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Le journal de Jean Gaultier (été 1944)

(source : Archives départementales de l'Indre 57 J 16)

Jean Gaultier est né en janvier 1916. À l'issue de ses études à l'Ecole Normale de Châteauroux, il effectue son service militaire à Brive-la-Gaillarde au sein du 126e R.I. En janvier 1939, il est affecté à la frontière espagnole à une époque où de nombreux réfugiés qui fuient la guerre civile sont internés dans des camps. C'est en Alsace qu'il participe à la campagne 1939-1940. Après l'armistice de juin 1940, il retrouve le Berry et un poste d'instituteur à Néons-sur-Creuse. Nommé à Bouesse à la fin de 1940, il officie à Saint-Chartier à partir de 1942. Après la guerre, il reste dans la région de La Châtre avant de terminer sa carrière à Châteauroux. Il crée à La Châtre le Musée de George Sand et de la Vallée Noire, s'occupe du musée de Nohant et anime à la fois l'association des amis de Raoul Adam et la société des amis de Maurice Rollinat. Il préside l'union des offices de tourisme et des syndicats d'initiative de l'Indre pendant de longues années. Parallèlement à sa profession et à ses activités associatives, il écrit des poèmes sous le pseudonyme de Jean de Varilhe et publie le fruit de ses recherches historiques. Ses ouvrages et ses articles paraissent dans de nombreux journaux et des revues savantes, notamment dans la Revue de l'Académie du Centre dont il est membre, puis secrétaire, et enfin vice-président. Il est décédé en 1986 et ses papiers ont été déposés aux Archives de l'Indre. Parmi ses écrits figure un petit cahier rédigé à l'époque de la Libération.

Jean-Louis Laubry
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Le journal de Jean Gaultier (été 1944)

6 juin

Le débarquement anglo-américain se déclenche. Les opérations se passent, paraît-il, sur 350 km de côtes, de la Normandie jusqu'à Boulogne. Le « maquis » recrute bien vite et commence ses réquisitions de matériel. À Neuvy-Saint-Sépulchre, important départ.

8 juin

Beau temps. Je me rends à la gare de Nohant-Vicq pour aller à Châteauroux. Le train est en retard. La voie a été détruite, paraît-il, avant et après La Châtre. Après une longue promenade sur le quai, j'apprends par le Chef de gare que le train aura trois heures de retard. Je reviens, prends mon vélo et pars pour Châteauroux. Sur la grande route, après Corlay, des pancartes indicatrices ont disparu. Rien d'anormal jusqu'à la grande ville. Les Allemands sont toujours là mais semblent déménager. À travers les rues populeuses, de lourds camions passent chargés d'objets de toutes sortes où dominent ravitaillement et habillement. Les soldats sont juchés là-dessus. Un canon suit accroché derrière. Les entrepôts de ravitaillement chez Huet, entrepôts de l'armée allemande, se vident. La D.C.A. est partie. Les routes ne sont pas sûres. Avant Limoges, une équipe de coureurs cyclistes s'est vue arrêtée et délestée de ses vélos. « On dit » qu'un camion de farine de Militon a été arrêté et finalement relâché avec promesse que le prochain camion serait pour le maquis. Le minotier au retour rend compte au Préfet qui répond : « Donnez-le leur ! »

Dans le train au retour, on parle beaucoup du maquis. Certaines régions du Massif central paraissent sous contrôle de la résistance, à quelques endroits, véritablement armée avec ses chefs, à d'autres, ramassis sans tenue ni discipline d'éléments peu intéressants.

Il paraît que ce sera un des derniers trains admis à circuler. À Nohant-Vicq, une femme rouge et apeurée descend du wagon. Elle prétend qu'il y a des Allemands et des maquis dans le train. Sa résolution est prise : aller à Montluçon à pied. Elle a tant peur de la bagarre que les employés du train ne réussissent pas à la faire remonter.

Au petit café de la gare, j'apprends qu'une vingtaine d'hommes de Saint-Chartier est partie au maquis avec le camion du sabotier Henri Châtelain.

