonne discipline. Chacun est responsable de ses actes et ceux-ci sont contrôlables. L'état d'anarchie relative que je trouvai en entrant au secteur est définitivement réglé et mon influence est forte.

Le service de santé est précaire. Je connais l'existence du docteur AS(95) qui se cache à Dun-le-Pöelier et qui est, paraît-il, accrédité par Alger. Mais il prétend n'avoir qu'une mission de contrôle et d'organisation. Je m'adresse alors au docteur Bertoli (96) qui visite déjà les maquis de Valençay. À ma demande, il entre complètement en maquis et organise des postes de secours sous la tente. Il contacte l'hôpital de Valençay où il pourra opérer pour les interventions légères et moyennes. Nous savons qu'à Romorantin, un chirurgien accepte de se déplacer. Toutes facilités lui sont fournies pour passer la ligne de démarcation. Le docteur Jalibert de Vierzon vient nous rejoindre aussi dans les bois. Chaque sous-secteur réquisitionne une ou deux camionnettes pour faire les évacuations et nous demandons à Londres de nous parachuter des pharmacies. Nous obtenons ainsi une organisation complète du service de santé.

Une fois l'organisation intérieure arrêtée, il faut s'intéresser aux rapports extérieurs. J'ai déjà fait connaissance avec Alex. Il est impossible de coordonner nos efforts. Un projet de P.C. commun est séduisant. Encore faudrait-il qu'on puisse entrevoir une unité de vue entre nous. Je n'y crois pas, mais j'envisage de juxtaposer les P.C. espérant que nos contacts amèneraient une bonne compréhension. Mais Alex ne veut pas sortir de son maquis. Je devrais donc me tenir à proximité de sa tente et parmi ses hommes. D'autre part, il faudrait que Pauline consente à nous suivre. Pour beaucoup de raisons, nous n'arrivons pas à un résultat. D'abord, les maquis d'Alex n'offrent pas une sécurité suffisante contre l'Allemand car ils sont mal choisis. De plus, nous serions un peu trop au contact des commissaires politiques F.T.P. et nous n'aurions plus notre liberté de réflexion (97). Nos rapports se limitent donc à des visites de bon voisinage, aux lettres quotidiennes d'Alex à Pauline et à leurs réponses. Je suis au courant de cette correspondance car dès les premiers jours, je suis pris à parti par le chef F.T.P. Il reproche à Pauline d'être influencée par moi ou me reproche de subir l'ascendant d'une Anglaise.

Vers l'Ouest, j'ai un voisin turbulent, le célèbre Lecausse (98) qui terrorise la région de Loches. Les méthodes n'étant pas orthodoxes, je n'ai pas de liaisons avec lui.

Au nord, c'est le Loir-et-Cher totalement inorganisé, mais qui possède trois colonels et deux ou trois cents malgaches. Un jour, je passe le Cher avec Pauline et nous rencontrons près de Romorantin un agent anglais (99) qui se plaint de ne savoir à qui s'adresser et qui entre lui-même dans la danse en créant un groupe franc avec lequel il chasse le Boche et le milicien. Il sera tué quelques jours plus tard à un barrage. Je n'entendrai parler de ce département résistant qu'après sa libération. C'est à ce moment qu'on verra sortir des jeunes gens nouveaux de quelques jours au maquis, mal équipés et peu expérimentés. Ils défileront aux fêtes de libérationS

A l'est, c'est le département du Cher dont j'ai une partie. Un jour d'août, ce département enfante un colonel appelé Benoît (100). Il est authentiquement galonné, connaît la région parce qu'il y a commandé le 1er R.I. Il est resté en relations avec ses officiers et, muni de papiers officiels, revient pour organiser la Résistance. Il me convoque à Reuilly (101) et j'assiste avec Vannier à la comédie la plus drôle du maquis. Notre grand officier aux moustaches cosmétiques et flanqué de trois lieutenants me tient ce langage :

« Vous avez organisé avec Vannier un coin de mon territoire. C'est gentil, mais il faut me le céder maintenant avec chef, hommes, armes et bagages. J'ai commandé six départements dans le Morvan (102) et j'ai l'expérience. Les maquis ? Folie, il faut disperser les hommes dans les fermes et lorsqu'on envisage des coups de main, on les rassemble, on les armes, ils sont prêts. »

J'ai visiblement affaire à un m'as-tu-vu qui manifeste son courage par une série de précautions ridicules, qui n'ont qu'un effet : celui de rendre inopérante la résistance. Je refuse catégoriquement de céder mon sous-secteur IV. D'ailleurs Vannier s'oppose à une mise en demeure aussi effrontée.

Mais notre stratège cherche la corde sensible chez le vieux soldat que je suis. Il parle de son dispositif d'attaque sur Bourges. Mais il n'a pas de troupe. Il parle discipline et valeur militaire. Malheureusement pour lui, je ne crois plus à ces sornettes et il s'en va les mains vides.

Heureusement, le sud du secteur est bouclé par les organisations de l'Indre (103) et la liaison avec elles se fera par le P.C. départemental.

Après l'appel du général de Gaulle (104), les paysans affluent, les moissons s'avancent et ils ont ainsi concilié leur devoir civique et leur devoir patriotique.

Un jour, l'attaque d'un train de prisonniers de guerre nous fait embrigader d'un seul coup 160 Sénégalais (105). L'Empire est représenté dans nos maquis. Par la suite, nous trouvons dans nos effectifs des déserteurs de l'armée allemande (106) et du 1er Régiment de France (107) : Polonais, Russes, Italiens, Belges, Hollandais, Luxembourgeois sont des soldats aguerris et précieux car ils connaissent les méthodes de commandement ennemi. Notons encore quelques femmes et spécifions que le plus jeune maquisard a 15 ans, le plus vieux 68 ans. En visitant les camps, j'ai l'impression que tout ce qui vit sainement et librement se soulève contre le Boche.

Les plus modestes font du meilleur travail, ils amènent des recrues ou, comme à Maray, forment un groupe de quarante hommes qui s'arme, s'organise lui-même et vient se mettre à mes ordres tout prêt.

Mon rôle demande aussi que je m'introduise dans les administrations publiques ou privées. Le ravitaillement des agglomérations m'est imputé. La distribution du courant électrique ne se fera que sur mon ordre. Les paysans voudraient savoir si j'autorise les battages. Je dois me prononcer pour le pain blanc, le blutage de la farine, l'abattage des bovins et les transports publics (108).

Pour ces questions qui demandent une technicité et une habitude que je n'ai pas, je constitue dans les cantons des commissions de trois membres qui soumettent leurs projets à ma signature. Je trancherai les dif-férends au cours de mes passages et souvent pendant les repas, où les intéressés viennent en foule chercher un ordre, un conseil ou une autorisation. Il faut toujours une réponse favorable et si elle n'est pas une solution parfaite, je la modifierai la prochaine fois.

Un autre souci que me procure le « pétrin », c'est qu'il a dans ses rangs les dangereux. Nous classons dans cette catégorie les bavards, les dénonciateurs, les miliciens ou agents de la Gestapo. Pour les chasser, nous comptons d'abord sur l'opinion publique. Mais, après quelques échecs, je forme une police dans chaque village. C'est le premier élément des gardes patriotiques. Ainsi, nous détectons des suspects. Nous procédons à des arrestations qui nous posent le problème des prisons pour hommes et pour femmes. Les bois de Font-Moreau sont assez profonds et peu connus, ils sauvent la situation et Vannier est geôlier en chef (109).

La tâche est immense mais je trouve tant de bonnes volontés qu'en quelques jours j'ai mis sur pied mon administration civile et militaire. Par la suite, je n'aurai qu'à apporter des retouches et lorsque les ordres du C.D.L. me parviendront, ils seront diffusés et appliqués sans heurt.

Dans le cadre des dispositions prises, notre vie de maquisards prend un air d'organisation. On doit la modifier ou la retoucher sur bien des points pour régler les situations éventuelles et inopinées. Mais l'ensemble durera jusqu'à l'entrée des troupes en caserne. Le succès est basé sur la valeur de chacun, sur son esprit d'initiative et la camaraderie parfaite. Aussi, le secteur est bientôt fortement soudé et possède malgré tout la souplesse nécessaire à sa tactique.

Les chefs de sous-secteur sont des résistants qui côtoient leurs hommes depuis si longtemps qu'ils les comprennent parfaitement. Chacun a sa façon de voir et son caractère propre : aussi les sous-secteurs sont-ils bien différents d'aspect.

