Les parlementaires dans la tourmente — Les éditoriaux de Vincent Rotinat : « Revoir une France libre, fière et maîtresse de ses destinées ? »

présentation et notes

Alain Giévis

(Cliquer sur les appels de note pour lire la note de bas de page, ensuite cliquer sur le chiffre indiquant l'appel de note pour revenir au corps du texte principal.)

Vincent Rotinat fut l’une des figures emblématiques de la vie politique du département de l’Indre ; il exerça pendant près de cinquante ans des fonctions électives et cela jusqu’à un âge fort avancé. Cette très longue carrière exemplaire est une illustration, presque trop parfaite, d’une certaine forme de mœurs politiques propres à la France, peut-être à jamais disparues maintenant.
Lorsque la presse locale annonça sa disparition (le 14 mars 1975), ce fut la consternation. La Nouvelle République du Centre-Ouest, datée du samedi 15 et dimanche 16 mars 1975, publia un article nécrologique, signé Jacques Morhan, dont nous citons ici de larges extraits :
« C’est avec stupéfaction que nous avons appris hier la mort de M. Vincent Rotinat, tant nous avions pris l’habitude de le voir sans cesse assurer ses responsabilités à la tête, notamment, de l’assemblée départementale, et ce malgré l’âge. Et puis, M. Vincent Rotinat c’était un peu l’enfant du pays qui avait réussi à devenir, comme nous l’écrivions un jour dans nos colonnes, le grand “patron” de l’Indre. […] Il était dans sa 87e année.
M. Vincent Rotinat était né en effet à Briantes, au hameau de “Chamflorentin”, exactement le 10 juillet 1888. Il se destina tout jeune à l’enseignement. Il fit ses études au collège de La Châtre, puis à l’École Normale d’Instituteurs de Châteauroux .
En 1914, le jeune instituteur était mobilisé au 85e R.I. (régiment berrichon), avec lequel il fit la première guerre mondiale comme capitaine. Sa conduite fut des plus brillantes. Blessé, il fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Il deviendra Officier de cet Ordre le 5 juillet 1934, Commandeur le 31 juillet 1956. Rendu à la vie civile, il est nommé professeur au collège de La Châtre où il devait exercer de nombreuses années. Il fut toujours considéré comme un brillant enseignant. C’est à ce moment-là qu’avec l’abbé Depont, il fonde la Fédération des Anciens Combattants de l’Indre, organisation qui lui a toujours conservé le titre de président fondateur.
En 1936, il est élu député de l’arrondissement de La Châtre, puis en 1937, conseiller général de Neuvy-Saint-Sépulcre.
En 1946, il se présente aux élections au Conseil de la République et devient sénateur de l’Indre (Groupe de la Gauche Démocratique) et il redevient conseiller général.
Constamment réélu aussi bien au conseil général qu’au Conseil de la République, il devient président de l’Assemblée départementale à la suite des élections cantonales de 1952. L’année suivante, il devenait maire de Briantes, sa commune natale. Il devait le rester jusqu’en mars 1971.
Au niveau national, M. Rotinat joua aussi un rôle qui honora notre département. En effet, il déploya une incessante activité au sein du Sénat dont il fut pendant 25 ans président de la commission de la Défense Nationale et des Affaires Étrangères. À ce titre signalons qu’il avait à sa disposition en permanence un avion pour se rendre en mission à l’O.N.U.
[…] M. Vincent Rotinat, outre la Légion d’Honneur, était titulaire de nombreuses décorations dont la Croix de Guerre et les Palmes Académiques. »
Ce même journal laissa le soin à Roger Pilet d’évoquer quelques traits de la personnalité de Vincent Rotinat :
« C’est en 1935, que j’avais fait sa connaissance. Alors jeune professeur du collège de La Châtre, il défendait avec vigueur les anciens combattants dont il avait fondé, avec son ami Destouches, la fédération départementale. Mais c’était aussi l’apôtre d’un idéal politique généreux, marqué du libéralisme radical et de cette largeur de vue humaniste qui était le propre de son tempérament.
Le département lui doit beaucoup
Vincent Rotinat, élu député en 1936, bouscula dans l’arrondissement de La Châtre des traditions solidement ancrées, y faisant pénétrer le souffle d’un idéal nouveau. Il a vraiment été à la base de la révolution politique qui éveilla les esprits et leur permit de se tourner vers des objectifs plus généreux.
Il avait su, lui l’homme du terroir, profondément enraciné dans cette Vallée Noire, dont il connaissait le moindre village, la moindre bouchure, la moindre “traîne”, allier le sens profond qu’il avait de la tradition, à l’idéal de l’homme moderne. Grâce à lui, plus ouvert vers d’autres horizons, le département de l’Indre lui doit beaucoup.
Cet homme de progrès était aussi un homme de mesure. S’il souhaitait le triomphe d’un certain idéal, s’il a combattu ardemment pour le respect de la personnalité humaine, il a toujours pensé que rien de bénéfique pour l’homme n’était possible dans une société qui renierait les valeurs traditionnelles.
Glorieux combattant de la guerre 14-18, il avait le sens du devoir envers la Patrie et, en tant que président de la commission des Affaires Étrangères au Sénat pendant de longues années, il a eu une influence décisive sur l’évolution de notre armée.
Il jouissait en Bas-Berry d’un tel prestige, d’une telle autorité, que si, très sagement, aux dernières sénatoriales, il n’avait pas renoncé, il aurait été très sûrement sénateur à vie. […]
À la tête du Conseil Général, il a eu à maîtriser une conjoncture difficile. Il s’y est employé avec beaucoup de modération et de conviction, se penchant plus précisément sur les problèmes sociaux et agricoles.
L’évolution économique de la région Centre et la faible part réservée à l’Indre ne l’avaient pas laissé indifférent et il en concevait même une certaine tristesse. C’est avec foi cependant qu’il s’est tourné vers l’avenir, souhaitant que des hommes nouveaux permettent dans le domaine économique cette transformation dont, dans le domaine politique et social, il avait été l’élément moteur. […] Pendant 50 ans, il a été l’homme numéro 1 de ce Bas-Berry qu’il aimait follement. Son nom restera lié à tout ce qui s’y est fait et l’Histoire ne l’oubliera pas. »
Le lecteur attentif aura remarqué que ces deux articles évoquaient largement la première guerre mondiale, à la fois pour rappeler le passé glorieux de Vincent Rotinat, en tant que soldat, et pour souligner son action à la tête de la Fédération des Anciens Combattants. En revanche, rien n’était dit concernant l’activité de Vincent Rotinat de 1939 à 1945. Un voile pudique était jeté sur ses années tragiques. Fort évidemment, il eût été inconvenant et totalement indélicat de provoquer une polémique dans la presse berrichonne, le lendemain de la disparition de Vincent Rotinat, à propos de cette période, refoulée depuis déjà longtemps. D’ailleurs, même en 1975, était-on persuadé qu’il y avait matière à polémique ? L’effervescence de la Libération était oubliée depuis longtemps ; personne ne souhaitait se livrer à un patient travail d’anamnèse pour faire revivre ce passé douloureux. Seules, des cérémonies commémoratives annuelles et rituelles rappelaient aux habitants du département les journées tragiques qui marquèrent ces années.
Cet article ne prétend pas tout expliquer, tant s’en faut !
La communication de certaines archives permet d’éclairer quelque peu ces années complexes et de mieux comprendre les engagements des parlementaires du département de l’Indre de 1939 à 1945. Justement, d’aucuns peuvent se demander si les historiens n’endosseraient pas les habits du charognard pour flétrir la mémoire des grands hommes disparus, qui seraient dans l’incapacité (et pour cause) de répondre aux arguments impitoyables et sentencieux distillés par ces prosateurs en mal de scandale. En d’autres termes, nous aurions là une resucée, à l’échelle départementale, du livre à succès de Pierre Péan, consacré au passé de François Mitterrand. Toutes choses égales d’ailleurs, il est certainement plus difficile de revisiter l’histoire locale que l’histoire nationale. Après tout, ces hommes sont de véritables gloires locales ; combien de collège, de place, de rue, de rond-point portent le nom de ces anciens parlementaires ? L’historiographie est-elle dès lors figée ? Statues hiératiques classées intouchables, ces personnages « historiques » relèveraient d’un consensus local excluant toute possibilité de manier le ciseau pour remodeler ces gisants magnifiquement chantournés.
Cela n’est pas satisfaisant. Au mieux, de belles légendes enluminent les riches heures du département de l’Indre ; au pire, d’épouvantables rumeurs continuent de se colporter, dénuées de tout fondement. Plus grave, sur le plan de la connaissance scientifique, on se prive d’une analyse critique pour comprendre, encore aujourd’hui, la vie politique locale et la situation économique et sociale de ce département (1). Enfin, il nous semble utile de préciser que les hommes ayant choisi délibérément de se consacrer au bien public et ayant sollicité le suffrage de leurs concitoyens appartiennent à l’histoire de notre pays pour tout ce qui relève de leur vie publique, sauf, bien sûr, pour tout ce qui concerne leur sphère privée.