Voici les renseignements glanés ensuite sur l'affaire. Un gendarme de Neuvy (1) est venu avertir le chef de la résistance de Saint-Chartier, qui est le mécanicien Luneau. Il faut partir. Le rassemblement s'opère. On réquisitionne le camion. On prend un drapeau à la gendarmerie. On racole quelques hommes encore. Le maire et le brigadier de gendarmerie serrent la main des volontaires et en avant aux accents de la Marseillaise. L'équipe possède à peine quelques armes et casques.

1. Je déclare que ce départ est prématuré.

Pourquoi ?

- Les Allemands sont encore en force dans la région.

- Les résultats du débarquement ne sont pas encore assez bons.

2. Je déclare que c'est de la pagaille.

Pourquoi ?

- Pas de chefs.

- Pas d'armement suffisant.

3. Je déclare que c'est de la folie.

Pourquoi ?

- Mal armés, mal commandés, peu prudents, devant un ennemi plus fort, ces vaillants seront décimés.

Les jours suivants, le débarquement se poursuit, mais avec de terribles difficultés. C'est à grand peine que les Alliés s'accrochent à la Normandie et ils sont bientôt bloqués.

À Saint-Chartier, nos maquisards viennent presque chaque jour armés de mitraillettes. Ils chantent la Marseillaise, arrivent et repartent, drapeau déployé. Dans le blanc apparaît une croix de Lorraine bleue. Le camion couvert d'hommes serait une belle cible. Deux hommes sont couchés à l'avant sur les garde-boue, mitraillette braquée. Rien à l'avant pour avertir, « éclairer » la route.

À la Châtre, les maquis occupent. Des sentinelles sont postées. Un fort convoi d'autocars chargés d'Allemands passe. Sauve qui peut.

18 juin

Je suis dans la classe travaillant avec un élève à un modèle réduit. Un pas léger me donne l'éveil. Bah ! C'est un élève. Brusquement un homme s'encadre dans la porte, en costume d'aviateur, croix de Lorraine sur la manche et mitraillette en batterie : « Je viens voir si vous n'avez pas quelque chose à enlever. » Avisant l'affiche Révolution Nationale avec la tête du Maréchal sur fond de drapeau : « Voulez-vous m'enlever ça, voulez-vous me le donner ! » Dans la grande salle, le portrait sous verre est bientôt enlevé et lacéré. C'est tout.

Pendant ce temps, la gendarmerie est désarmée, complètement désarmée. Le lendemain, les gendarmes et leurs familles déménagent. Ils ont peur des représailles des Allemands. Plus de gendarmes en tenue ! La caserne est vide ! Déménagement ultra-rapide.

Les Allemands à La Châtre. Qui a tiré le premier ? Toujours est-il qu'un vieux qui gardait ses chèvres en bas de la côte d'Ars vient d'être tué. Les Allemands mitraillent dans certaines rues. Le maquis est en fuite ou camouflé... À Saint-Chartier, la nouvelle arrive comme une traînée de poudre, si amplifiée que le seul cri d'un gamin : « Les voilà ! » suffit à déclencher une panique. Les volets se ferment. Les femmes et les enfants partent dans la campagne avec des couvertures. Le bourg reste quasi vide. Pendant ce temps, les Allemands remontant par des petites routes passent à Vicq et filent sur Châteauroux.

Du coup, le maquis abandonne l'occupation effective de La Châtre.

Je me renseigne pour aller à Châteauroux. La route est libre. Dans la nuit une forte explosion retentit. Des hommes passent et enlèvent les pancartes indicatrices. Le lendemain, un dimanche, j'apprends que le pont sur la route de Châteauroux a en partie sauté. Tant pis, je pars.

L'école est arrêtée depuis mardi dernier. Mesure de prudence. Nous avons passé quelques jours sans courrier du vendredi au jeudi soir.

Sur la route, rien jusqu'à Ardentes. Jusqu'à Châteauroux, je croise des cyclistes qui vont au ravitaillement.

Châteauroux est toujours sous l'étreinte allemande. Les miliciens lèvent la tête. Des arrestations ont eu lieu. Les deux frères Bellier (2)... Les maquis arrêtés sont torturés...