Chez Conte, la discipline et l'ordre militaire pénètrent partout. L'élément civil vient de lui-même à cette éducation et mon inspection chez lui révèle des bureaux bien agencés, une armurerie ordonnée, des services qui tournent comme une montre et une popote traditionnelle (110).

Chez Boisiau, on note deux aspects, l'un chez les C.F.L. (111) est militaire, chez les F.T.P., plus de laissez-aller mais partout, le souci d'une instruction solide et une émulation très franche entre les deux clans.

Émile, colonial de profession, aime le confort et le tape à l'oeil, aussi préfère-t-il les châteaux aux forêts. Ces hommes font de la manoeuvre à pied et défileront noirs et blancs avec beaucoup d'allure. Le chef se trouve une superbe voiture et pense que le prestige a sa valeur.

Vannier, enfant du pays, est influent et bonhomme. Pour la plupart de ses hommes, c'est Monsieur Paul. Il les aime bien et veut leur procurer du bien-être et de la gloire. Aussi il est si affairé qu'il mobilise sa famille et sa maison. Tout le monde est dans le bain. Suivant son exemple, sa ville de Reuilly toute entière travaille pour le maquis.

Nos commandants de compagnie sont moins marqués. Cependant, on remarque ceux qui ont formé leur unité d'un petit groupe qui s'agrandit. Ils ont recruté eux-mêmes les premiers éléments et conservent leur air de chef de bande. Les autres, mis en fonctions par leur savoir militaire, conservent leur attitude de quartier et commandent sec. Ces observations m'amènent à prononcer des mutations pour mettre sous les ordres d'un chef les hommes qui lui conviennent.

Quant aux hommes, ils sont encore plus divers ; les premiers en maquis furent les réfractaires au S.T.O. En quelques mois de vie sylvestre, les fils de bourgeois et les ouvriers, les paysans et les étudiants se lièrent fortement. Mais ces communautés improvisées laissaient à chacun le soin de se caser là où il se sentait le plus à l'aise : un braconnier au ravitaillement, un étudiant à la comptabilité ; le cultivateur fait la cuisine et l'ouvrier d'usine coupait le bois et arrangeait la baraque.

Quand on est chef de secteur, on doit compter encore avec un autre élément. C'est le civil. Il est représenté par les chefs locaux de la résistance. Chacun a sa personnalité, ses buts et ses moyens. Les plus éminents sont d'anciens édiles limogés par Vichy et qui trouvèrent dans une résistance plus ou moins active un dérivatif. L'un recherche ses électeurs, l'autre ses clients. Le troisième est plus jeune et se crée une popularité qui lui permettra avec les lois de la IVe République de faire une carrière.

Le sentiment patriotique n'est pas tout à fait absent, mais s'il est souvent évoqué dans les appels et les conversations de ces braves gens, on sent qu'il est au second plan de leurs préoccupations.

À Graçay, un ancien maire et conseiller général (112) mobilise déjà ses forces électorales avec une distribution d'armes et de tabac. Mais quand j'appelle ses hommes dans les bois, il me fait observer qu'il est plus F.T.P. qu'A.S. Comme je l'envoie à Alex, il prétend appartenir au Cher. Quand il est poussé dans ses retranchements, il parle d'une décision à prendre par le comité F.N. (113) de Vierzon. Ainsi, il gagne plusieurs semaines pendant lesquelles des armes rouillent tranquillement derrière les fagots des électeurs.

À Luçay-le-Mâle, je vois surgir un ancien maître d'armes qui s'intitule capitaine Louis. Il a un maquis et des volontaires pour le grossir. Il a aussi un chef militaire et me propose de former un groupe solide qu'il mettra sous mes ordres. En fait, « son » maquis est un maquis déjà compris dans le secteur, ses volontaires sont ceux que nous comptons déjà comme futurs soldats et son officier de valeur est un lieutenant que je viens de limoger pour indélicatesse. Mais, à un chef qui n'est pas toujours sur place, il faut huit jours pour découvrir cela.

D'autres caïds de village me font perdre beaucoup d'heures précieuses en palabres inutiles. Et pourtant, ce sont eux qui ont les armes, et ils veillent sur leur sommeil.


NOTES

(1) Il s'agit du camp de la Martinerie (à cheval sur les communes de Diors et de Déols) où stationnaient des unités de l'armée d'armistice.

(2) Jean Gigodot est né le 20/12/1893 à Villebon (Ain). En 1942, il est colonel dans l'armée de l'Air et commande la base aérienne de la Martinerie. Après sa démobilisation, il exerce en 1943 la profession de négociant et habite toujours Châteauroux. En mai 1944, il est recherché par la police allemande.

(3) L'armée d'armistice disposait de pièces d'artillerie assurant une défense anti-aérienne (D.C.A.).

(4) Émile Ricard est né le 26/01/1888 à Chartres (Eure-et-Loire). En 1942, il est général de division et commande la 9e Division Militaire. Il continue à résider à Châteauroux jusqu'en 1944.

(5) Depuis la défaite de juin 1940 et la réorganisation de l'armée française en zone sud, Châteauroux était le chef-lieu de la 9e Division Militaire.

(6) Né le 5/10/1912 à Clonange (Moselle), Charles Muller est lieutenant au 404e R.A.D.C.A. en 1942. Démobilisé, il occupe un emploi de comptable et réside à Déols. Il devient alors membre de l'O.R.A. dans l'Indre.

(7) Henri Fournier est né le 22/09/1912 au Breuil (Saône-et-Loire). En 1942, il est lieutenant d'active au 404e R.A.D.C.A. et il reste castelroussin après son congé d'armistice.

(8) Le 11 novembre 1942, l'entrée de la Wehrmacht en zone sud avait été décidée par Hitler à la suite du débarquement des Anglo-américains en Afrique du Nord. L'Amiral Darlan, dauphin du Maréchal, se trouvait alors en visite officielle en Algérie : après avoir donné l'ordre aux troupes françaises de résister, il fut le principal interlocuteur des Alliés jusqu'à son assassinat à Alger en décembre 1942.

(9) Un « Ausweiss » est un laissez-passer délivré par les autorités allemandes.

(10) Les G.M.R. étaient les Groupes Mobiles de Réserve, corps chargés du maintien de l'ordre. Ils dépendaient de la police nationale et relevaient du ministère de l'Intérieur. Il ne faut pas les confondre avec les gendarmes « gardes » mobiles.

(11) En janvier 1973, Francis Perdriset expliquait : « Nous devions leur remettre les batteries de D.C.A. intactes [S] Une fois la surveillance relâchée, nous sommes allés jusqu'aux canons et nous avons versé de l'acide chlorhydrique dans les tubes. Les Allemands ne s'en sont pas aperçus. Ils ont emporté des pièces qui étaient tout à fait inaptes au tir [S] Nous avons entreposé (du matériel de transmission) dans les caves de la Poste [S] Nous avons ensuite récupéré des camions, des motos et un tracteur à chenilles que nous avons camouflés dans la propriété du comte de Gontaut-Biron [à Diors] qui se trouvait sur la route après la Martinerie. » (cf. Michel Jouanneau, Mémoire d'une époque, Indre 1940-1944, Histoire de l'Occupation et de la Libération, tome 1 : juin 1940-juin 1944, Châteauroux, 1995, p. 266).

(12) L'O.R.A. (ou Organisation de la Résistance de l'Armée) est un mouvement de résistance créé en décembre 1942 après la dissolution de l'armée d'armistice par des officiers d'active démobilisés. Les membres de l'O.R.A. préparèrent longuement leur entrée en action (constitution de dépôt d'armes, recrutement de cadres, constitution de petits camps, notamment dans la Brenne), mais ils ne furent véritablement actifs dans l'Indre qu'après le débarquement du 6 juin 1944.