Les parlementaires
dans la tourmente
Les parlementaires du département de l’Indre, présents à Vichy le 10 juillet 1940, eurent à se prononcer sur le texte suivant :
« L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer, par un ou plusieurs actes, une nouvelle Constitution de l’État français.
« Cette Constitution doit garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les assemblées qu’elle aura créées. »
Les députés, François Chasseigne, Albert Chichery, Louis Deschizeaux, Max Hymans, Vincent Rotinat et les sénateurs, Paul Bénazet, Fernand Gautier donnèrent tous pouvoirs au maréchal Pétain.
Comment l’administration du gouvernement de Vichy se représentait-elle la scène politique du département de l’Indre ?
Les services de la préfecture de ce département permirent au préfet d’établir une monographie, « relativement à la physionomie du département de l’Indre et des arrondissements qui le composent », qui fut envoyée le 31 juillet 1943 à Vichy (2). Ce rapport présentait les parlementaires de l’Indre :
« En 1936, le dernier député de droite, M. de Fougère, disparaît. Les cinq élus sont alors :
- M. Deschizeaux, député de Châteauroux, union républicaine socialiste ;
- M. Hymans, député de Valençay, S.F.I.O.
- M. Chasseigne, député d’Issoudun, pupiste ;
- M. Chichery, député du Blanc, Radical-Socialiste ;
- M. Rotinat, député de La Châtre, radical socialiste.
Les élections législatives sont assez significatives de l’état de l’opinion au point de vue politique. Si, cependant, les conservateurs et les éléments de droite n’ont plus aucun parlementaire, ils n’en restent pas moins une minorité agissante dans le département.
Quant à la représentation au Sénat, elle a la même tendance politique que la représentation à la Chambre des Députés. Les trois sénateurs élus aux élections sénatoriales de 1932 sont :
M. Paul Bénazet, républicain socialiste,
M. Henry Dauthy, radical socialiste,
M. Fernand Gautier, radical socialiste.
M. Bénazet vit son influence grandir dans le département, pour s’affirmer ensuite et prédominer en 1932. Puis, bien qu’il continuât à jouir d’une position très forte, il dut laisser la prépondérance politique à M. Chichery qui, élu en 1932, connut une ascension parlementaire des plus rapides, puisqu’il était en 1937, président du groupe radical-socialiste de la Chambre des Députés. L’influence politique de M. Chichery ne fit que s’accentuer dans le département de l’Indre dont en 1940 il était le chef politique incontesté.»
L’article de Jean-Louis Laubry (cf.Louis Deschizeaux ou la tentation d’un État autoritaire et totalitaire…, [dans cette même publication]), s’appuyant sur une solide documentation, nous permet de pister Louis Deschizeaux à Vichy. Si de nombreux ouvrages mentionnent également François Chasseigne, Albert Chichery, Paul Bénazet, en revanche à notre connaissance, la documentation qui permettrait de reconstituer le séjour dans la ville d’eaux de Vincent Rotinat fait défaut. Cela impose une extrême prudence.
Début août 1940, Vincent Rotinat, de nouveau, prenait part à la vie publique en apposant sa signature au bas d’éditoriaux publiés par La République de l’Indre. Il était étonnant que ce journal pût reparaître tout en conservant le mot République dans son titre, tant la République était vilipendée par les thuriféraires du nouveau régime. En fait, avant la signature de l’armistice, le titre exact était La République de l’Indre, hebdomadaire radical-socialiste ; la référence radi-cale-socialiste, en revanche, avait disparu. Ce journal, fondé en 1937, d’abord édité à Châteauroux, était l’organe de presse d’Albert Chichery. Le 21 septembre 1940, nouvelle appellation : La République du Centre, hebdomadaire paraissant tous les samedis, administration sise au Blanc, 13, rue du Bosquet. Après les événements de juin 1940, le journal étendit son rayon d’action aux territoires non occupés des départements du Loir-et-Cher, de la Vienne et de l’Indre-et-Loire, d’où le changement de titre.
« Grâce à une collaboration sans cesse accrue, c’est bientôt l’hebdomadaire le mieux informé. En trois mois le nombre de ses lecteurs est quintuplé (3). » (La République du Centre, 16/11/1940.) Puis ce journal devenait bihebdomadaire, paraissant le mercredi et le samedi pour faire face à ce succès, voulant « être le journal de tous, de la ville et de la campagne, donnant des nouvelles aussi bien du monde entier que de la vie locale ».
À partir de janvier 1941, La République du Centre devint un actif propagandiste de la Révolution Nationale, et la participation de Vincent Rotinat à la rédaction du journal prit fin. Pourquoi Vincent Rotinat cessa-t-il d’écrire dans ce bihebdomadaire ? Difficile de répondre précisément, on peut supposer que les convictions personnelles de Vincent Rotinat ne l’incitaient plus à se commettre dans un organe de presse de plus en plus dépendant des autorités en place. La lecture de ses éditoriaux nous montre le cheminement de la pensée de Vincent Rotinat, no-nobstant le poids de la censure que, faute de documentation suffisante, il est impossible de déterminer. Eu égard aux circonstances, le lecteur est assez étonné par la relative liberté de ton dont usait Vincent Rotinat, mais c’est surtout la pertinence de certaines analyses qui peuvent, aujourd’hui, surprendre, donnant à penser que la censure, dans ces premiers temps du nouveau régime, pouvait être relativement contournée.
Certes, il serait totalement erroné de métamorphoser ces articles en manifeste d’une résistance précoce au régime de Vichy, bien au contraire ! Néanmoins, à tort ou à raison, nous pensons que ces écrits de Vincent Rotinat ont un réel intérêt et méritent ainsi d’être exhumés. Ils permettent de mieux saisir pourquoi des républicains, certainement sincères et convaincus, comme l’était le député de l’arrondissement de La Châtre purent soutenir le maréchal Pétain et accepter des transformations radicales sous l’égide du « héros de 1914-1918 ». Du mois d’août jusqu’au mois de décembre de l’année 1940, Vincent Rotinat commentait à la fois les mesures prises par le gouvernement de Vichy et l’évolution de la guerre, sans se départir d’une mordante ironie ou d’une grande lucidité.
Sans vouloir ici se livrer à une savante exégèse, nous pouvons néanmoins regrouper les thèmes développés au fil des semaines par V. Rotinat sous les rubriques suivantes :
- l’évolution de la guerre ;
- le retour à la terre, la vie des paysans, la restauration des provinces ;
- la réforme des institutions, la démocratie victime de la démagogie, la recherche des responsabilités ;
- la Légion des Combattants, le parti unique, les prisonniers de guerre.
Effectivement, ce sont bien les thèmes majeurs de la Révolution Nationale. Est-ce à dire que Vincent Rotinat jouait la même partition ? Ne glissait-il pas subrepticement quelques ornements personnels, voire quelques dissonances ?
Le 12 octobre 1940, Vincent Rotinat s’interrogeait : « Où en est l’œuvre de rénovation entreprise par le Gouvernement du Maréchal Pétain ? La révolution nécessaire que préconisent les dirigeants et les journaux et que justifient les événements, pénètre-t-elle l’esprit et le cœur des Français ? Car elle ne sera qu’à cette condition… » Du mois d’août au mois de décembre 1940, Vincent Rotinat aspirait à une profonde transformation à la fois des institutions et de la société française, dans le but, toujours plus ou moins bien explicité, de résister et de retrouver l’esprit de Verdun. Les Français qui « ne s’aimaient pas » devaient s’unir derrière le chef prestigieux. « Il faut plaindre les pauvres esprits qui ne voient dans les malheurs du pays qu’une occasion à satisfaire ressentiment personnel ou rancune partisane. » (10 août 1940). Pour autant, les Français devaient-ils s’inspirer des régimes totalitaires étrangers ? Certes, Vincent Rotinat n’écartait pas l’hypothèse de la création d’un parti unique : « On parle de la constitution d’un parti unique. Là devrait être son but : le rassemblement de toutes les bonnes volontés françaises, sans ressentiment, sans haine, sans vaines polémiques, et de toutes les forces vives de la nation avides de travailler à son redressement et dépouillées de tout autre souci. » Le 24 août 1940, il était suffisamment clair : « Illusions dangereuses que d’imaginer un hypothétique redressement par un retour de cinquante ans en arrière ou une copie servile d’institutions étrangères. L’œuvre de reconstruction morale et civique exige plus de hauteur de vue et le génie de la France est assez riche pour qu’on y puise toutes les possibilités d’un redressement rapide et total. »
La question du statut des juifs ne fut absolument pas évoquée par Vincent Rotinat, alors que d’autres éditorialistes dans la presse berrichonne commentèrent les dispositions prises en la matière pas le gouvernement de Vichy, pour les approuver du reste. Mais le silence de Vincent Rotinat n’avait-il pas valeur de réprobation ? Il était difficile d’imaginer que la censure acceptât un éditorial fustigeant ces mesures iniques. Pourtant, le 30 novembre 1940, Vincent Rotinat écrivait : « C’est dans le malheur qu’un pays se forge une âme commune, et les épreuves que nous subissons ne peuvent que recréer, entre nous une fraternité agissante. » Il ne pouvait ignorer que Max Hymans, député de l’Indre, était exclu de cette « fraternité agissante », puisque que l’État Français l’avait estampillé comme juif.
Outre cette activité d’éditorialiste, Vincent Rotinat avait-il une vie publique active ? Était-il impliqué dans la création de la Légion Française des Combattants ? sachant qu’il était l’un des animateurs des anciens combattants.
Il faut être très prudent car les documents brillent surtout par leur rareté. Quelques rares échos dans la presse locale et quelques correspondances conservées dans les dépôts d’archives ne peuvent nous donner qu’un bref aperçu des activités de Vincent Rotinat dans le cadre de la Légion naissante.
« Écho de l’Indre, 8 novembre 1940
Dimanche, au Foyer du Théâtre, a eu lieu l’assemblée générale des anciens Combattants.
Plus de cent cinquante membres de l’Union y assistaient [excuses de V. Rotinat malade].
