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La deuxième libération de Châteauroux

Lettre d'un témoin anonyme

(13 septembre 1944)

Les récits épistolaires relatant la libération de Châteauroux sont, à notre connaissance, rares. Pourtant, les correspondances, les journaux intimes restent des documents irremplaçables pour l'historien, complétant les rapports administratifs et les mémoires. Aussi, quand Christine Méry-Barnabé nous a proposé de publier une lettre écrite le 13 septembre 1944, retraçant les événements de la libération de Châteauroux vécus par les habitants de cette ville, nous n'avons guère hésité. Nous devons ici remercier Madame Odile Barnabé, née Bardet, d'avoir conservé précieusement un tel document et de nous autoriser à le publier. Nous avons souhaité retenir uniquement les passages narratifs de cette lettre, ayant eu le souci de respecter l'intimité de cette famille.

Alain Giévis


Châteauroux, le 13 septembre 1944

Ma chère Odile,

Hier, je suis allée en ville et j'ai appris que le courrier marchait à nouveau, aussi je m'empresse d'écrire. Nous avons d'ailleurs reçu hier soir la lettre de ta maman. Cela fait plaisir de recevoir une lettre ! car voilà déjà longtemps que le courrier était arrêté.

Rassurez-vous, nous sommes tous en bonne santé et nous sommes maintenant plus tranquilles ; mais je t'assure que, pendant quelques jours, nous n'étions guère rassurés, surtout lorsque passaient ces noirs. Certains avaient des turbans et de grandes barbes, ce qui ne leur donnait pas un air engageant, je t'assure ! heureusement que notre chemin est un peu retiré, ainsi nous n'en voyions pas. Tante Simone venait coucher chez nous car les noirs passaient route de La Châtre et elle avait peur.

Vous devez savoir que les Allemands ont fait sauter « Le Département » et brûler un bâtiment qui avait été occupé par la milice. Dimanche matin, quelques bâtiments de la caserne Bordesoulle ont sauté et naturellement il y a eu des morts et des blessés parmi les F.F.I. C'est la dernière marque de bonté des Allemands ! Je t'assure que, samedi, quand nous avons appris qu'ils étaient partis et que les F.F.I. occupaient à nouveau notre ville, nous étions tous heureux et avec quelle joie nous sommes allées, maman et moi, en ville ! Lundi, il y a eu une grande manifestation pour fêter l'entrée solennelle des F.F.I. Il y avait un monde fou et sur la place de la République, pas moyen d'approcher.

Nous étions allées route des Marins pour voir le départ et le défilé et tout à coup j'ai reconnu, près d'une voiture, Lulu. J'ai été très surprise car je ne pensais pas le voir parmi les F.F.I. Nous avons causé quelques instants car son camion était en panne.

Depuis samedi, je vais souvent en ville et je t'assure qu'il y a du mouvement ! Hier, j'étais allée avec une petite amie et, tout d'un coup, nous voyonsS une tondue ! Je t'assure que nous avons ri car c'est tellement drôle de ne lui voir qu'une toute petite mèche sur le faîte de la tête ! Les maquisards l'ont promenée rue Victor Hugo et ils l'ont ensuite emmenée, paraît-il, en prison. Il y avait tout un cortège pour l'escorter rue Victor Hugo. C'était la première que je voyais. On m'a dit que c'était une jeune fille de 18 ans !

Il faut aussi que je te raconte que j'ai eu l'occasion de parler à un Américain. Figure[-toi] que nous revenions, maman, une voisine et moi, de la Brauderie ; quand nous rencontrons un groupe de maquisards et un soldat que nous avions d'abord pris pour un Allemand. Comme nous connaissions un des maquisards, nous lui avons parlé et la voisine a dit que j'apprenais l'anglais, alors voilà notre Américain qui s'écrie tout joyeux : « You speak English ? » J'étais très émue et je ne pouvais trouver mes mots ; enfin, je suis tout de même arrivée à lui répondre et il m'a parlé un peu en anglais, il parlait très vite aussi je devinais plutôt que je ne comprenais ce qu'il me disait. Avant de partir, il m'a embrassée, ce qui m'a valu des compliments et des railleries de la part des maquisards qui l'accompagnaient ! J'en avais déjà vu un komando [sic] au salut des couleurs quelques jours avant l'entrée des Allemands. Je crois même qu'ils venaient d'Argenton, en tout cas il y en avait un tout barbouillé de rouge à lèvres. Tu as bien dû les voir sans doute toi aussi.

Je crois que maintenant la baignade est finie. Mes compliments pour les progrès en natation ! Je compte sur toi pour m'apprendre à nager sous l'eau car je ne sais pas encore.

Tante Simone va mieux maintenant et elle a meilleure mine. Toutes ces émotions avaient un peu fatigué maman mais, maintenant, elle va mieux. Grand-mère a eu très peur le jour du mitraillage car c'était route d'Argenton à quelques centaines de mètres de chez elle. Je t'assure que tous les camions sont en pièces détachées ! [...]

Penses-tu à la rentrée ? Je me demande si ce sera le 1er octobre ouS à la fin de la guerre ! [...]

Ma petite Odile, je te quitte pour aujourd'hui en t'envoyant mes plus affectueux baisers que tu partageras avec ton papa et ta maman.

M.


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© 2001, Alain Giévis