(13) Il s'agit vraisemblablement du colonel Raymond Chomel de Jarnieu, né le 5/09/1897 à Fourmies (Nord), et officier d'active. En 1940, le commandant Chomel est le chef d'Etat-major de la 4e division cuirassée sous la direction du général de Gaulle. Après la défaite, il devient chef d'état-major de la 9e D.M. dont le siège est désormais à Châteauroux. En décembre 1942, il est chargé de la démobilisation de l'armée dans la 9e D.M., prend la tête de la Section Militaire de Liaison à l'Hôtel Thermal de Vichy et est nommé inspecteur de l'Université Jeune France. Dès cette époque, le colonel Chomel organise l'O.R.A. dans l'Indre (sauf le secteur d'Issoudun). Il constitue un réseau d'officiers prêts à entrer en action, mais dont l'activité avant le 6 juin demeure limitée par rapport à l'A.S. et aux F.T.P. Il entre dans la clandestinité au début du mois de mai 1944 sous le pseudo de « commandant Charles ». Le 20 juin, à la suite de la réunion de Chérines près de Mézières-en-Brenne, il devient chef d'état-major des F.F.I. de l'Indre. Durant l'été 1944, il constitue et commande la Brigade Charles Martel (troupes mobiles) avec des formations de l'O.R.A., des groupes de l'A.S. auxquels l'O.R.A. fournit des cadres et des éléments de l'ex-1er Régiment de France passés à la Résistance. Le 10 septembre, il est à Issoudun pour représenter l'armée française et contresigner l'acte de reddition du général Elster.

(14) Né le 11/02/1901 à La Roche en Breuil (Côte-d'Or), Pierre Mercier est lieutenant de réserve dans l'aviation et, en 1943, il dirige le centre d'orientation professionnelle (appelé aussi centre des jeunes travailleurs) de Chauvigny (Vienne). Portant le pseudonyme de « Junot » dans l'A.S., il est arrêté avec son ami Perdriset le 17 janvier puis libéré à Limoges le 8 février. Il est « mis en veilleuse » jusqu'à la veille du débarquement où il devient trésorier de l'état-major restreint mis en place par Mirguet. Durant l'été 1944, il rejoint Perdriset dans le secteur F.F.I. Nord-Indre et assume le rôle d'adjoint sous le nom de capitaine « Bourguignon ».

(15) Peut-être s'agit-il du sergent-major d'aviation Henri Leroy, né le 17/11/1917 et arrêté pour détention d'armes par la Gestapo le 11 avril 1943 à Issoudun. Conduit à Châteauroux, Limoges puis Compiègne, il est déporté le 17 septembre 1943 à Buchenwald, puis à Dora et enfin à Bergen-Belsen. Il rentre en France en mai 1945.

(16) Charles Alexandre est né le 23/09/1909 à Mazamet (Tarn). Capitaine d'artillerie en 1942, il officie à la batterie 258 du 404 R.A.D.C.A. En congé d'armistice, il devient agent commercial à la Distillerie du Berry de Montierchaume. Membre de l'A.S. sous le pseudo de « Malauze », il est arrêté le 17 janvier 1944 à son domicile du château du Mez (Montierchaume) par des policiers allemands. Interrogé à Châteauroux puis transféré à Limoges, il est libéré le 8 février 1944 ; « Mis en veilleuse » jusqu'à la veille du débarquement, le « commandant Malauze » devient chef du bureau Opérations de l'état-major restreint mis en place par Mirguet et il entre dans la clandestinité au moment du débarquement. Après la guerre, il exerce la profession de tanneur à Mazamet.

(17) Pseudonyme du capitaine Alexandre.

(18) Sous l'Occupation, Jean Delalez est instituteur à Obterre. Né le 8/11/1913 en Meurthe-et-Moselle, il est en 1943 responsable des maquis puis du service C.O.P.A.-S.A.P. dans l'A.S. Arrêté dans sa classe le 26 février 1944 par la Gestapo, il est emmené à Tours puis à Compiègne avant sa déportation le 4 juin 1944 à Neuengamme (Allemagne). Le 3 mai 1945, il meurt noyé en rade de Lübeck à la suite du naufrage du « Thielbeek », navire bombardé par des avions alliés (cf. Briais Bernard, « Un résistant exemplaire : Charlemagne d'Obterre », La Bouinotte, n°26, hiver 1988, p. 11 à 15).

(19) L'A.S. ou Armée Secrète est la branche militaire des M.U.R. (Mouvements Unis de Résistance) qui résultent de la fusion de trois mouvements, « Combat », « Libération » et « Franc-Tireur » à la fin de l'année 1942.

(20) A partir de l'automne 1943, le chef départemental de l'A.S. n'est plus le capitaine André Petit (pseudo « Patrick ») arrêté le 23 (ou 24) août 1943 en gare de Châteauroux. Le capitaine René Antoine lui succède avec le pseudonyme de « Carpi ». Né le 28/04/1908 à Paris (12e), Antoine est l'ingénieur ordinaire du service bâtiment à la Chefferie du Génie de Châteauroux. Membre de la résistance depuis juillet 1942 (avec le capitaine Jules Delaire, également de la Chefferie du Génie), il est arrêté à Châteauroux par la Gestapo le 28 avril 1944, est torturé à coups de cravache par Sutter avant d'être transféré à Limoges et déporté en Allemagne.

(21) Vaste place située dans le centre-ville de Châteauroux.

(22) Gontran Royer dit « Pierrette » ou « Raffin » était le responsable régional du service maquis de l'A.S.. Il est arrêté par la Gestapo en décembre 1943 ou au début janvier 1944.

(23) Robert Jallet, alias « Cravate » puis « Clovis », était né le 25/07/1890 à Meulan (Seine-et-Oise). Ancien combattant de la Grande Guerre, titulaire de la médaille militaire et de la Croix de Guerre, il arrive de Paris et s'installe à Châteauroux, pour diriger une entreprise de travaux publics, la S.C.O.T. (Société coopérative des ouvriers et techniciens du bâtiment). Principal animateur de « Libération » dans l'Indre en 1942, co-responsable avec Robert Monestier des M.U.R. de l'Indre à partir de janvier 1943, il s'occupe notamment des contacts et de la recherche de fonds. Membre du Comité Départemental de Libération clandestin, il est arrêté le 24 (ou 26) mai 1944 et emmené à Limoges. Le 22 août, il est libéré dans cette ville par la Résistance. Il meurt dans la nuit du 23 au 24 mars 1945.

(24) Claude Gérard (pseudo « Claude ») était une jeune femme rapatriée de Moselle. Entrée dans la résistance dès la fin de 1940, elle est responsable régionale du service maquis de l'A.S. à partir d'avril 1943, puis elle partage cette charge avec Gontran Royer (« Pierrette ») de septembre à décembre 1943. Le 26 mai 1944, elle est arrêtée à Châteauroux devant le domicile de Robert Jallet (« Clovis ») par la Gestapo, torturée et transférée à Limoges où elle sera libérée le 22 août.

(25) Les F.T.P.F. étaient Francs-Tireurs et Partisans Français, c'est-à-dire une formation d'obédience communiste créée au printemps 1941 et composée de résistants armés et actifs. L'affirmation de Francis Perdriset est erronée : dès le début de 1943, un embryon de maquis F.T.P. existait dans la région de Dun-le-Poëlier.

(26) Né en 1921, Robert Vollet devient membre du mouvement « Combat » (constitutif des Mouvements Unis de la Résistance ou M.U.R.) sous l'Occupation. Il est instruit dans une école de formation des cadres de l'A.S. établie dans le Jura. Au printemps 1943, il est affecté au service national Périclès qui s'occupe de l'entraînement des chefs de groupes et il se voit confier la responsabilité de la région militaire 5 (Limousin, Berry). À la fin de l'année 1943, il arrive dans l'Indre pour assurer l'instruction militaire des membres de l'A.S. D'octobre 1943 à juin 1944, il vit dans la clandestinité, sillonne les routes du département et parvient à faire fonctionner plusieurs écoles temporaires de cadres. À partir du débarquement, le colonel Mirguet décide de résider dans la région du Blanc qu'il connaît bien et Robert Vollet doit alors coordonner l'action des secteurs de l'A.S. situés à l'est de Châteauroux - Argenton : c'est ainsi que lieutenant-colonel « Robert » forme et commande le G.I.E. (Groupe Indre-Est) durant l'été 1944. Il est également membre de l'Etat-Major départemental F.F.I. et du C.D.L. À la Libération, il anime le M.L.N. (Mouvement de Libération Nationale) dans l'Indre et devient rédacteur en chef de l'hebdomadaire Le Bazouka (1944-1947). Désormais journaliste, il préside la Résistance Unifiée de l'Indre et est secrétaire national F.F.I.-A.S. en 1949 avant de devenir par la suite secrétaire national de l'A.N.A.C.R. (Association Nationale des Anciens-Combattants de la Résistance).