En qualité de secrétaire, M. Bourg remplace M. Rotinat et fait connaître que cette Assemblée générale est la dernière de l’Union des A.C. de La Châtre, tenue sous cette forme, toutes les associations d’anciens combattants étant dissoutes depuis deux mois et remplacées par la Légion des Combattants dont il parlera tout à l’heure. [M. Bourg explique les buts de la légion et lit le serment légionnaire.]
Enfin il donne lecture d’une circulaire de M. Destouches, président départemental de la Légion, par laquelle M. Rotinat est nommé président de la section communale de la Légion.[…]
Le Serment de la Légion
“ Je jure de continuer à servir la France avec honneur dans la Paix comme je l’ai servie sous les Armes.
Je jure de consacrer toutes mes forces à la Patrie, à la Famille, au Travail.
Je m’engage à pratiquer l’amitié et l’entraide vis-à-vis de mes camarades des deux guerres, à rester fidèle à la mémoire de ceux qui sont tombés au champ d’honneur.
J’accepte librement la discipline de la Légion pour tout ce qui me sera commandé en vue de cet idéal. ” »
Fin décembre de l’année 1940, de nouveau, la presse relatait une réunion des anciens combattants de La Châtre, cette fois-ci Vincent Rotinat était présent. À cette occasion, l’action menée par Vincent Rotinat fut rappelée :
« Fondée il y a 17 ans, l’Union des Anciens Combattants de La Châtre groupait la quasi totalité des titulaires de la carte du combattant […]. La caisse de solidarité, créée par eux a secouru de nombreuses infortunes et a permis, chaque année, l’envoi de nombreux enfants dans les colonies de vacances. Grâce à eux, l’amitié des tranchées s’est conservée intacte parmi les A.C. de La Châtre. Ils ont été à la base du mouvement ancien combattant dans l’Indre. Leurs congrès départementaux annuels resteront comme les plus belles et les plus imposantes manifestations d’entre deux guerres. » (Écho de l’Indre, 27 décembre 1940.)
Cependant, le lecteur apprenait que Vincent Rotinat, « désigné par M. Destouches, pour présider la section communale [de la Légion] n’accept[ait] pas cette présidence pour des raisons qu’il expos[ait] à l’assemblée ». En fait, nous ne savons rien car le journal ne livrait aucune information à ce sujet. La République du Centre, datée du 28 décembre 1940, reprenait en partie ces informations :
« Les Anciens Combattants de La Châtre étaient convoqués dimanche dernier à une réunion qui se tenait dans la salle de la justice de paix. Ils répondirent nombreux. Cette réunion fut présidée par M. Rotinat, président de l’Association, assisté de MM. Langlois, vice-président ; Bourg, secrétaire ; Martin, trésorier, et des membres du Bureau. En ouvrant la séance, M. Rotinat fit connaître que la réunion avait un double but : mettre les membres au courant de ce qui avait été fait pour les camarades prisonniers et constituer la section communale de la Légion Française des A.C. […]
En terminant, M. Rotinat déclara que, désigné en qualité de président de la section communale de La Châtre, il n’acceptera pas cette présidence pour diverses raisons personnelles. »
À notre connaissance, le dernier entrefilet qui évoquait Vincent Rotinat et la Légion Française des Combattants datait du 11 avril 1941 (Écho de l’Indre). Il s’agissait de rendre hommage à « l’ancien président V. Rotinat, qui fonda et présida pendant dix-sept ans l’Union des Anciens Combattants de La Châtre ».
Difficile d’extrapoler à partir de ces informations trop lacunaires ce qui avait motivé l’effacement de Vincent Rotinat. Cependant, une hypothèse peut être avancée, tout à fait plausible. Vincent Rotinat, sincèrement républicain, acceptait certes la révolution nationale qu’il qualifiait de nécessaire ; mais, il souhaitait surtout l’union de tous les Français dans le but de résister à la volonté allemande. L’esprit de réaction lui devenant insupportable, il préférait se taire et ne plus prendre part aux manifestations publiques. Pour étayer ces suppositions, nous avons quelques trop rares lettres dénonçant justement Vincent Rotinat comme étant suspect de contre-propagande à l’égard du nouveau régime.
Ainsi, l’un des responsables locaux du P.P.F., le docteur F… (4), dans une missive datée du 9 mars 1941 et envoyée au docteur Ménétrel (avec pour en-tête Centres de Propagande de la Révolution Nationale – Centre de Châteauroux), fustigeait-il ceux qui entravaient l’essor de la Légion :
« […] Il en est de même dans les milieux anciens combattants, la Légion n’existe pas dans l’Indre, rien n’est fait, car les hommes du Front Popu, les DESTOUCHES, ROTINAT etc… sont toujours aux commandes et freinent le mouvement de rénovation du Maréchal. » Une telle lettre du docteur F…, collaborateur notoire s’il en est, pourrait être a contrario un brevet de bonnes mœurs républicaines pour Vincent Rotinat.
Le 28 mai 1941, le Général de Chomereau, Président de la Légion de l’Indre, s’adressait à François Valentin, Directeur de la Légion Française des Combattants, pour l’entretenir de la situation particulière de La Châtre (5).
« Objet : La Châtre — Incident
I° - […] à la date du 23 avril 1941 j’ai adressé à M. le Préfet de l’Indre un rapport - dont copie ci-jointe, relatif à un incident survenu à La Châtre entre le maire, M. Chabenat et moi-même. […]
II - Ainsi que le précise ce rapport, les dissensions de caractère politique existant dans la section de La Châtre m’avaient amené, pour rétablir l’union, à demander au Président en fonction, M. Bourg, sa démission ; de nombreux Légionnaires n’admettaient pas, en effet, sa présence, du fait qu’ils le considéraient comme incarnant un député local, M. Rotinat - fortement mêlé à des luttes politiques antérieures sous l’étiquette du régime déchu. Le Maire, à cette occasion, m’a publiquement adressé sur un ton inadmissible des reproches également inadmissibles, disant en particulier “qu’on me faisait faire une vilaine besogne, que la délation continuait etc.”
Le Préfet de l’Indre a tenu à me communiquer son propre rapport - consécutif au mien - et adressé au Ministre de l’Intérieur : il y donnait nettement tort au Maire de La Châtre, et approuvant mon attitude, il proposait une suspension d’un mois de M. Chabenat, à titre de sanction.
III. - Or, ce Haut Fonctionnaire vient de m’informer de ce que le Ministre de l’Intérieur, lui notifiant sa décision, avait fait connaître [sic] que la sanction de suspension provisoire des Maires n’existait plus et que la révocation n’était pas justifiée, en l’occurrence, l’affaire en resterait là. M. le Préfet de l’Indre, dans ces conditions n’a pu que faire adresser au Maire de La Châtre des observations verbales par le Sous-Préfet intéressé.
IV. - J’ai l’honneur de faire appel de la décision ci-dessus.
En effet, faisant abstraction totale de ma personne, j’estime que, si le Maire - de tendance antérieure franchement suspecte - peut, sans autre inconvénient qu’une réprimande verbale, adresser sur la place publique, et pour des questions strictement légionnaires, des observations à un Président de Légion, nommé par le Chef de l’État, celui-ci n’a plus qu’à résilier ses fonctions.
Je crois devoir ajouter, que M. Chabenat, Maire de La Châtre, n’avait pas caché qu’il attendait avec tranquillité la sanction à intervenir [sic].
J’ajoute aussi qu’ayant à lutter contre l’apathie de la population de l’Indre, contre laquelle une action active et incessante obtient, du reste, d’excellents résultats depuis un mois, je me suis heurté partout à cette remarque que, jusqu’ici “il n’y avait rien de changé” : il n’est pas douteux que l’absence de sanction à l’égard d’un Maire de mentalité plus que suspecte, confirmera l’opinion générale.
N’ayant jamais été mêlé aux luttes politiques locales, n’ayant jamais rencontré M. Rotinat et ayant vu pour la première fois M. Chabenat, Maire de La Châtre, le jour de l’incident, je me place uniquement, au point de vue de l’intérêt général de la Légion de l’Indre dont la déplorable situation antérieure exige un effort sérieux pour aboutir à un résultat que je compte obtenir - excellent - à bref délai. »
Le 25 septembre 1941, le préfet de l’Indre recevait une lettre anonyme relatant le comportement de Vincent Rotinat, accusé de mener une action hostile (6) :
« Arrondissement de La Châtre
Un certain flottement se manifeste dans certaines communes dans lesquelles se fait sentir une propagande sourde, mais active émanant de Rotinat et de sa bande toujours très influente dans cette région où il possède de nombreux amis personnels espérant un retour de la politique d’avant-guerre qui leur permettrait de redevenir les maîtres triomphants et incontestés, auréolés de leur résistance actuelle.
Les partisans de Rotinat s’emploient à faire courir certains bruits tels que :
La Légion est un parti de bourgeois.
Le 17 août vous avez levé la main comme des fascistes pour prêter serment à Hitler et bien d’autre stupidités qui trouvent écho auprès des paysans mal renseignés et d’aigris portés à ne voir que des brimades dans les mesures prises par le Gouvernement. »
Les autorités de Vichy tenaient à être informées par les préfets de l’activité éventuelle des anciens parlementaires. Nous avons ainsi à notre disposition de précieux rapports nous renseignant sur la conduite des parlementaires du département de l’Indre durant cette période ; certes, faute de documents émanant d’autres sources, il est impossible de vérifier les conclusions de ces enquêtes préfectorales.
• 1941
« 23 septembre 1941, rapport du sous-préfet du Blanc – Attitude et activités parlementaires (7)
Dans mon arrondissement il n’y a que deux parlementaires, tous deux anciens ministres. M. Bénazet, sénateur, Président du Conseil Général, que vous avez démissionné d’office en raison du fait qu’il figure sur la liste des dignitaires de la Franc-maçonnerie parue au Journal Officiel. […] M. Bénazet (radical-socialiste) ne semble pas rallié à la Révolution nationale et d’après, ce qui m’a été raconté, il confierait à ses relations que la victoire anglaise est certaine.
Quant à M. Chichery, Président du Groupe radical-socialiste de la Chambre, il a été à Bordeaux Ministre du Maréchal Pétain. Il semble rallié au Maréchal et en tous cas observe au Blanc une attitude très correcte. »