(27) Né le 7/06/1897 à Mézières-en-Brenne, Roger Morève est négociant en grains, agent d'assurances et propriétaire. En avril 1939, il succède à son père comme maire radical-socialiste de Mézières-en-Brenne et exerce cette charge jusqu'en 1971, date à laquelle il ne se représente pas. Sous l'Occupation, il participe aux entreprises de divers mouvements de résistance (A.S., O.R.A.) notamment en prêtant ses camions. Membre du C.D.L. clandestin, il est arrêté par la Gestapo le 1er juin 1944. Selon des témoignages divergents, il s'évade de la prison de Limoges, ou bien il est libéré le 25 juillet sur l'intervention du chef régional milicien Jean de Vaugelas, originaire de Mézières. Morève se met alors au service de l'A.S. dans la Haute-Vienne et ne revient dans l'Indre que le 25 août. Adhérent du M.L.N. (Mouvement de Libération Nationale) en 1945, il est surtout président de la fédération départementale du parti radical-socialiste de 1945 à 1948 et est alors classé dans la mouvance de gauche de son parti. Spécialisé dans les questions agricoles, il entame à la Libération une carrière politique marquée par l'exercice de nombreux mandats électifs : conseiller général du canton de Mézières de 1945 à 1973, député de l'Indre de 1951 à 1958 (battu en 1958 dans la circonscription Le Blanc-Valençay par l'indépendant Bénard), sénateur de l'Indre de 1958 à 1971 (en remplacement de René Caillaud devenu député, réélu en 1961 mais battu en 1971).

(28) L'école-maquis est installée près de Mézières dans une ferme abandonnée au lieu-dit le Pessilot et elle fonctionne en décembre 1943 avec une première équipe d'instructeurs (Blandon, Labat, Montcassin et Sicard). Mais l'endroit est rapidement repéré par la brigade de gendarmerie de Buzançais et il doit être évacué. Dès janvier 1944, une nouvelle équipe du Service National des Cadres A.S. (Achille Lespagnol, Jacques Borie, Roger Barras) est en place aux Caves de Tranger près de Clion et elle y demeure jusqu'à la mi-février, époque à laquelle la Milice et un détachement de G.M.R. déclenchent une vaste opération de ratissage dans cette région.

(29) Achille Lespagnol alias « Achille » est originaire de Saint-Symphorien-sur-Coize (Rhône). Licencié en mathématiques, il est mobilisé en 1939, fait le peloton des E.O.R. aux camps de la Courtine et du Larzac et devient chef de secteur au 159e R.I. Alpins à Grenoble. Démobilisé, il rejoint l'école nationale des cadres du maquis dans les Alpes, puis gagne le Haut-Jura où il commande un groupe de quarante maquisards. En janvier 1944, il appartient à la mission « Périclès » et rejoint « Robert » dans l'Indre, où il donne de nombreux cours d'instruction militaire dans diverses localités du département (Issoudun, La Châtre, Neuvy-Saint-Sépulchre, Reuilly et Châteaumeillant). À partir du débarquement, le lieutenant « Achille » commande les troupes mobiles du G.I.E. (Groupe Indre-Est). Il s'engage ensuite pour la durée de la guerre comme officier d'active. Après la Libération, il exerce le métier de professeur de mathématiques.

(30) Perdriset semble faire allusion à Roger Aubertin, pseudo « Bastien » ou « Chassepot ». Fils d'un cheminot de Montigny-les-Metz, ce jeune homme avait quitté les siens pour échapper à l'annexion allemande et s'était réfugié en Charente puis dans l'Indre. Hébergé à Aigurande chez l'instituteur Régnier, il gagne le maquis de Levroux-Vatan au moment du débarquement mais meurt dans un accident de voiture en juillet 1944.

(31) Vocable habituel employé par les autorités allemandes, le Gouvernement de Vichy et la presse officielle pour désigner les résistants.

(32) Le Groupement 34 des Chantiers de Jeunesse était installé depuis août 1940 dans la région de Mézières-en-Brenne.

(33) Titre donné aux responsables de l'encadrement dans les Chantiers de Jeunesse, souvent des anciens officiers ou sous-officiers d'active.

(34) Gaétan Mauduit alias « Julien » est né le 5/02/1918 à Poulaines et fréquente l'E.P.S. de Saint-Aignan. Devenu aspirant dans la Coloniale, il officie après la défaite de 1940 à l'École de Saint-Maixent repliée à Aix-en-Provence. À la fin de 1942, il est démobilisé aux Baux-de-Provence avec le grade de sous-lieutenant et il tente sans succès de passer en Espagne en compagnie de son ami Paul Chabot. Les deux hommes gagnent alors la région de Poulaines. Rapidement entré dans l'A.S. de l'Indre, Mauduit pratique un recrutement actif et entre dans la clandestinité dès l'automne 1943. En janvier 1944, il remplace Perdriset comme chef départemental « maquis » pour les M.U.R. à la suite de l'arrestation de ce dernier. Le lieutenant « Julien » participe à l'organisation des écoles de cadres (formation des cadres résistants), contacte de nombreux jeunes et place des réfractaires dans des fermes. Il appartient à l'état-major départemental que « Surcouf » met sur pied en mai 1944. Comme officier de liaison, il accomplit de nombreuses missions dans tout le département durant l'été 1944. Notamment, à la fin du mois de juillet, il intronise « Francis » comme commandant militaire du secteur Nord-Indre en le présentant à « Pauline » et aux divers chefs de maquis. À la même époque, il dirige l'évasion de plusieurs résistants blessés détenus à l'hôpital de Châteauroux.

(35) « Carpi », pseudonyme de René Antoine, chef départemental de l'A.S. (cf. note 20).

(36) « Jacques » est le pseudonyme de Jacques Auguste Trommenschlager. Entrepreneur en peinture dans la région d'Issoudun, il entre dans l'A.S. et est responsable du secteur d'Issoudun de 1943 au 8 mai 1944, date de son arrestation par la Gestapo à son domicile de Chatain, commune de Ségry. Emmené à Limoges, la date de sa libération est encore sujette à caution : a-t-il été relâché par les autorités allemandes au mois de juillet (selon certains témoins), ou bien est-il sorti de la prison de Limoges le 22 août dans la ville libérée par les forces de la résistance ? À la Libération, le capitaine « Jacques » commande la place d'Issoudun en compagnie du commandant F.T.P. Siméon Briant.

(37) Caserne située à Issoudun.

(38) Avant la dissolution de l'armée d'armistice en décembre 1942, le 1er R.I. résidait à Issoudun et dans la partie non occupée du Cher (est et sud du Haut-Berry). Sous l'autorité du colonel Bertrand, les cadres du 1er R.I. formèrent l'ossature de l'O.R.A. dans le Cher-Sud et dans le secteur d'Issoudun.

(39) Le chef de la brigade de gendarmerie de Buzançais était l'adjudant Marcel Morée. Soucieux d'obéir aux autorités officielles, ce sous-officier ferma les yeux sur certaines pratiques de la résistance à partir du débarquement, mais vers le 10 juin 1944, près d'Argy, il ordonnait la capture de deux aviateurs anglais et les conduisait à Châteauroux où ils étaient remis aux Allemands. Arrêté par les F.F.I. le 24 août 1944 à Châteauroux, il est détenu à la caserne Bordessoulle puis au camp de Douadic avant d'être remis aux autorités supérieures de la gendarmerie nationale en janvier 1945.

(40) La commune d'Obterre était un fief de la résistance animé par Jean Delalez (cf. note 18).

(41) Une trentaine est une unité constituée de trente résistants de l'A.S. Il existait également des sizaines (groupes de six personnes).

(42) C'est-à-dire respectivement Gontran Boyer « Pierrette » ou Claude Gérard « Claude », Robert Jallet « Clovis » ou Robert Monestier « Beaudoin », René Antoine « Carpi », Jean Delalez « Charlemagne », Mercier « Junot » et Francis Perdriset « Kléber ».

(43) Pierre Sutter était né le 19/06/1920 à Mulhouse (Haut-Rhin). Garçon de café, il entre dans la Gestapo de Périgueux, puis est muté à la Gestapo de Châteauroux en juillet 1943. Il torture les personnes arrêtées de diverses manières notamment avec un nerf de boeuf qu'il appelait « Félix ». Sutter quitte Châteauroux avec la Gestapo et, suivant le mot du commissaire du Gouvernement, « retourne sa veste » pour entrer au service du 2e bureau français où il réussit plusieurs arrestations. Défendu par Me Patureau-Mirand à la Cour de Justice de Bourges, il est condamné le 20/03/1946 à la peine de mort, à l'indignité nationale à vie et à la confiscation de ses biens. Il est exécuté le 9 mai 1946 (Arch. Dép. du Cher 939 W 99).