« 24 décembre 1941 rapport du sous-préfet du Blanc
Quant aux parlementaires, je n’ai rien à signaler, sinon que la diffusion par la presse de la qualité de franc-maçon de M. Bénazet, sénateur, et ensuite sa démission d’office de conseiller municipal et, ces temps derniers, comme conseiller général, lui ont causé un tort considérable dans l’opinion publique. »
Ces informations furent reprises par le préfet de l’Indre qui précisait à propos de MM. Hymans et Paul-Boncour (8) :
« M. Hymans, député israélite, ne se manifeste pas par une hostilité extérieure au gouvernement. Il est probable cependant qu’il continue à visiter sa clientèle électorale dans son ancienne circonscription. Il fait l’objet d’une surveillance attentive.
M. Paul-Boncour, ancien président du conseil est retiré à Saint-Aignan, où il ne fait apparemment aucune politique. Il n’est pas cependant sans avoir, dans le canton de Saint-Aignan, une grande influence sur la population dont il a su garder l’estime. Ce canton reste assez réticent à l’œuvre de Rénovation Nationale ; l’influence de M. Paul-Boncour n’y est peut-être pas absolument étrangère. Voit beaucoup M. Hymans. »

Aucun renseignement, concernant Vincent Rotinat, n’apparaissait dans ces rapports, pour l’année 1941,
• 1942
Un rapport de synthèse fut établi, pour l’ensemble de cette année 1942 (9), par André Jacquemart, préfet de l’Indre, ferme partisan de la Révolution Nationale, qui ne pouvait être accusé de complaisances envers les anciens parlementaires.
« Attitude des anciens parlementaires
Paul Bénazet ne s’est pas rallié à l’ordre nouveau, demeurant à Mérigny (Indre), 67 ans, il n’a aucune influence dans le département, sa qualité de franc-maçon révélée par la presse l’a beaucoup discrédité aux yeux de l’opinion publique.
Louis Deschizeaux, 45 ans, demeurant à Ardentes, ex-député de l’Indre SFIO puis USR, a été maire de Châteauroux jusqu’en août 1942. Il se montrait loyal à l’égard du Gouvernement mais cherchant alors à ménager tout le monde, tous ses actes paraissaient pesés, en vue, le cas échéant, d’une réélection future. Depuis, il n’a aucune activité politique. Son influence, très discutée, ne paraît pas grande dans la région.
Vincent Rotinat, 54 ans, demeurant à La Châtre, ex-député de l’Indre radical-socialiste. Ne se livre à aucune activité politique. Il évite de paraître dans les manifestations publiques officielles (cérémonies patriotiques, conférences…) et observe une attitude que l’opinion interprète comme une “neutralité malveillante”, sans que rien ni dans ses actes ni dans ses paroles soit interprété comme une attitude anti-nationale. Il a conservé de l’influence auprès de ses électeurs et des amis qu’il compte en assez grand nombre dans la région. Certains viendraient comme autrefois lui demander conseil.
[À propos de Chasseigne] J’estime cependant qu’on peut lui faire confiance et que sa conversion est sincère. [Et de Chichery] Conseiller national, attitude parfaitement loyale à l’égard du Maréchal. »
(Aucun rapport pour l’année 1943.)
• 1944
Un mois après le débarquement du 6 juin 1944, le commissaire principal L…, chef du service des Renseignements Généraux du département de l’Indre, adressait le rapport suivant au commissaire divisionnaire, chef du service régional des Renseignements Généraux à Limoges (10).
« Châteauroux, le 10 juillet 1944
[…] J’ai l’honneur de vous adresser ci-dessous tous renseignements sur le personnel politique du département :
Sénateurs
BENAZET Paul, 68 ans, propriétaire à la Roche-Bellusson, commune de Mérigny.
Radical-socialiste, ex-maire de Mérigny, ex-président de la Chambre d’Agriculture et du Conseil Général de l’Indre, Président honoraire de la Fédération radicale du parti radical-socialiste de l’Indre, ex-sous-secrétaire d’État, ex-président de la Commission sénatoriale de l’Air. Ancien dignitaire de la Franc-Maçonnerie. Ne fait aucune propagande actuellement, mais n’est pas partisan de l’ordre nouveau. S’il s’abstient de toute activité auprès de la population, il reste cependant en contact avec d’anciens parlementaires, notamment Rotinat, ex-député radical-socialiste de La Châtre. Il serait aussi en relation avec certaines personnalités du gouvernement actuel.
Il réside peu à Mérigny, vivant le plus souvent à Clermont et dans le Var, où il possède des vignobles. Il a cependant gardé une assez forte influence dans l’arrondissement, influence amoindrie il est vrai par la révélation de sa qualité de franc-maçon.
GAUTIER Fernand, 74 ans, demeurant à Argenton-sur-Creuse (Indre). Radical-socialiste, industriel et possesseur d’une grosse fortune. Malade actuellement, depuis près de deux ans, se désintéresse complètement des affaires politiques et vit complètement retiré.
Députés
CHICHERY Albert, 53 ans, industriel (usines Dilecta) résidant 13, rue du Bosquet au Blanc, au Château des Madrolles, commune de Pouligny-Saint-Pierre. Radical-socialiste, président de la section du Blanc et de la fédération départementale du Parti. Député du Blanc, et président du groupe parlementaire radical-socialiste, membre du gouvernement Paul Reynaud en 1940, s’est rallié à la politique du Maréchal ce qui, depuis quelque temps, semble diminuer sa popularité dans son ancienne circonscription et l’a fait exclure du parti radical-socialiste reconstitué à Alger. Conseiller National. […]
DESCHIZEAUX Louis, âgé de 45 ans, publiciste. Ancien maire de Châteauroux, demeurant à Ardentes (Indre). Député de la 2e circonscription de Châteauroux, conseiller général du canton d’Ardentes. A démissionné en août 1942 à la suite de ses nombreux différends avec M. Cornet, 1er adjoint P.S.F. S’occupe actuellement de l’exploitation de son domaine. Montait souvent à Paris avant le 6 juin 1944 pour s’occuper d’affaires de publicité. S’est montré partisan du gouvernement avant sa démission. Depuis ne paraît plus avoir d’activité politique. - U.S.R.
CHASSEIGNE François, Ernest, Edouard, né le 23 décembre 1902 à Issoudun (Indre), domicilié à Villiers-les-Roses, commune de Sainte-Lizaigne — ex-journaliste et publiciste. Après avoir appartenu au parti communiste dans lequel il a rempli à Paris d’importantes fonctions, il fut élu député d’Issoudun en 1932 et en 1936 comme “pupiste”. En 1936, il passa au parti S.F.I.O. sans y occuper toutefois de fonctions officielles. Il soutenait efficacement l’action de ce parti dans l’arrondissement d’Issoudun. Il appartenait à la Franc-Maçonnerie jusqu’à la dissolution de cette secte. Après la guerre 1939-1940, au cours de laquelle il fut blessé, il donna son adhésion à la po-litique du gouvernement dont il fait partie actuellement en qualité de Secrétaire d’État au Ravitaillement. Il a été nommé maire d’Issoudun le 28 mars 1941.
Dans la région d’Issoudun, l’influence de M. Chasseigne paraît assez faible : ses anciens amis des partis extrémistes lui reprochent ce qu’ils appellent une “trahison”, et les membres des partis dits “nationaux” considèrent avec une certaine méfiance son attitude actuelle qu’ils mettent sur le compte de l’opportunisme.
HYMANS Max, né le 3 mars 1900 à Paris, marié, un enfant, domicilié à Valençay (Indre), est israélite. […] Fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour atteinte à la Sûreté de l’État. Est actuellement dans la dissidence, hors de France. A conservé une grande influence dans la région de Valençay.
ROTINAT Vincent, né le 10 juillet 1888 à Briantes (Indre), domicilié à La Châtre, place du Marché. Instituteur retraité. Ex-vice-président de la Fédération départementale du parti radical-socialiste. […] Depuis 1940, il s’est abstenu de participer à la vie de la Nation, évite de paraître dans les manifestations officielles. Il passe pour être opposé à la politique du gouvernement, mais il n’a manifesté aucun acte d’hostilité à son égard et se cantonne dans une stricte neutralité d’action. […] »
En fait, il s’agit d’un rapport complet concernant l’ensemble du personnel politique du département de l’Indre ; nous ne publions ici que les passages relatifs aux parlementaires. Eu égard à la date (le 10 juillet 1944), la fiabilité d’un tel dossier administratif peut être suspecte. Le commissaire L… fut nommé le 1er décembre 1942 dans le département de l’Indre (11) ; ce fonctionnaire de police avait eu le temps de connaître les dossiers politiques. Cependant, dans l’hypothèse où le commissaire L… n’éprouvait aucune sympathie particulière pour le gouvernement de Vichy, il pouvait minimiser l’hostilité de certains anciens parlementaires à l’égard de ce régime afin de leur éviter des ennuis pénibles. L’histoire de la police du département de l’Indre de 1940 à 1944 est à écrire ; nous sommes encore loin de tout savoir à propos de cette période.

La Libération
Après la libération du territoire, ces anciens parlementaires pouvaient-ils prétendre recouvrer leur siège ?
L’ordonnance du 21 avril 1944, portant organisation des pouvoirs publics en France après la libération, devenait le texte de référence pour que le peuple français pût de nouveau exercer sa souveraineté. Il est utile, ici, de citer l’article 18 du titre IV « Élections », afin que le lecteur puisse comprendre les difficultés auxquelles les parlementaires du département de l’Indre seraient confrontés.
« Ne peuvent faire partie d’aucune assemblée communale ou départementale, ni d’aucune délégation spéciale ou délégation départementale :
a) Les membres ou anciens membres des prétendus gouvernements ayant eu leur siège dans la métropole depuis le 17 juin 1940 ;
b) Les citoyens qui, depuis le 16 juin 1940, ont directement par leurs actes, leurs écrits, ou leur attitude personnelle, soit favorisé les entreprises de l’ennemi, soit nui à l’action des nations unies et des Français résistants, soit porté atteinte aux institutions constitutionnelles et aux libertés publiques fondamentales, soit tiré sciemment ou tenté de tirer un bénéfice matériel direct de l’application des règlements de l’autorité de fait contraires aux lois en vigueur le 16 juin 1940 ;
c) Les membres du Parlement ayant abdiqué leur mandat en votant la délégation du pouvoir constituant à Philippe Pétain le 10 juillet 1940 ;
d) Les individus ayant accepté de l’organisme de fait se disant “gouvernement de l’État français” soit une fonction d’autorité, soit un siège de conseiller national, de conseiller départemental nommé ou de conseiller municipal de Paris.
Pourront cependant être relevés, par le préfet, après enquête, de la déchéance prévue aux alinéas c) et d) du présent article, les Français qui se sont réhabilités par leur participation directe et active à la résistance, participation constatée par décision du comité départemental de libération. »
Cet article fut complété par l’ordonnance n° 45.582 du 6 avril 1945, art. 18 bis (J.O. n° 82 du 7 avril 1945) :
« La levée de l’interdiction est prononcée par décision d’un jury d’honneur composé du vice-président du Conseil d’État, président, du chancelier de l’ordre de la Libération et du président du conseil national de la résistance ou, en leur absence, de leurs remplaçants.
Le jury d’honneur peut être saisi par l’intéressé ou se saisir spontanément, dès qu’il est informé soit de la candidature, soit de l’élection d’une personne inéligible, ou présumé inéligible. Sa décision motivée n’est susceptible d’aucun re-cours ; elle est, immédiatement, publiée au Journal Officiel de la République Française, par les soins du ministre de l’Intérieur. »
Le 6 novembre 1944 (12), le ministre de l’Intérieur, A. Tixier, adressait une circulaire aux préfets, concernant le rétablissement des conseils généraux (circulaire ministérielle n° 85). Il apportait un certain nombre de recommandations :
« […] Vous devrez prendre l’avis du Comité Départemental de la Libération. Tout en attachant la plus grande importance à l’avis de ce comité, vous devez assumer vos propres responsabilités. En particulier, vous ne devrez pas oublier que le conseil général est formé des représentants des cantons et vous vous attacherez à réaliser, dans la plus large mesure possible, des désignations concernant les divers cantons de votre département.
Enfin, le nouveau conseil général provisoire devra tenir le plus grand compte des opinions ou tendances politiques du département et de leur évolution depuis la Libération.
Les propositions du Préfet devront être accompagnées d’un rapport contenant des informations précises sur chacune des personnalités proposées comme con-seiller général et indiquant l’avis formulé par le Comité départemental de Libération. Ces propositions me seront transmises par l’intermédiaire du Commissaire Régional de la République qui devra ajouter son propre avis.
Je vous recommande de pousser le plus activement possible, les opérations de rétablissement des Conseils Généraux Provisoires. »
L’avis du Comité Départemental de Libération de l’Indre était très lapidaire :
« Gouvernement Provisoire de la République Française — Comité Départemental de Libération de l’Indre — Comité exécutif
Châteauroux, le 23 janvier 1945
Le Président du C.D.L.
à Monsieur le Préfet,
Monsieur le Préfet,
Suite à notre conversation téléphonique de ce jour, relative aux Conseillers Généraux, nous avons l’avantage de vous préciser la décision du C.D.L. :
Exclusion des conseillers généraux ayant voté contre la République.
Exclusion des conseillers généraux ayant fait partie du Conseil Départemental.
Exclusion des Conseillers Généraux ayant eu une attitude anti-nationale.
Le Président du C.D.L.
P/O signé : Plateaux »
Le préfet de l’Indre, Jean Laporte, le 30 janvier 1945, adressait, au ministre de l’Intérieur, un dossier contenant ses propositions concernant le Conseil Général de l’Indre. Après avoir évoqué l’activité de Max Hymans de 1940 à 1944, le préfet Laporte rapportait que le « Comité Départemental de Libération de l’Indre s’est refusé à admettre les titres de résistance de M. Hymans et demande son exclusion du Conseil Général.. Dans ces conditions, conformément au dernier alinéa de l’article 18, titre 4, de l’ordonnance du 21 avril 1944, il ne m’est pas possible de relever de sa déchéance M. Hymans puisque le Comité Départemental de Libération de l’Indre se refuse à constater sa participation active et directe à la Résistance. J’estime cependant que les titres de M. Hymans sont suffisants pour obtenir le droit de siéger à l’assemblée départementale. Ci-joint copie d’un certain nombre de documents concernant M. Hymans. »
Voici ces pièces :
« Assemblée Consultative Provisoire
Alger, le 5 novembre 1943
Le Secrétaire de la Délégation de la Résistance Française à Alger
à Monsieur Max Hymans
Monsieur le Député,
La Délégation de la Résistance Française, examinant la situation des parlementaires dans les termes de l’Ordonnance du 17 septembre 1943, a constaté vos actes dès 1940, les services rendus et les risques courus par vous comme militant de la Résistance.
Elle a pris note de ce que vous n’étiez pas candidat à l’Assemblée Consultative Provisoire, et, qu’en conséquence, elle n’avait pas à prendre de mesure spéciale vous concernant.
Elle me prie de vous faire connaître qu’elle a décidé que, par votre activité rappelée ci-dessus, vous avez acquis le droit d’être considéré comme un de nos camarades de la Résistance.
Veuillez agréer, Monsieur le Député, notre sympathique considération.
P.O. le Secrétaire de la Délégation du Comité National de la Résistance
signé : P. Ribière
– Décret portant attribution de la Médaille de la Résistance Française
LE COMITÉ FRANÇAIS DE LA LIBÉRATION NATIONALE
Sur la proposition du Commissaire à l’Intérieur,
Vu l’ordonnance du 7 janvier 1944 relative à l’attribution de la médaille de la résistance française,
Vu l’avis favorable de la Commission pour l’attribution de la Médaille de la Résistance Française du 21 mars 1944
décrète :
article 1er. - La Médaille de la Résistance Française est décernée à :
M. Max Hymans
pour le motif suivant :
“Dès l’été 1940, cherche contact avec la Résistance de Londres et s’offre pour accomplir en France tout travail de renseignement et d’action. A organisé plusieurs des premiers comités de réception sur le terrain des parachutistes venus d’Angleterre. Contribua à leur activité et à l’établissement de leurs liaisons dans les deux zones.
Se procura et fit parvenir à Londres, entre autres documents, copies des rapports de la commission d’armistice de Wiesbaden et du rapport confidentiel du Général Doyen.
Poursuivi dès octobre 1941, condamné à mort par le Tribunal d’État de Lyon pour réception d’armes et complot contre la sûreté de l’Etat.”
article 2. - Le Commissaire à l’Intérieur est chargé de l’exécution du présent décret qui sera enregistré et communiqué partout où besoin sera.
Alger, le 6 avril 1944
C. de Gaulle
Par le Président du Comité Français de Libération Nationale :
Le Commissaire à l’Intérieur p.i.
F. de Menthon
Pour ampliation, Alger, le 7 juin 1944. »
Pour Louis Deschizeaux et François Chasseigne, le préfet Jean Laporte demandait la révocation, même si Louis Deschizeaux « opportuniste » était « favorable au nouveau gouvernement ». Pour M Gautier, son retrait de la vie politique était constaté, néanmoins, sa déchéance était prononcée. Pour Vincent Rotinat, le préfet écrivait que « M. Rotinat, à la mort de M. Chichery [était] devenu incontestablement le chef du parti radical-socialiste dans le département de l’Indre. Sans qu’il en ait fait état, je sais que M. Rotinat a milité dans les groupes parlementaires en faveur de la Résistance depuis 1940. Il est à l’heure actuelle, membre du Bureau National du parti radical-socialiste constitué dans la clandestinité. Le Comité Départemental de Libération de l’Indre demande son exclusion. J’estime, en accord même avec les dirigeants locaux du parti radical-socialiste, qu’il est difficile pour M. Rotinat de siéger à nouveau dans l’assemblée départemental, du moins pour quelque temps. Dans ces conditions, il doit être fait application à l’intéressé de l’article 18, alinéa c, de l’ordonnance du 21 avril 1944. »
Enfin, pour M. Bénazet, il était rappelé que le gouvernement de Vichy l’avait révoqué de ses fonctions de maire de Mérigny. Cependant, « le Comité Départemental de Libération de l’Indre demand[ait] l’exclusion de cet élu» ; le préfet précisant qu’il n’avait pas « la preuve que M. Bénazet ait milité dans les rangs de la Résistance ». Donc, il fallait lui appliquer les dispositions de l’ordonnance du 21 avril 1944 puisqu’il avait voté la délégation de pouvoirs le 10 juillet 1944, au même titre que les autres parlementaires de l’Indre.
Le 12 février 1945, le Commissaire de la République de la Région de Limoges écrivait au ministre de l’Intérieur pour attirer son attention sur le cas de Max Hymans (13) :
« J’insiste avec M. le Préfet de l’Indre pour que le refus du Comité Départemental de Libération d’émettre une propo-sition favorable au relèvement de sa dé-chéance ne soit pas entériné par un arrêté ministériel avant qu’une nouvelle en-quête menée par vos services ait permis d’établir une mise au point de la question qui ne peut qu’entraîner une nouvelle décision, celle-ci en faveur de l’intéressé.»
Finalement, le préfet de l’Indre décida le 6 avril 1945 de lever la déchéance de Max Hymans et en avisa le ministre de l’Intérieur :
« Comme suite à mes communications des 24 et 30 mars 1945 concernant M. Max Hymans, député de l’Indre, j’ai l’honneur de vous adresser ci-joint mon arrêté en date du 6 avril relevant ce parlementaire de la déchéance prévue par l’article 18, paragraphe c et d de l’Ordonnance du 21 avril 1944.
J’annexe à cette communication copie du dossier qui m’a été remis par M. Max Hymans et qui m’a permis de prendre la décision ci-jointe malgré l’avis défavorable du C.D.L. [souligné au crayon rouge dans le texte.]
Extrait du registre des Arrêtés de la Préfecture de l’Indre du 6 avril 1945
Le Préfet du Département de l’Indre ;
Vu l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la Légalité Républicaine sur le Territoire Continental ;
Vu l’ordonnance du 21 avril 1944 modifiée par les ordonnances du 21 août et 3 novembre 1944, art. 18, paragraphes c et d, portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération ;
Considérant que M. Max Hymans, député de l’Indre, a voté la délégation des pouvoirs constituants à Philippe Pétain le 10 juillet 1940 ;
Considérant, par contre, que M. Max Hymans a participé d’une manière directe et active à la Résistance, participation sanctionnée par la Médaille de la Résistance qui lui a été accordée par le Général de Gaulle, Chef du Gouvernement Provisoire de la République Française, le 6 avril 1944 ;
ARRÊTE :
Article 1. - M. Max Hymans, député de l’Indre, est relevé de la déchéance prévue à l’article 18 de l’Ordonnance du 21 avril 1944, paragraphe c.
Article 2. - Le Secrétaire Général de la Préfecture est chargé de l’exécution du présent arrêté.
Le Préfet, signé : Jean Laporte»
Le Commissaire de la République de la Région de Limoges, le 21 avril 1945, pria le préfet de l’Indre de lui fournir des renseignements supplémentaires à propos de M. Bénazet pour le Jury d’Honneur ; deux jours plus tard, Jean Laporte ne pouvait que confirmer ce qu’il avait déjà indiqué dans son rapport du 30 mars dernier, « à savoir que, des renseignements qui [lui] ont été fournis de diverses sources, l’attitude de M. Bénazet a été extrêmement correcte. Il a, en toutes circonstances, affirmé ses sentiments anti-vichyssois et anti-allemands et appuyé d’une manière constante l’action de la Résistance. » Il joignait également la note que venait de lui adresser à ce sujet le Président du C.D.L. de l’Indre :
« Gouvernement Provisoire de la République Française — Comité Départemental de Libération de l’Indre — Comité exécutif