(44) Schmitt surnommé le « grand Schmitt » était un Allemand membre de la S.S. et de la Gestapo de Châteauroux en 1943 et 1944. « Dur, brutal, grossier, détesté de la population pour ses actes de violence, il est exécuté par les forces de la résistance à l'hôpital de Châteauroux après un accident de voiture . » (A.D.I. 773 W 72 - ZE 3275, rapport du capitaine Wiltzer.) Il existait également un autre Schmidt, le jeune mosellan Pierre Schmidt appelé le « petit Schmidt ». Il officiait comme interprète civil à la Gestapo de Châteauroux en 1943 avant de rejoindre Limoges.

(45) Le lieutenant S.S. (« S.S. Untersturmführer ») Metschler était le chef du détachement de Châteauroux de la section de police allemande à Limoges (« Sicherheitspolizei und S.D. in Limoges, Aussendienststelle Châteauroux »). Il a dirigé, voire participé à la plupart des opérations répressives et punitives entreprises contre le maquis, les fermes et les communes. Il réside à Châteauroux en 1943 et en 1944 mais s'absente dans les dernières semaines de l'Occupation où il est remplacé par Y.V. Königer. « Homme dur, brutal, froid, représentant exactement le type de l'officier S.S., craint de tous, y compris des services officiels français et même des services allemands, les fonctionnaires français ont tous été unanimes pour l'éviter le plus possible, car il leur répugnait de discuter avec cet homme sournois qui cachait ses sentiments, dont on ignorait absolument tout et qui était capable de tout. Un sentiment de mystère et d'oppression saisissait toute personne pénétrant au siège de la police allemande, immeuble qui a dû voir passer la majorité des victimes du S.D. [S] De nombreux détenus ont rapporté avoir été brutalisés par lui. » (A.D.I. 773 W 72 - ZE 3275, rapport du capitaine Wiltzer.)

(46) Le siège castelroussin de la Gestapo se trouvait rue de Mousseaux où plusieurs im-meubles avaient été réquisitionnés par les autorités des troupes d'opération.

(47) S'agit-il d'une cellule de la maison d'arrêt de Châteauroux, de la caserne Bertrand ou bien alors de la caserne Ruby comme le pense Jacques Blanchard ?

(48) Seule la Croix-Rouge française pouvait quelque peu soulager les maux endurés par les personnes arrêtées et détenues par la police allemande.

(49) « Ducher » ou « Duché » était le pseudo de Jean Traversat. Ce dernier participe à la formation des M.U.R. et de l'A.S. à Limoges à la fin de l'hiver 1942-1943. Il arrive dans l'Indre en décembre 1943 pour assister Robert Jallet comme secrétaire permanent des M.U.R. et effectuer des liaisons entre la direction régionale et les différents secteurs du département. Également agent de liaison du C.D.L., il échappe miraculeusement à une arrestation dans la nuit du 7 au 8 juin 1944 à Éguzon. Le 12 juin, il est grièvement blessé d'une balle dans le foie lors du combat de Jeu-les-Bois. Soigné par le docteur Ah-Sue, médecin du G.I.E., il est conduit à l'hôpital de la Châtre mais, le 19 juin, le camion qui le transporte au maquis de Cluis est intercepté par une colonne allemande et il est aussitôt massacré à coups de crosse sur sa civière.

(50) « Ricard » est le pseudonyme de Raymond Kinder, né le 23/12/1918 à Angers. Il fait ses études à Strasbourg et devient instituteur dans le Bas-Rhin. En 1940, il se réfugie à Périgueux, lieu de repli de nombreux Alsaciens. Membre de Combat, puis des M.U.R. et de l'A.S. sous les noms de « Kellermann », « Ricard » et « Madern », il dirige le N.A.P. (Noyautage des Administrations Publiques) en Dordogne. Mais, poursuivi par la Gestapo, il gagne l'Indre en février 1944 et prend en mars la direction départementale du N.A.P. Membre du C.D.L. clandestin, il rejoint le G.I.E. comme lieutenant au moment du débarquement. Le 12 juin 1944, il est grièvement blessé lors du combat de Jeu-les-Bois et est emmené à Châteauroux par les Allemands avec « Gérard ». Le gestapiste Sutter leur aurait déclaré : « Pas besoin de vous fusiller, vous crèverez ici ! ». Effectivement, Kinder mourut faute de soin et baignant dans son sang dans un coin de la cour de la caserne Bertrand.

(51) Paul Mirguet alias « Le Marin » ou « Surcouf » est né le 12/12/1911. Lorrain originaire de Failly, petit village proche de Metz, il effectue la campagne 1939-1940 à bord d'un dragueur de mines. Démobilisé à Toulon, il retourne en Lorraine à l'automne 1940, mais, au début du mois de novembre, les habitants de Failly sont expulsés par les Allemands. Mirguet arrive au Blanc au milieu de l'année 1941 pour le compte de l'entreprise de fournitures alimentaires où il travaille afin de créer une installation frigorifique. À la suite d'une rencontre avec le colonel Plat, il recrute et organise le mouvement « Combat » dans la région du Blanc en 1942, puis il intègre l'A.S. au début de l'année 1943. Responsable du secteur du Blanc couvrant l'Ouest et le Sud-Ouest de l'Indre, il entre dans la clandestinité en décembre 1943. Après l'arrestation de « Carpi », il est désigné à la mi-1944 comme chef départemental F.F.I. (A.S., F.T.P.F. puis O.R.A.). Un ordre du colonel Rivier commandant de la R 5 - F.F.I. en date du 14 août stipule à titre provisoire que le commandant F.F.I. « Surcouf » est seulement le « chef départemental (des) C.F.L. » (Corps Francs de Libération c'est-à-dire les formations de l'A.S.) aux côtés du commandant F.F.I. « Rolland », « chef départemental (des) F.T.P.F. », leurs « prérogatives » étant « égales » pour « prendre des décisions communes en matière d'action » (cf. Blanchard Jacques, Armée Secrète dans les Forces Françaises de l'Intérieur, 1993, p. 213).

(52) Georges Charreau est né le 3/03/1902 à Nantes. Ancien élève de l'école militaire de Versailles, il est nommé capitaine du Génie en 1933. En décembre 1941, il sollicite et obtient sa radiation des cadres de l'armée et créé alors à Châteauroux puis à Loches un studio d'arts décoratifs. Il rencontre alors un ancien camarade de régiment, le capitaine Delaire alias « Verdure » qui le fait entrer dans l'A.S. Il prend en charge et organise le secteur de Loches-Saint-Aignan en 1943 sous le pseudonyme de capitaine « Georges ». Il prend provisoirement le commandement départemental de l'A.S. au moment de l'arrestation de « Carpi » le 28 avril 1944 mais le directoire des M.U.R. désigne « Surcouf » dans les premiers jours de mai. Soupçonné d'avoir joué un double jeu, il est arrêté par la police F.F.I. le 23 août suivant, emprisonné à la caserne Bordessoulle puis interné au camp de Douadic pendant l'hiver 1944-1945. Il est seulement libéré le 7 juin 1945 sans qu'aucune information judiciaire n'ait été ouverte à son encontre.

(53) Darras, peut-être ancien sous-officier de l'Armée d'armistice, faisait partie de l'A.S. dans l'entourage de « Carpi » à Châteauroux.

(54) L'adjudant-chef Émile Lhernoult travaillait à la Chefferie du Génie sous les ordres du capitaine Petit (« Patrick »), premier chef départemental de l'A.S. Sous le pseudonyme de « Mimile », il entre dans la résistance au début de 1943. René Antoine (« Carpi ») lui confie la responsabilité du 4e bureau de l'Etat-major départemental de l'A.S chargé des liaisons et des transports. Après l'arrestation de « Carpi », Lhernoult continue à servir « Surcouf » même s'il avait clairement souhaité la prise de commandement du capitaine Georges Charreau à la tête de l'A.S.

(55) Il s'agit de la caserne Bertrand de Châteauroux réquisitionnée par l'armée allemande depuis l'occupation de la zone sud en novembre 1942.

(56) Il s'agit bien sûr des événements des 9 et 10 juin 1944 (cf. les parties concernant ces deux journées dans ce même volume).

(57) La Gabrière est un étang de la Brenne (Indre).

(58) Cf. la note 13 sur le colonel Chomel dit « Martel ».

(59) Descendant du célèbre beau-frère de Bonaparte, le prince Murat est le lieutenant « Joachim » dans l'O.R.A. et il sert comme agent de liaison du colonel Chomel. Le 20 juillet 1944, il est tué par une patrouille allemande près de l'étang de la Gabrière (commune de Saint-Michel-en-Brenne) en compagnie de l'aspirant Paquin.

(60) Pearl Witherington alias « Claude », « Geneviève » et enfin « Pauline », est une jeune Anglaise bilingue qui avait passé son enfance à Paris. En 1940, elle travaille au bureau de l'attaché de la R.A.F. à l'ambassade britannique. De retour en Angleterre en 1941, elle officie au ministère de l'Air et, en 1943, elle parvient à entrer dans la section française du S.O.E. (« Special Operations Executive ») commandée par le colonel Buckmaster. Parachutée à Tendu dans la nuit du 23 au 24 septembre 1943, elle sert comme agent de liaison dans le réseau Stationer dirigé par un ami d'enfance membre du S.O.E., le major Maurice Southgate (alias « Philippe » ou « Hector Stationer »). Elle circule alors sous la fausse identité de « Marie Vergès ». Au début du mois de mai 1944, Southgate est arrêté et Pearl Witherington se réfugie avec son fiancé Henri Cornioley chez René Sabassier, régisseur du domaine des Souches près Dun-le-Poëlier à la limite de l'Indre et du Loir-et-Cher. Elle se retrouve alors chargée de la mission Wrestler dans une région à cheval sur l'Indre, le Loir-et-Cher et le Cher. Le lieutenant « Pauline » obtient de nombreux parachutages destinés aux formations A.S. et F.T.P. de sa zone (au total, pour l'été 1944, 150 tonnes amenées par 60 avions). À la suite de l'attaque allemande du 11 juin, les agents du S.O.E. sont accueillis par la famille Trochet à la ferme de Doulçay (commune de Maray). « Pauline » réclame pendant près d'un mois la venue d'un commandant militaire (qui sera Francis Perdriset) pour s'occuper des maquisards A.S. du nord de l'Indre. Au mois d'août, elle séjourne avec Henri Cornioley et Robert Kneper au château de Chêne près de Vatan avant de revenir à la ferme de Doulçay d'où elle part à la fin du mois pour la ferme du Colombier en forêt de Gâtine avant de séjourner au château de Valençay à la mi-septembre 1944.

(61) Le camp militaire de Defends était situé sur la commune du Poinçonnet. La batterie de D.C.A. 258 y était installée en 1942. À partir de l'hiver 1944-1945, ce camp accueillit des prisonniers de guerres allemands.

(62) Un centre permanent de démobilisation de l'armée française existait au lieu-dit Bitray dans la commune de Châteauroux. Jusqu'en novembre 1942, de nombreux prisonniers de guerre français évadés d'Allemagne purent y régulariser leur situation. De la fin de 1942 à l'été 1944, ce centre fut particulièrement surveillé par les autorités allemandes, la Gestapo y procédant à plusieurs perquisitions et arrestations.

(63) Le Centre de Jeunesse du Moulin de Salle devait être un centre d'apprentissage situé dans le quartier Saint-Christophe à Châteauroux.

(64) Roland Pérot alias « Conte » ou « Comte » est né à Revin (Ardennes). Sergent au 26e R.I. de Nancy puis au 168e régiment de forterresse de Thionville, il atteint le grade d'adjudant en 1939. Fait prisonnier en 1940, il s'évade d'Allemagne au début de l'année 1941 et s'engage aussitôt dans l'armée d'armistice et est affecté au 27e R.I. du Blanc. Démobilisé, il est nommé contrôleur du ravitaillement dans la région de Vatan au début de 1943. Il entre aussitôt en contact avec les résistants locaux et organise la lutte armée dans le cadre de l'A.S. En août et en octobre 1943, Pérot réceptionne deux parachutages, mais celui de mars 1944 tombe aux mains des Allemands et « Conte » doit se cacher à Géhée. Cependant, plusieurs livraisons d'armes lui parviennent en mai, et, le 9 juin au soir, Perot peut former son maquis dans la forêt de Vatan. Il le dissout deux jours plus tard en raison de la présence de colonnes de répression allemande dans la région et le regroupe peu après à Guilly. Il rencontre « Pauline » puis Perdriset qui le charge officiellement du sous-secteur de Vatan, intégré au secteur Nord-Indre. Le capitaine « Conte » s'entoure d'officiers et de sous-officiers d'active et pratique une guerre d'embuscade jusqu'en septembre 1944. En août, les effectifs arrivant des cantons de Levroux, Vatan et Graçay permettent de constituer un bataillon « Conte » comprenant trois compagnies, un P.C. et un corps franc.

(65) Les Bois du Landais sont situés près de Saint-Martin-de-Lamps et de Frédille.

(66) Guy Mercier est le fils aîné de Pierre Mercier (cf. note 14).

(67) Le garde mobile Georges Prieur passe à la résistance au début de l'été 1944 et se retrouve à la tête d'un maquis dans la forêt de Gâtine. Lieutenant dans l'A.S., Secteur F.F.I. Nord-Indre, il commande la 1ère compagnie du bataillon « Robert » à la Libération.

(68) La Forêt de Gâtine couvre une vaste étendue au nord-ouest de la ville de Valençay.

(69) La famille Lavisse était propriétaire de l'Hôtel du Lion d'Or à Valençay. Le bâtiment servit de mess aux officiers du maquis en septembre 1944. Un certain Jacques Lavisse servit dans le maquis de Gâtine (près de Valençay) commandé par Georges Prieur.

(70) L'adjoint de « Pauline » n'est autre que son fiancé depuis plusieurs années, Henri Cornioley. De nationalité française et parisien de souche, membre des Jeunesses Patriotes dans les années trente, le futur mari de « Pauline » est mobilisé en 1939 et fait prisonnier en juin 1940. Il parvient à s'évader, est démobilisé en septembre 1941 à Bourg-en-Bresse et sert à Mâcon dans un groupement de la main d'oeuvre nationale qui regroupe des militaires démobilisés. En avril 1943, il est averti par Maurice Southgate de l'arrivée de Pearl Witherington qu'il avait rencontrée à Paris à la veille de la guerre. Il devient agent de liaison dans le réseau S.O.E. Stationer et se réfugie avec « Pauline » dans le nord de l'Indre au début du mois de mai 1944. Dans cette région, il passe pour un Anglais et accomplit de nombreuses missions sous le nom de « lieutenant Jean ».

(71) Le combat des Souches a eu lieu le 11 juin 1944 : le Château des Souches (commune de Dun-le-Poëlier) où vivait « Pauline » est attaqué par la Wehrmacht et l'agent du S.O.E. se replie alors sur la ferme du Doulçay, situé sur la commune de Maray (Loir-et-Cher), chez Henri Trochet alias « Totoche ». L'attaque allemande se poursuit dans la journée sur Dun-le-Poëlier, Saint-Christophe-en-Bazelle et Les Mineaux (commune d'Orville) contre les F.T.P. de Théogène Briant (commandant « Alex »).

(72) Robert Kneper, transfuge du maquis F.T.P. « Alex » de Dun-le-Poëlier était un adjudant de carrière. Avec le grade de lieutenant dans l'A.S., il devient officier de liaison de l'état-major F.F.I. Nord-Indre.

(73) Levêque et Ferragu sont des habitants de Graçay, chef-lieu de canton situé au nord-est du Cher mais au sud de la ligne de démarcation. Les deux hommes n'appartenaient pas au même groupe dans la résistance. Levêque, pseudo « Béranger » organise le maquis A.S. de La « Goubarderie » situé sur la commune de Genouilly. Après avoir réceptionné un parachutage organisé par « Pauline », ce maquis est attaqué par la Wehrmacht le 7 juillet 1944. En partie, il se reforme dans la forêt de la Cailloterie avant d'être incorporé dans le bataillon « Conte ». Levêque est arrêté par les Allemands vers le 8 ou le 9 août à Saint-Hilaire-de-Court (Cher). Pour Ferragu, voir note 112.