Châteauroux, le 21 avril 1945
Monsieur le Préfet de l’Indre
En réponse à votre note du 21 avril, concernant la participation à la lutte contre l’ennemi et l’usurpateur prise par Monsieur Bénazet, sénateur de l’Indre, j’ai l’honneur de vous faire connaître que Monsieur Bénazet a été ignoré dans l’ensemble de tous les mouvements de Résistance.
Le Président du C.D.L. de l’Indre
signé : Monestier »
Le 26 avril 1945, le préfet de l’Indre adressait un rapport à « Monsieur le Président du Jury d’Honneur (Conseil d’État) » à Paris. Il ne donnait aucune précision supplémentaire au sujet de M. Bénazet ; en revanche, à propos de Vincent Rotinat, il confirmait que celui-ci avait « milité dans les groupes parlementaires en faveur de la Résistance» et que son « attitude sous l’occupation a été extrêmement correcte ». Néanmoins, le président du Jury d’Honneur demandait encore des précisions le 29 mai 1945 au sujet de M. Rotinat ; le 9 juin, le préfet Laporte transmettait à ce jury d’honneur une copie de la lettre du président du C.D.L. de l’Indre :
« Comité Départemental de Libération de l’Indre — Châteauroux, le 9 juin 1945
Monsieur le Préfet,
En réponse à votre note du 8 juin par laquelle vous nous demandez l’avis du C.D.L. sur la participation à la résistance de Monsieur Rotinat, ancien député de l’Indre, non seulement il n’a pris aucune part à la Résistance, mais il s’est toujours livré à des critiques très sévères contre la résistance. Celles qu’il a portées notamment contre la formation du maquis de sa région faisaient preuve d’une mauvaise foi évidente.
Le Président du C.D.L. de l’Indre
signé : Monestier »
Au-delà de la simple question politique qui peut être analysée en termes de rapport de force entre différents courants constitutifs de la Résistance, le rétablissement de la légalité républicaine était une réelle préoccupation pour les autorités préfectorales. Le commissaire de la République de la Région de Limoges, M. Boursicot, invitait, le 10 octobre 1944, les préfets des départements de cette région (14) à tenir compte que, « au cours de la période insurrectionnelle qui a précédé et suivi immédiatement la libération du territoire, un certain flottement s’est manifesté dans tous les domaines. En particulier, sur le plan local, de nombreuses municipalités ont été destituées et remplacées par des autorités de fait aussi variées qu’illégales. » Un mois plus tard (le 10 novembre 1944), le préfet de l’Indre, Jean Laporte, établissait un dossier, au sujet de la réorganisation des municipalités, qu’il adressait au ministre de l’Intérieur. Il s’agit d’un document fort intéressant car il permet de saisir la situation politique du département de l’Indre juste après le départ des troupes allemandes. Jean Laporte, nommé le 24 août 1944, avait pu analyser l’activité du C.D.L. de l’Indre. Le préfet de l’Indre, né en 1909, docteur en droit (15) connaissait bien les rouages de l’administration préfectorale, puisqu’il avait été successivement : secrétaire général des Pyrénées Orientales, secrétaire général du Jura, sous-préfet de Nontron, sous-préfet de Confolens, secrétaire général de la Haute-Vienne ; aussi peut-on subodorer qu’il avait une haute conscience de sa mission. Il signalait donc qu’il s’était, dès son arrivée à Châteauroux, « attaché à résoudre cet important problème [la réorganisation des municipalités] suivant les directives contenues dans l’ordonnance du 21 avril 1944 ». Mais la « réoccupation partielle » du département « par les troupes allemandes en retraite, a, jusqu’au 12 septembre, provoqué de profondes pertubations dans la vie administrative. D’une part, les communes étaient privées de toutes instructions gouvernementales, et, d’autre part, les Comités Locaux de Libération, constitués dans la clandestinité, étaient passés à l’action ouverte. Ces organismes, en possession d’un Comité Départemental de Libération, dirigé par les partis extrémistes, se sont attachés à écarter toutes les municipalités élues, maintenues depuis 1940 - elles étaient en grande majorité dans l’Indre - en les taxant de collaboration ou plus généralement de passivité. » Il ajoutait : « Lorsque j’ai pu faire diffuser librement vos instructions, notamment la circulaire n° 1 du 7 septembre, il s’était établi un état de fait contre lequel il s’avérait très délicat de réagir. Toutefois, grâce à un effort de compréhension que je me plais à reconnaître, d’une part chez les éléments locaux de la Résistance, et, d’autre part chez les conseillers élus, j’ai réussi à grouper autour des premiers, les plus jeunes ou les moins discutés des seconds et des personnalités.
Je me suis ainsi trouvé dans l’obligation de ne constituer que dix délégations municipales ne comprenant aucun ancien élu. Enfin, les plus grosses difficultés ont été rencontrées dans les grandes agglomérations (Châteauroux, Issoudun, Argenton, Le Blanc). J’ai dû placer à la tête de ces communes des hommes neutres, sans passé politique, acceptés par la “Résistance”, et ayant des sympathies dans la population.
D’heureuses synthèses ont pu aussi être réalisées, comme au Blanc, où l’ancien maire est repris comme conseiller municipal. Mais il faut bien reconnaître qu’il s’agit de constructions artificielles et provisoires qui ne se retrouveront pas aux prochaines élections pour lesquelles chaque parti politique reprendra sa liberté d’action.
De même, il y a lieu de tenir compte du fait que, dans notre région, les élections municipales se font plus sur des questions de personnes que sur des idées politiques, et qu’ainsi bon nombre d’anciens conseillers ressortiront à la prochaine élection populaire.
En ce qui concerne les élus municipaux parlementaires qui, le 10 juillet 1940, ont voté la délégation de pouvoirs à Philippe Pétain, deux cas se présentaient :
1° - Celui de Bénazet, sénateur, ancien ministre, maire de Mérigny. M. Bénazet, en raison de ses occupations qui le retiennent à Paris, me semble ne devoir pas reprendre son mandat municipal.
2° - Celui de M. Max Hymans, député, ancien Ministre, Conseiller Municipal de Valençay. M. Max Hymans ne figure pas dans la délégation municipale que j’ai instituée dans cette commune et de laquelle sont écartés également ses adversaires politiques.
En définitive, les assemblées municipales reconstituées semblent devoir assurer, jusqu’aux prochaines élections, une saine gestion des affaires communales, dans un esprit d’ordre et d’union. »
Que voulait signifier exactement le préfet lorsqu’il évoquait des « partis extrémistes » ? S’agissait-il uniquement du parti commu-niste ? Et pourquoi le préfet Laporte écrivait-il qu’il « s’avérait très délicat de réagir » ? Le 14 février 1945, donc avant les élections municipales du printemps de la même année, le préfet de l’Indre était en mesure de dresser le tableau politique des municipalités du département. La composition politique des Conseils municipaux des chefs-lieux de canton et des communes de plus de 2 000 habitants du département de l’Indre était la suivante, pour 467 conseillers municipaux : 64 conseillers communistes (13,7 % de l’ensemble) ; 95 radicaux et radicaux-socialistes (20,3 %) ; 203 S.F.I.O. et socialistes (43,5 %) ; 19 M.R.P. et divers démocrates chrétiens (4,06 %). Pour l’ensemble des 248 communes de ce département, le préfet indiquait également la couleur politique des maires et des présidents de délégations municipales, soit : 25 maires communistes (10,1% du total) ; 73 socialistes et S.F.I.O. (29,4 %) ; 77 radicaux et radicaux-socialistes (31 %) ; 3 M.R.P. et démocrates chrétiens (1,2 %).
L’article 5 de l’ordonnance du 21 avril 1944 précisait que les municipalités provisoires, dans l’attente de nouvelles élections, devaient être composées en « tenant compte, d’une part, de la majorité exprimée aux dernières élections municipales et, d’autre part, des tendances manifestées dans la commune lors de la libération » (voir également le décret du 14 octobre 1944 constatant la répartition des sièges de l’Assemblée consultative provisoire entre les groupes ou ensembles de groupes du Sénat et de la Chambre des députés). Aussi est-il loisible de penser que le préfet Jean Laporte dût subir une pression importante pour que l’ancien équilibre fût modifié, justement, en faveur de ce qu’il appelait les « partis extrémistes ».
Jean Laporte informait régulièrement le ministre de l’Intérieur de l’évolution de la situation politique du département de l’Indre ; le rythme de ces rapports était quasiment hebdomadaire, quelques-uns ont été conservés, fort heureusement !, et, quand bien même certains douteraient de la partialité du préfet de l’Indre, ces rapports restent des documents très précieux. Le 23 avril 1945, à quelques jours du premier tour des élections municipales, le préfet Laporte constatait« qu’aucune entrave sérieuse [serait] apportée à la liberté de ces élections ». Néanmoins, il soulignait l’action du C.D.L. de l’Indre qui avait « cru devoir mettre en garde les électeurs contre la candidature de certaines personnalités [que le C.D.L.] déclare frappées “ d’une incompatibilité morale ”. […] Cet organisme donne une liste de certains maires […] auxquels il refuse le droit moral de se présenter devant les électeurs ». Une telle déclaration, à croire le préfet, ne pouvait guère « in-fluencer de façon sérieuse le choix des électeurs ». Dans ce même rapport, Jean Laporte avertissait le ministre que Paul Bénazet et Vincent Rotinat auraient l’intention d’être candidat à Mérigny et à Briantes, Vincent Rotinat comme candidat isolé. En conclusion, il était fait référence au vote des femmes (60 % du collège électoral), constituant un « élément d’incertitude ». Cependant, le préfet de l’Indre pensait :
« Que les prochaines élections ne marquer[aient] pas un changement notable de l’opinion politique du département qui était de majorité radicale-socialiste et socialiste ».
La liste du C.D.L., citée par Jean Laporte, fut publiée dans La Marseillaise du 21 avril 1945. « Le C.D.L. condamne en particulier tous les membres de la délégation départementale qui ont collaboré avec Vichy, de 1940 à la Libération. […] Le C.D.L. publie ces noms, parce qu’on lui a signalé que ces individus avaient l’impudence de vouloir poser leurs candidatures. […] » Retenons que ni Paul Bénazet ni Vincent Rotinat n’étaient cités ; notons néanmoins que certains, ainsi frappés d’ostracisme, firent, ensuite, une belle carrière politique dans le département de l’Indre.
Trois jours plus tard, Jean Laporte soulignait que « la situation rest[ait] absolument calme [et qu’] aucune pression ne sembl[ait] devoir être faite auprès des électeurs ». Il était également signalé la publication d’une nouvelle liste de proscrits (La Marseillaise, 26 avril 1945), il s’agissait des anciens membres de la délégation départementale, aussi ni P. Bénazet ni V. Rotinat n’étaient cloués au pilori.
Le préfet Jean Laporte brossait un tableau d’ensemble et ne renseignait guère le ministre de l’Intérieur sur l’intensité de la bataille électorale ; les rapports des Renseignements Généraux, adressés au préfet de l’Indre et au commissaire de la République, en revanche, signalaient que le parti radical-socialiste était l’objet de « diatribes » virulentes. Le 25 avril 1945 eut lieu, à Châteauroux (salle Diderot), une réunion publique et contradictoire, organisée par le Mouvement Républicain antifasciste, où fut remarquée l’intervention de Robert Vollet : « […] Déplorant le manque d’unité dans la Résistance, cet officier supérieur F.F.I. se lance dans une acerbe diatribe contre le parti radical-socialiste qu’il n’a pas vu beaucoup auprès de lui quand il s’agissait de combattre. En ce qui concerne le parti socialiste, il reconnaît que celui-ci a été l’âme de la Résistance. Quant au M.R.P., il se demande ce qu’il peut avoir de populaire et de républicain. » Des résistants présents réclamaient le droit de vote dès l’âge de 18 ans. Du reste, lors d’une autre réunion électorale, toujours à Châteauroux (le 12 mai 1945), Robert Vollet protestait car il ne pouvait être candidat, « ayant moins de 25 ans ». Lors de cette réunion, précédant le deuxième tour de ces élections municipales, les communistes expliquaient qu’ils n’étaient pas responsables du « désaccord ». Le parti radical-socialiste fut vilipendé. « Or, ce sont eux qui, dans 90 % des cas où les listes de résistance ont été battues, portent la responsabilité de ces échecs. Ils comptent dans leurs rangs des hommes comme M. Auclair, d’Aigurande, administrateur vichyssois, et M. Rotinat, un des “oui” de Vichy. Si jamais la réaction triomphait à Châteauroux de l’U.P.R.A. [Union Patriotique Républicaine et Antifasciste] ce serait par la faute des radicaux (applaudissement). » Intervention de M. Gauthier, au nom du Parti communiste, qui ajoutait que « les radicaux eux ignor[aient] les mouvements de résistance ». Cette grave accusation indigna M. Sadron, président d’honneur du parti radical-socialiste, qui récusa ces attaques, rappelant à l’assemblée « que les radicaux ont eu des fusillés et des déportés “pour leur action dans la résistance (mouvements divers). Qui osera contester le patriotisme du président Herriot” (rires). M. Sadron constat[ait] avec amertume cet état d’esprit, qui ne veut pas reconnaître, par parti pris, les mérites de chacun. […] Et il conclut : la liste radicale se représente pour qu’il n’y ait pas de voix pour la réaction. »
M. Rigal, député communiste de Paris, parla au nom de M. Lemoine, rapatrié du camp de Buchenwald, « trop faible pour être à la réunion ». Avec un art très consommé de la dialectique et une vision très personnelle de l’histoire la plus récente, M. Rigal démontrait aux quatre cents personnes présentes que les communistes furent les seuls à avoir perçu le danger de l’Allemagne nazie et que faute de les avoir écoutés, les partis au gouvernement furent responsables de ce qui ar-riva ; il ne fallait pas précipiter l’entrée en guerre, la France aurait dû mieux se préparer et sceller l’alliance avec les Soviétiques. Il poursuivait en imputant aux radicaux le « non traité avec Staline ». Puis, M. Rigal se lançait dans un terrible réquisitoire contre les radicaux : « Les radicaux ont bénéficié parfois d’un régime moins sévère dans les camps d’Allemagne. Certains de leurs chefs menaient la vie de château (applaudissement). » De sa place, M. Sadron, « avec une véhémence indignée », se leva pour manifester ; il rappelait à l’assistance que « son fils [avait] été déporté politique en Allemagne, et n’a[vait] pas bénéficié d’un régime de faveur. Il se rass[it] en di-sant : “C’est une lâcheté”. Cette intervention provoqu[a] dans la foule des mouvements divers. Certains applaudi[rent] M. Sadron. »
M. Robinet prit la parole au nom du M.R.P. ; il déclara que le Mouvement républicain populaire avait été reconnu chez M. Cazala par le C.D.L. clandestin. Face à une salle houleuse et hostile, il tenta de « prouver que les membres actuels de ce parti ont toujours travaillé avant la guerre pour la France et pour le peuple ». Enfin, « il évoqu[a] la figure de M. Accolas et son rôle pendant la retraite des Allemands, on lui rétorqu[a] du côté communiste par l’intermédiaire de M. Gauthier que M. Accolas “a représenté le régime de Vichy à la municipalité de Châteauroux jusqu’au dernier moment. Il est resté au moment de la retraite allemande, c’est exact, mais n’est-ce pas parce qu’il n’a-vait rien à craindre, parce qu’il avait donné des gages suffisants ? Un communiste, s’il lui avait été possible de rester, aurait été impitoyablement fusillé. MM. Siboulet et Reverchon figuraient avant la guerre sur les listes de réaction Patureau-Mirand. Si le M.R.P. avait eu à la place de ces hommes MM. Cazala et Schmidt, qui ont joué un rôle actif dans la Résistance, l’entente aurait été possible.” »
Pour comprendre cette attitude franchement hostile de la part des résistants communisants à l’égard des radicaux, il faut rappeler la répartition des élus municipaux du département de l’Indre en 1939 (17). Nous avions 1 363 conseillers radicaux-socialistes et radicaux indépendants pour un total de 3 124 conseillers municipaux, soit 43,62 % de l’ensemble, alors que les conseillers communistes n’étaient que onze (0,35 % de l’ensemble) et les socialistes 372 (11,9 % de l’ensemble), les conservateurs 229 (soit 7,33 % du total). La domination radicale était manifeste.
Le simple bon sens, sans le moindre esprit florentin, montrait que pour les partis de l’extrême gauche, il fallait convaincre l’électeur, traditionnellement enclin à voter radical, de choisir des hommes issus de la résistance communiste, dans la mesure où il était difficilement imaginable de penser que les électeurs conservateurs pussent voter communiste, voire socialiste. La tactique était dès lors toute tracée, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ; il fallait déconsidérer les radicaux, les confondre avec les « forces de la réaction » et autres « vichyste ». Du reste, les arguments ne manquaient pas, Vincent Rotinat, Paul Bénazet avaient bien voté les pleins pouvoirs ; mais cette stratégie ne risquait-elle pas de provoquer l’effet contraire ?
Nous avons un document fort intéressant pour l’arrondissement du Blanc, permettant de répondre en partie à notre question :
« Limoges, le 28 avril 1945 à 11 h 45
Service Régional des Renseignements Généraux - Message téléphoné -
origine : R.G. Indre
L’arrondissement du Blanc (Indre) présente une physionomie quelque peu différente de celle de l’ensemble du département au point de vue électoral.
Tout d’abord, pour la majorité des classes, le Parti Communiste n’a pu réaliser l’unité avec les autres partis et présente une liste.
Dans de nombreuses communes, des listes sont établies par des partis modérés et même réactionnaires et vichyssois, véritables listes de combat, qui constituent, aux yeux de certains partis, une provocation.
Le premier tour se passera dans le calme, mais apportera une déception au P.C. En effet, les paysans voteront contre les erreurs commises par la Résistance, contre les réquisitions opérées par le Maquis, contre tout ce qui a déplu depuis la Libération.
Il apportera ses suffrages aux représentants des partis dits d’ordre (Radicaux, modérés). Il semble que finalement le Parti Radical aura, de loin, le plus grand nombre d’élus, bénéficiant des voix de droite et des anticommunistes.
Certaines personnes se demandent de quelle manière les communistes accepteront leur défaite électorale et quelle sera leur réaction.
Dans certaines communes, les candidats en fonction sous Vichy ont reçu des lettres de menaces. S’ils arrivent en tête au premier tour, il n’est pas impossible que des essais d’intimidation soient entrepris à leur encontre. On rappelle, à ce sujet, que de nombreux explosifs sont encore détenus par ceux qui les employaient dans la clandestinité et d’autre part, certaines formations de la Milice Patriotique n’auraient pas rendu leurs armes. […] »
Au lendemain du premier tour, Jean Laporte établissait un bilan des élections municipales qu’il adressait au ministre de l’Intérieur (16) :
« Le parti radical-socialiste se trouve placé dans une situation délicate qui risque de peser sur son avenir. Ses victoires les plus brillantes à La Châtre et à Aigurande n’ont pu être obtenues que par l’apport massif des voix modérées qu’il n’avait d’ailleurs pas sollicitées. […]
D’une façon générale, les listes de la Résistance ont obtenu un succès indiscutable sauf dans certains centres où elles ont subi un échec marqué. Ces listes s’intitulaient pour la plupart “liste d’union républicaine et antifasciste”. Elles comprenaient des représentants des divers mouvements de Résistance.” Mais la liste Bodin à Ecueillé a été élue en entier contre la liste du maire sortant M. Boisseau qui avait été installé à la libération., à Issoudun, la liste Caillaud est battue par la liste résistance, bien que Caillaud avait une “certaine popularité”, à Levroux, M. Bouillon, maire avant la libération, a également été élu. À Aigurande, M. Auclair maire évincé par la résistance a été élu avec toute sa liste contre la liste de l’Union Républicaine antifasciste. À Saint-Maur, M. Derouin, maire installé par la Libération, présentait une liste de résistance qui a été battue par celle de l’ancien maire M. Anselme Patureau-Mirand, ancien député U.R.D., M. Derouin a toutefois été élu, mais seul de sa listes, alors que M. Patureau-Mirand est en ballottage.
À part l’élection de Saint-Maur, les résultats en faveur de MM. Bodin, Bouillon, Auclair marquent un succès et une réaction contre les désignations de la Résistance qui avait écarté les intéressés, alors qu’aucun fait sérieux ne pouvait leur être reproché.
En dehors des cas cités ci-dessus, il est permis de dire que les listes présentées par les Mouvements de Résistance ont obtenu un succès incontestable. »
Finalement, après les élections municipales de ce printemps 1945, la nouvelle répartition politique des conseillers était la suivante, pour 2 947 conseillers élus :
336 communistes (11,40 % de l’en-semble), 889 socialistes et S.F.I.O. (30,16 %), 775 radicaux-socialistes et radicaux indépendants (26,29 %), 33 M.R.P. (1,11 %). Les femmes, d’après le préfet Jean Laporte avaient mis « un grand empressement à voter », mais il est impossible dans l’état actuel de la question de dire si leur vote avaient facilité ou non la progression du vote communiste. Il reste que le recul du parti radical est patent (17 % des sièges en moins par rapport à 1939), mais ce n’est pas un effondrement.
Vincent Rotinat fut effectivement candidat à Briantes, il obtint au premier tour, certes, la majorité absolue, mais il ne fut pas élu, car venant en treizième position, alors qu’il n’y avait que douze sièges à pourvoir ; dans son rapport, le préfet précisait que M. Rotinat était de toute façon inéligible (ordonnance du 21 avril 1944). Signalons que cinq an-ciens conseillers départementaux, donc inéligibles également, s’étaient néanmoins présentés devant les électeurs. Quant à Paul Bénazet, il fut candidat, à Mérigny, au deuxième tour de scrutin,« et en dehors de toute liste » ; il fut élu en obtenant 309 voix sur 457 suffrages exprimés, « devançant de loin les autres élus, le suivant ayant recueilli 236 voix ».
Le président du Conseil de Préfecture interdépartementale de Limoges, le 10 août 1945, adressa au commissaire de la Répu-blique de la région de Limoges une note (16) pour lui rendre compte des décisions prises par le « Jury d’Honneur » à propos des inéligibles :
« Département de l’Indre
Mr. Hymans Max, député de l’Indre, a été relevé de l’inéligibilité ; décision du Jury d’Honneur du 24 avril 1945.
Mr Bénazet Paul, Sénateur de l’Indre, reste soumis à l’inéligibilité ; décision du Jury d’Honneur du 25 mai 1945.
En conséquence, le Conseil de Préfecture a, par arrêté en date du 31 juillet 1945, annulé l’élection de M. Bénazet en qualité de Conseiller Municipal de la commune de Mérigny.
Mr. Collin Eugène, conseiller départemental de l’Indre, reste soumis à l’inéligibilité ; décision du Jury d’Honneur du 18 juillet 1945. En conséquence, le Conseil de Préfecture a, arrêté en date du 31 juillet 1945, annulé l’élection de Mr. Collin en qualité de Conseiller Municipal de la commune de Valençay.
Mr. Daumain Emile, conseiller départemental de l’Indre, reste soumis à l’inéligibilité ; décision du Jury d’Honneur du 31 juillet 1945. En conséquence, le Conseil de Préfecture a, arrêté en date du 7 août 1945, annulé l’élection de Mr. Daumain en qualité de Conseiller Municipal de la commune de Buzançais.
Je ne manquerai pas de vous signaler les décisions ultérieures qui me seront notifiées. »
D’autres échéances électorales attendaient les électeurs au cours de cette année 1945. Après les élections municipales, le 23 septembre 1945 avait lieu le premier tour des élections cantonales ; le 21 octobre 1945, les Français devaient se rendre aux urnes pour répondre aux questions d’un référendum et élire les membres de la nouvelle Assemblée nationale.
Vincent Rotinat était candidat pour le siège de conseiller général du canton de Neuvy-Saint-Sépulcre. Le 13 septembre 1945, le préfet de l’Indre prévenait le ministre de l’Intérieur (17) qu’il avait eu un entretien avec M. Rotinat. Ce dernier « venait de recevoir une lettre du Jury d’Honneur le relevant de l’inéligibilité ». Le préfet précisait qu’il n’avait « pas eu encore confirmation officielle de cette décision ». Vincent Rotinat devait affronter deux candidats : André Plateaux, membre du C.D.L., « candidat de la Résistance et de la Démocratie » et M. Bret candidat du parti communiste. Après le premier tour, le préfet de l’Indre pensait que M. Plateaux avait « des chances appréci-ables ». Néanmoins, Vincent Rotinat fut élu au deuxième tour (nombre de suffrages exprimés : 4 143, Rotinat : 2 263, Plateau : 1 850).
Paul Bénazet, toujours déclaré inéligible, était candidat dans le canton de Tournon-Saint-Martin et fut élu. Fin septembre 1945, il était relevé de son inéligibilité.
Max Hymans fut élu conseiller général du canton de Valençay et allait devenir président du conseil général de l’Indre. (Voir les résultats et les cartes pages 45 et 46.)
De tous les parlementaires qui furent pris dans la tourmente de la guerre et de Vichy, seul Paul Bénazet affronta le suffrage universel le 21 octobre 1945 (18) ; Max Hymans ne se présentant pas, car il devait se voir « confier la présidence du Conseil Général où son parti a désormais la majorité ». Paul Bénazet menait une liste d’Union Républicaine et Socialiste, en fait une liste dissidente du parti radical-socialiste, effectivement P. Bénazet avait été exclu du parti radical depuis les élections cantonales. La campagne électorale de l’ancien sénateur fut houleuse, des militants communistes manifestant bruyamment leur hostilité, au Blanc comme à Argenton. La « carrière politique » de P. Bénazet était sévèrement critiquée. Finalement, Paul Bénazet ne fut pas élu.