(74) Né à Vierzon, Paul Vannier était entrepreneur en confection à Reuilly. Lieutenant de réserve dans l'aviation, il appartient sous l'Occupation au réseau « Frégate - Goélette » dans le périmètre Bourges - Vierzon - Saint-Florent - Issoudun. Peu de temps avant le débarquement, il rencontre « Pauline ». Le 6 juin 1944, il participe à un premier maquis en Sologne, mais une attaque allemande l'oblige à le dissoudre. De retour à Reuilly le 20 juin, il reforme un groupe et il rencontre Francis Perdriset vers la fin du mois de juillet à la ferme de Prébourin. Il installe alors son maquis dans la vaste forêt de Font-Moreau située dans le Cher près de Reuilly, Charost et Saint-Florent et il est désormais responsable du sous-secteur n°4 du secteur Nord-Indre, armé à la fois par l'état-major A.S. de l'Indre et la mission S.O.E. Wrestler. Plusieurs compagnies et un corps franc sont formés et composent le bataillon « La Lingerie ». Vers le 15 août, un camp de prisonniers est installé dans la forêt de Font-Moreau : il rassemble des soldats allemands mais aussi des « collabo-rateurs » arrêtés dans le secteur F.F.I. Nord-Indre. Le 20 août, « La Lingerie » accueille une centaine de tirailleurs sénégalais échappés d'un train en gare de Vierzon. Le 24 août, l'occupation de Reuilly se heurte à la présence d'un train blindé allemand d'où descendent des S.S. auxquels Vannier échappe de peu. Sur ordre de Perdriset, du 26 août à la mi-septembre, l'ensemble du bataillon est déplacé et combat dans la forêt de Gâtine près de Valençay, le P.C. de Vannier étant installé à la ferme de la Belle-Etoile chez la famille Diard.

(75) Hal, alias lieutenant « Durand » dans l'A.S. était un militaire servant au 404e R.A.D.C.A. démobilisé à la fin de 1942. Nommé secrétaire de mairie à Reuilly en février 1943, il forme un noyau de personnes acquises à la résistance et il prend contact avec des responsables de l'A.S. à Issoudun et Vatan. Avec son groupe, il assure plusieurs sabotages en juin 1944 époque à laquelle il découvre l'existence du groupe de Vannier. « Julien » décide de confier le commandement de la région de Reuilly à Vannier, mais Durand préfére se placer sous les ordres de « Conte » non sans avoir dû abandonner une partie de ses hommes. Il commande la 2e compagnie du bataillon «Conte» durant l'été 1944 et son unité prend position dans les bois situés près du château du Coudray (commune de Luçay-le-Libre), puis dans la forêt de Hableau (commune de Saint-Florentin), et enfin au château de Saray (commune de Lye) à la fin du mois d'août.

(76) La forêt de Font-Moreau s'étendait sur plusieurs communes situées à l'est du Cher (Plou, Limeux, Sainte-ThoretteS).

(77) Saint-Florent-sur-Cher est un important chef-lieu de canton industriel et ouvrier du département du Cher situé au sud de la ligne de démarcation.

(78) La Milice était particulièrement redoutée dans le Cher-Sud en raison de l'importance de ses effectifs, le sous-préfet nommé à Saint-Amand étant de juin à août 1944, le chef milicien Lécussan.

(79) Théogène Briant était né en 1897 à Dun-le-Poëlier où il exerçait la profession d'entrepreneur de travaux publics. Militant communiste depuis 1921, il se présente sans succès à diverses élections dans son canton durant l'entre-deux-guerres. Dès le mois de juin 1940, il récupère des armes et il reprend rapidement le contact avec les autorités clandestines du P.C.F. Il obtient des armes par l'intermédiaire d'Armand Mardon, maire S.F.I.O. de Dun-le-Poëlier révoqué par Vichy, lui-même membre du réseau de Max Hymans puis de l'A.S. Avec son frère Siméon, Briant fut le principal artisan de la Résistance F.T.P.F. dans le Nord de l'Indre sous le pseudonyme d' « Alex ». Il pratique des sabotages à partir d'octobre 1942, réceptionne des parachutages et organise un maquis dès 1943. Il contribue ainsi aux premières dotations en armes de groupes F.T.P. des départements limitrophes. Après le débarquement, son maquis affronte à plusieurs reprises la Gestapo, les S.S. et la Wehrmacht à Dun-le-Poëlier ou dans les environs. Durant l'été 1944, il a des liaisons quotidiennes avec « Pauline » à qui il demande toujours plus d'armes. À la Libération, il est membre du C.D.L. de l'Indre et commandant (militaire) de la place de Châteauroux (1944-1946).

(80) La forêt de la Vernusse est située au nord-est de Vatan sur la commune de Bagneux (Indre).

(81) Après l'attaque allemande du 11 juin 1944, le maquis « Alex » subit deux autres offensives de l'ennemi assisté de la Milice Française ; tout d'abord, le 21 juillet à son lieu de cantonnement situé à Bué (commune de Bagneux), et surtout le 5 août, près du château de la Roche sur la commune d'Anjouin.

(82) Le sous-secteur de « Conte » n'était pas situé à l'autre bout du département mais dans la partie nord-est de l'Indre.

(83) Il s'agit des maquis résidant dans la grande forêt de Gâtine près de Valençay notamment celui de Georges Prieur (cf. note 67).

(84) La Taille (ou les Tailles) de Ruines est un bois de la commune de Dun-le-Poëlier à la limite de l'Indre et du Cher.

(85) La commune de Maray (Loir-et-Cher) jouxte le nord des deux départements de l'Indre et du Cher.

(86) La ferme Trochet se situe à Doulçay, hameau de la commune de Maray.

(87) Francis Perdriset se présente comme l'initiateur de la création des quatre sous-secteurs. En 1996, « Pauline » déclarait à propos des groupes de maquisards de la région : « C'est moi, agent de liaison, qui les ai organisés et qui ai conçu l'idée de répartir le maquis Nord-Indre en quatre sous-secteurs » ( cf. Pearl Cornioley, « Pauline ». Parachutée en 1943. La vie d'un agent du S.O.E., éditions Par Exemple, 1996, p. 68.)

(88) Les armes étaient « en sapes » c'est-à-dire placées dans une fosse creusée.

(89) L'affiche en question reproduisait un « Appel aux jeunes de 18 à 25 ans et plus » à prendre les armes au nom des « Forces Françaises de l'Intérieur » :

« La plupart de vos camarades sont déjà dans nos rangs. Nous avons besoin de vous tous. La victoire est certaine et toute proche. N'attendez plus un instant pour venir grossir nos rangs et partager les joies de la victoire des F.F.I. Vous connaîtrez toujours un ami qui vous aidera à vous faire enrôler. Haut les coeurs ! Vive De Gaule (sic) ! Vive la France ! ». Signé : « Capitaine Francis »

(90) Les « opérations réussies » par le secteur F.F.I. Indre-Nord n'étaient pas l'oeuvre directe de Francis Perdriset qui, tout en organisant rationnellement la zone, avait laissé l'initiative et la responsabilité directe des actions aux commandants des quatre sous-secteurs (« Conte », «La Lingerie», « Émile » et « Robert »).

(91) Pierre Chassagne habitait Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) et était l'antenne locale du réseau « Adolphe » de Romorantin. Mais ce dernier est anéanti par la Gestapo durant l'été 1943 et Chassagne doit vivre clandestinement dans le nord du Cher puis de l'Indre. Il coopère alors avec la mission S.O.E. Wrestler et il permet le contact entre « Pauline » et « Saint-Paul » (Philippe de Vomécourt) à Saint-Viatre (Loir-et-Cher) à la fn de juin 1944. Il devient le lieutenant « Claude », mais, à la mi-août 1944, il refuse le commandement du nouveau bataillon formé à partir de la fusion d'éléments A.S. et F.T.P., proposant à sa place Camille Boiziau.

(92) Camille Boiziau dit « Robert » exerce la profession d'instituteur à Billy près de Selles (Loir-et-Cher). Lieutenant de réserve, il anime avec Bernard Lehoux des groupes F.T.P. dans la région de Selles. En juin 1944, il participe au combat de Souesmes et reçoit des armes par l'intermédiaire de « Pauline ». À partir de la mi-août 1944, malgré les réticences de Perdriset et son état-major qui exigent que Chassagne soit au moins son adjoint, Boiziau commande le bataillon « Robert » constitué de deux compagnies de l'A.S. et de deux compagnies F.T.P. du nord de l'Indre, de la vallée du Cher et du sud de la Sologne. En octobre 1944, son bataillon participe à la formation à Châteauroux du 1er bataillon de chasseurs à pied dont Boiziau devient commandant en second. De janvier à février 1945, il fait la campagne d'Alsace puis de mars à mai, le 1er B.C.P. combat devant la poche de Saint-Nazaire. À la Libération, il reprend son poste d'enseignant.