***

Le soir du référendum du 27 avril 1969, le général de Gaulle, conversant avec Michel Debré, eut ce mot pour expliquer les raisons de son échec : « Nous n’avons jamais pu venir à bout de l’esprit de Vichy. C’est lui qui nous a battus aujourd’hui (19). » Que voulait dire le général ? Dans un autre ouvrage (20), l’ancien Premier ministre du général de Gaulle apportait quelques précisions supplémentaires ; au téléphone, le 27 avril 1969, de Gaulle aurait dit à M. Debré : « Nous avons battu les Allemands ; nous avons écrasé Vichy ; nous avons empêché les communistes de prendre le pouvoir et l’O.A.S. de détruire la République. Nous n’avons pas pu apprendre à la bourgeoisie le sens national. »
Le général de Gaulle connaissait parfaitement la réalité politique de la France ; il savait pertinemment que, parmi les notables, nombreux étaient ceux qui, ayant commencé leur carrière politique sous la troisième République, avaient également participé, d’une façon ou d’une autre, à la France de Vichy. Mais que restait-il, justement, de « l’esprit de Vichy » chez ces notables ? Prenons l’exemple du département de l’Indre. Vincent Rotinat, Louis Deschizeaux, sans parler des autres, avaient-ils enfoui, définitivement, toute réminiscence de la Révolution Nationale dans le plus profond de leur inconscient ? Ce n’est pas certain. Il est non moins vrai que l’on peut comprendre le dépit du général de Gaulle et que ces paroles dépassèrent peut-être sa pensée, encore l’inconscient… !
À la lueur de ce que nous connaissons maintenant, une relecture des délibérations des différentes assemblées où siégeaient ces hommes s’imposerait et réserverait certainement bien des surprises. Gageons que cela permettrait de mieux comprendre la vie politique du département de l’Indre et aussi de se rendre compte que certains thèmes de la Révolution Nationale n’étaient pas une simple parenthèse de l’histoire, mais qu’ils font bien partie du paysage politique français d’hier comme aujourd’hui.
Rien ne peut rédimer les crimes atroces commis par des hommes perdus. Mais l’heure n’est-elle pas venue de tenter d’expliquer que l’adhésion à des thèmes de la Révolution Nationale ne signifiait aucunement un ralliement au nazisme ou au fascisme. Plus de cinquante ans après cette épouvantable tourmente, il faudrait éviter de tout confondre et d’anathématiser des hommes qui ne participèrent en aucune façon à l’horreur et à la barbarie, même si d’aucuns pensent que le simple fait d’avoir accordé, le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs au maréchal Pétain « avait rendu possible le désastreux enchaînement (21) ».

Documents annexes

Liste des conseillers généraux
proposés par le préfet du
département de l’Indre
pour constituer le
conseil général provisoire

« Châteauroux, le 12 février 1945
Le Préfet de l’Indre
à Monsieur le Ministre de l’Intérieur
en communication à
M. le Commissaire de la République pour la Région de Limoges
J’ai l’honneur de vous adresser, ci-joint, comme suite à votre télégramme en date du 9 courant, un tableau indiquant la répartition des sièges politiques et la représentation cantonale des conseillers généraux en 1939 et ceux présentés actuellement.
Le Préfet
Ardentes
Conseiller général 1939 : Louis Deschizeaux U.S.R. ; conseiller général proposé Georges Vignals F.N. (communiste).
Argenton
Conseiller général 1939 : Gautier Fernand radical-socialiste ; conseiller général proposé Pierre Bigrat radical-socialiste.
Buzançais
Conseiller général 1939 : Edmond Grenouilloux radical-socialiste ; conseiller gé-néral proposé Edmond Grenouilloux radical-socialiste.
Châteauroux
Conseiller général 1939 : Joseph Berton radical-socialiste ; conseiller général proposé Joseph Berton radical-socialiste.
Châtillon
Conseiller général 1939 : Joseph Ternier radical-socialiste ; conseiller général proposé Joseph Ternier radical-socialiste.
Écueillé
Conseiller général 1939 : Georges Mirveaux radical indépendant ; conseiller général proposé Georges Mirveaux radical indépendant.
Levroux
Conseiller général 1939 : Guillaume d’Ornano républicain de gauche ; conseiller général proposé Louis Gauvin radical-socialiste.
Valençay
Conseiller général 1939 : Max Hymans U.S.R. ; conseiller général proposé Max Hymans U.S.R.
Issoudun-Nord
Conseiller général 1939 :François Chasseigne S.F.I.O. ; conseiller général proposé Jean Joly S.F.I.O.
Issoudun-Sud
Conseiller général 1939 : Henri Mérillac S.F.I.O. ; conseiller général proposé Jean-Marie Cassan communiste.
St-Christophe-en-Bazelle
Conseiller général 1939 : Armand Mardon S.F.I.O. ; conseiller général proposé Armand Mardon S.F.I.O.
Vatan
Conseiller général 1939 : Lucien Darnault républicain de gauche ; conseiller général proposé Raoul Parpais S.F.I.O.
Aigurande
Conseiller général 1939 : Henry Fontaine radical-socialiste ; conseiller général proposé Robert-Paul Monestier M.L.N. (soc. indép.).
Éguzon
Conseiller général 1939 : Raymond Dauthy radical-socialiste ; conseiller général proposé Raymond Dauthy radical-socialiste.
La Châtre
Conseiller général 1939 : Louis Champagnat radical-socialiste ; conseiller général proposé Louis Champagnat radical-socialiste.
Neuvy-St-Sépulcre
Conseiller général 1939 : Vincent Rotinat radical-socialiste ; conseiller général proposé Jacques Sadron radical- socialiste.
Sainte-Sévère
Conseiller général 1939 : Théophile Allorant radical-socialiste ; conseiller général proposé Ernest Bigot radical-socialiste.
Bélâbre
Conseiller général 1939 : Anatole Ferrant S.F.I.O. ; conseiller général proposé Anatole Ferrant S.F.I.O.
Le Blanc
Conseiller général 1939 Albert Chichery radical-socialiste ; conseiller général proposé Ferdinand Seville S.F.I.O.
Mézières-en-Brenne
Conseiller général 1939 : François Cavé républicain de gauche ; conseiller général proposé M. Morève radical-socialiste.
St-Benoît-du-Sault
Conseiller général 1939 : Maxime Charpentier radical indépendant ; conseiller général proposé Marcel Peyrat communiste.
Saint-Gaultier
Conseiller général 1939 Joseph Ferron radical-socialiste ; conseiller général proposé Lucien Dap radical-socialiste.
Tournon-Saint-Martin
Conseiller général 1939 : Paul Bénazet radical- socialiste ; conseiller général proposé Louis Chevalier M.R.P.

***

Élections cantonales 1934-1937 1945 (comparaisons électorales)
Indre 1934-1937
Inscrits : 79.281 ; votants 59.004 ; abst. 25,4 %
Communistes 3.428 (4,3 % des inscrits) ; S.F.I.O. 10.003 (12,6 %) ; rad. soc. 20.913 (24,5 %) ; U.S.R. 1.616 (2%) ; Rép. Gauche 7.516 (9,4 %) ; rad. ind. 4.296 (5,4 %) ; P.S.F. 1.291 (1,8 %) ; Rép. soc. 958 (1,3 %) ; U.R.D. 5.975 (7,5 %)
Indre 1945
Inscrits : 179.513 ; votants : 118.528 ; abst. : 33,8 %.
Communistes 27.704 (15,3 % des inscrits) ; S.F.I.O. 32.906 (18,5 %) ; rad. soc. 30.908 (17,2 %) ; U.S.R. - ; Rép. Gauche - ; rad. ind. - ; M.R.P. 9280 (5,1 %).
( Archives départementales de la Haute-Vienne 186 W 3/11)

***


Archives départementales de la Haute-Vienne 186 W 3/9

Rapport du 23 octobre 1945 du préfet de l’Indre :
Exposé et appréciations sur les résultats des élections générales

Nombre d'électeurs inscrits : 171331 (100 %)
Nombre de votants : 127429 (74,37 %)
Nombre de suffrages exprimés : 124209 (72,49 %)
Liste communiste : 35090 (20,48 %)
Liste S.F.I.O. et M.L.N. : 27642 (16,13%)
Liste du M.R.P. : 25173 (14,69%)
Liste radicale et radicale-socialiste : 18957 (11,06%)
Liste d'Union Républicaine et socialiste : 11365 (6,63%)
Liste France combattante, sociale et indépendante : 5982 (3,49%)
Abstentions = 25,62 %


Notes
(1) Les documents que nous publions ici devant compléter et éclairer sous un autre jour le travail de Maurice Nicault, « L’Indre », in Les Pouvoirs en France à la Libération, sous la direction de Philippe Buton et Jean-Marie Guillon, Belin, 1994.
(2) Archives départementales de la Haute-Vienne (A.D.H.V.) 185 W 1/8 monographie sur l’Indre
(3) Il semblerait que La République du Centre fût tirée à 6000 exemplaires (Archives Nationales F 41 - 98, aimablement communiqué par Jean-Louis Laubry).
(4) Archives Nationales 2 AG 516, aimablement communiqué par Jean-Louis Laubry.
(5) A. D. de l’Indre M 2626. Le non respect de l’anonymat est justifié dans la mesure où, s’agissant de personnages publics, la simple lecture de la presse suffit pour savoir qui est qui ; de plus, nous pensons que, si l’on veut défendre l’honneur des personnes, il faut que toute la lumière soit faite afin d’éviter les à-peu-près.
(6) A.D.I. M 2627. Le préfet de l’Indre avait plusieurs informateurs, cependant la prudence et la réserve habituelles s’imposent bien entendu.
(7) A.D.I. 2 Z 2596 (ancienne cotation).
(8) Archives Nationales F1CIII 1157. Rapports mensuels du préfet de l’Indre juillet 1940 - juillet 1944, rapport mensuel du préfet JACQUEMART du 1er au 30 septembre 1941 en date du 30 septembre 1941, n° de référence, 2894/C.
(9) A. D. de la Haute-Vienne 185 W 1/43, rapports annuels des préfectures, par départements constitutifs de la région de Limoges.
(10) A. D. de la Haute-Vienne 185 W 1/124, rapports sur diverses personnalités politiques.
(11) A. D. H.-V. 185 W 3/8, rapport de l’Intendant de Police de la Région de Limoges, décembre 1942.
(12) A. D. de la Haute-Vienne 186 W 3/10.
(13) Ibidem.
(14) A. D. de la Haute-Vienne 186 W 3/13.
(15) A. D. de la Haute-Vienne 186 W 2/17.
(16) A. D. de la Haute-Vienne 186 W 3/16.
(17) Rapport du préfet de l’Indre au ministre de l’Intérieur du 14 mai 1945, A.D.H.-V. 186 W 3/16.
(18) A. D. de la Haute-Vienne 186 W 3/5, 186 W 3/8 et 186 W 3/11.
(19) DEBRÉ (Michel), Trois républiques pour une France. Mémoires. Tome IV : Gouverner autrement 1962-1970,Paris, Albin Michel, 1988, p. 346.
(20) DEBRÉ (Michel), Entretiens avec le général de Gaulle 1961-1969, Paris, Éditions Albin Michel, 1993, p. 207.
(21) MIQUEL (Pierre), Les Quatre-vingts — Ils ont dit NON à Pétain le 10 juillet 1940, Paris, Fayard, 1995, p. 265.