(93) Émile Goumain était un ancien lieutenant de l'infanterie coloniale. Il anime en juillet 1944 un maquis à la Provenchère entre Massay et Graçay (Cher). À partir du 27 juillet, le capitaine « Émile » se voit confier le commandement du sous-secteur Chabris - Mennetou-sur-Cher - Graçay, partie intégrante du secteur F.F.I. Nord-Indre. En août 1944, il est à la tête du petit bataillon « Emile ».

(94) « Robert » était le pseudonyme de Camille Boiziau.

(95) Le Dr AS était-il le docteur Ah-Sue qui porta également des soins à des résistants blessés dans le sud-est du département de l'Indre ?

(96) Le docteur René Bertoly, chirurgien-dentiste à Selles-sur-Cher, soigne des aviateurs anglais blessés dès octobre 1942. À partir de 1943, il accepte de donner des soins à des réfractaires au S.T.O. camouflés dans les campagnes autour de Selles. Au début de l'été 1944, sur la demande de Pierre Chassagne et de Camille Boiziau, il devient responsable du service de santé des maquis du secteur F.F.I. Nord-Indre. Bientôt recherché, il prend définitivement le maquis en août. Après la libération du Berry, il est médecin-capitaine et dirige le service de santé du 90e R.I. composé d'anciens membres des maquis de l'Indre et du Loir-et-Cher.

(97) Depuis 1919, l'anticommunisme était un ressort essentiel de la vie politique française. Quatre années de propagande vichyste et nazie accentuèrent la peur du « rouge » ou, tout au moins, renforcèrent la méfiance, notamment chez les officiers influencés par les idées de l'Action Française. À noter qu' « Alex » déclarait en janvier 1973 : « Avec Perdriset, j'étais [S] très bien. J'étais très lié avec lui. J'étais un doyen. J'étais à peu près le seul qui ait été un combattant de la guerre 14-18. » (cf. Michel Jouanneau, Mémoire d'une époque, Indre 1940-1944, Histoire de l'Occupation et de la Libération, tome 1 : juin 1940-juin 1944, Châteauroux, 1995, p. 216).

(98) Lecausse plus exactement Le Coz, alias Georges Duboscq, s'appelait en réalité Jean-Marie Scoarnec. Né le 15/05/1903 à Saint-Nazaire, ce repris de justice avait été condamné à plusieurs reprises pour vols, coups et blessures. À la fin de 1941, il est de nouveau arrêté par la police française et remis aux autorités allemandes qui l'utilisent comme indicateur. Il réapparaît en Indre-et-Loire en mars-avril 1944, utilise plusieurs identités et appartient un temps en juin 1944 au maquis d'Epernon (O.R.A.) avant d'en être chassé. Il réussit alors à constituer son propre maquis et commence à terroriser la région de Loches (assassinats, pillages, rançonsS). Son groupe se déplace rapidement grâce aux vols de véhicules et il s'attaque aux colonnes allemandes de passage dans la première quinzaine d'août. Au mépris des consignes données, Le Coz occupe Loches avec son « maquis noir » à partir du 16 août. Il abat publiquement un inspecteur de police et tient la ville jusqu'au 20 août. Bénéficiant d'une certaine tolérance de la part des organisations résistantes voisines, le « capitaine » continue à sévir dans le Lochois en septembre et les forces de police doivent lui tendre un guet-apens dans un café pour parvenir à le capturer le 21 octobre 1944. Pour les exactions et les meurtres commis dans l'Indre-et-Loire et dans l'Indre, il est condamné à mort à Angers en octobre 1945 puis fusillé en mai 1946.

(99) Cet agent « anglais » était-il le capitaine Makowski parachuté au printemps et tué durant l'été 1944 ?

(100) « Benoît » n'est autre que le colonel Bertrand, ancien commandant du 1er R.I. qui stationnait dans la région de Saint-Amand et d'Issoudun avant sa dissolution à la fin de l'année 1942. Après l'occupation de la zone sud par la Wehrmacht, le colonel Bertrand était devenu le responsable de l'O.R.A. pour l'ex-zone non occupée du Cher et le secteur d'Issoudun. Dès la disparition de son régiment, il avait constitué une organisation clandestine s'appuyant sur les anciens cadres du 1er R.I. À l'exception de la constitution initiale de dépôts d'armes (souvent découverts par les Allemands), les individus contactés par « Benoît » furent peu actifs avant le mois de juin 1944. À la veille du débarquement, Bertrand refuse de participer à la prise de Saint-Amand et gagne le maquis du Morvan où il demeure jusqu'à la fin du mois juillet. Il revient alors dans l'est du Cher pour commander les compagnies du 1er R.I. « réveillées » et prendre contact avec les autres groupes existants afin de faire accepter son autorité. En effet, il était officiellement le commandant des F.F.I. pour le Cher-Sud depuis la fin du printemps 1944.

(101) Le capitaine Vannier alias « La Lingerie » était originaire de Reuilly et responsable du sous-secteur des F.F.I. Nord-Indre situé dans cette région (une partie de sa zone mordant sur l'est du Cher).

(102) Depuis la fin de 1943, le colonel Bertrand était le responsable de l'O.R.A. dans la région d'Orléans (Loiret, Loir-et-Cher, Indre et Nièvre).

(103) Le G.I.E. (Groupe Indre-Est), formation de l'A.S., opérait non seulement dans le sud-est du département (région de La Châtre) mais également à l'Est (région d'Issoudun) et dans l'ouest du Cher (cantons de Châteaumeillant, Lignières, Châteauneuf-sur-Cher, Saint-Ambroix, Charost, Saint-Florent).

(104) Dès le 6 juin au soir, le général de Gaulle avait appelé les Français à prendre les armes contre l'occupant.

(105) Les 160 tirailleurs sénégalais étaient prisonniers depuis 1940. Le 19 août 1944, à la faveur d'un bombardement allié, ils se sont échappés d'un train en partance pour l'Allemagne qui stationnait en gare de Vierzon.

(106) Les déserteurs de l'armée allemande furent de plus en plus nombreux durant l'été 1944. L'accueil qu'ils reçurent dans les maquis fut très divers : certains s'enrôlèrent dans les formations résistantes, la plupart demeurèrent captifs et devinrent des prisonniers de guerre, quelques- uns furent exécutés par des maquisards aveuglés par la haine de l'occupant, auteur, il est vrai, d'actes de barbarie à l'égard des « terroristes ».

(107) Concernant 1er Régiment de France, cf, note 9, p 15.

(108) La désintégration du pouvoir central donna naissance dans certaines régions à des entités autonomes placées sous l'autorité de la résistance.

(109) Pour une question de sécurité mais aussi pour des raisons politiques, des groupes « police F.F.I. » étaient créés dans chaque formation résistante importante. Ils arrêtaient les suspects. Certains individus passaient devant une cour martiale et pouvaient être exécutés.

(110) La popote désignait la cantine militaire (notamment la table commune des officiers).

(111) Les C.F.L. sont les Corps Francs de Libération, nom parfois donné aux formations de l'A.S.

(112) Edmond Ferragu dit « Julien » possédait un petit commerce. Devenu maire et conseiller général S.F.I.O. de Graçay avant la guerre, il défend avec ardeur le Front Populaire et est déchu de ses mandats par le Gouvernement de Vichy en 1940. À la fin de l'Occupation, il anime un groupe F.T.P. dans les environs de Genouilly. Il est réélu à la Libération pour les mêmes mandats mais avec l'étiquette communiste. En janvier 1973, « Pauline » affirmait « Nous avons eu pas mal d'accrochages non pas avec Alex, mais surtout avec Ferragu qui se disait communiste et qui s'occupait de la région de Graçay. Il avait des armes et pas d'hommes, mais il ne voulait pas donner ses armes. Un jour, ce devait être le 24 juin, nous avons reçu un parachutage que j'avais demandé. Ferragu est venu me demander un fusil-mitrailleur pour son équipe de sabotage. J'ai refusé. » (cf. Michel Jouanneau, Mémoire d'une époque, Indre 1940-1944, Histoire de l'Occupation et de la Libération, tome 1 : juin 1940-juin 1944, Châteauroux, 1995, p. 225).

(113) Le F.N. ou Front National est mouvement politique créé en zone nord en mai 1941. Dominé par le parti communiste français, il rassemblait des patriotes hostiles à l'occupation allemande et au nazisme.

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© 2001, Alain Giévis