En Normandie, pas d'avance. Les Allemands résistent. Seuls les Américains obtiennent des succès dans le Cotentin.

Retour à Saint-Chartier. Je descends vers 16 heures dans le bourg. Les maquis de Saint-Chartier sont là, avec leurs mitraillettes, pantalons vert forestier, blousons de cuir et casques. Les femmes et les enfants sont là à causer et à regarder. Pas de sentinelles. Si les Allemands arrivaient, ce serait du beau travail. Un avion (3) gronde au loin... Témérité et imprudence !

Dimanche dernier, à la sortie de la messe, le maquis était là et a fait annoncer par le maire qu'il ne fallait pas le critiquer, que personne ne devait traiter de voyous et de crapules ses adhérents sous peine de représailles !

Les réquisitions se poursuivent : huile, charbon de bois, machine à écrire, sabots... - chez les sabotiers. Le recrutement se poursuit à coups de menaces en tous genres. Il paraît qu'on entre au maquis comme 2e classe et qu'on y gagne ses galons suivantsS Le mécanicien de Saint-Chartier est déjà adjudant-chef, chef de section.

Un matin, jour de foire à La Châtre, je m'apprête à ouvrir mes volets, quand j'aperçois, planté devant la grille du château, un soldat allemand en casque, tenant son cheval par la bride. Et voici tout un peloton à cheval qui arrive. Ils entrent au château, se rangent sous les arbres. Le chef visite le château, puis vient à la mairie. Résultat : la commune doit fournir six vélos en parfait état.

Ces Allemands sont installés à La Châtre et à Montgivray. Kommandantur à l'hôtel Saint-Germain. Les gens qui se rendent dans la ville sont arrêtés aux issues et doivent exhiber la carte d'identité. Le lendemain, quatre vélos sont emmenés. Les deux autres le surlendemain de ce jour. À La Châtre et Châteauroux, réquisitions importantes de vélos. Les Allemands partent ainsi maintenant. Ils retirent des unités encombrantes ou peu sûres : hommes âgés, soldats des pays annexés...

Les gendarmes sont groupés à La Châtre. L'école doit recommencer, mais ici, nous décidons de rester en vacances. C'est plus prudent.

Une dizaine de jours après, les Allemands quittent La Châtre.

Le samedi d'avant le 14 juillet, une colonne S.S. traverse La Châtre.

Les maquis font de la répression à La Châtre. Il y a des tonsurées.

14 juillet

Un défilé de maquis a lieu à La Châtre et un défilé d'avions alliés dans le ciel. À Saint-Chartier, pas un drapeau n'est sorti.

15 juillet

Je pars pour Châteauroux. Rien sur la route. Le pont est toujours sauté à moitié... Encore des Allemands à la caserne Bertrand, l'arme à la hauteur de la ceinture est pointée. La Milice a quitté Châteauroux. Le milicien Gaubert, un fils du directeur du journal (4) vient d'être assassiné par le maquis. De nombreuses arrestations ont lieu à Châteauroux : le secrétaire général de la préfecture, deux chefs de division des bureaux, le commandant des pompiers, le pharmacien Cazala et d'autres (5). Ces arrestations faites sur dénonciations sont brutales et grossières. On tutoie celui que l'on arrête et sa famille, on les insulte, on les frappe, on... Un exemple, dans mon quartier. Un soir, un groupe d'Allemands passe dans le pas lourd de ses bottes. Ils s'arrêtent à la maison Simon, rue de la Vrille prolongée. Les deux hommes, le père et le gendre ne sont pas là, avertis à temps. Seule, la mère les reçoit :

« Où sont les hommes ?

- Je ne veux pas vous le dire ! »

La pauvre femme est martyrisée. Ils lui marchent sur les pieds, finalement lui arrachent ses boucles d'oreilles.

Le lendemain, un camion s'arrête devant la porte. La maison est pillée et le camion s'emplit de linge, ravitaillement et le reste. Le soir même, au pas lugubre de ses bottes, un groupe d'Allemands vient déposer des explosifs incendiaires dans la maison. Heureusement, les voisins se précipitent et à coups de seaux d'eau éteignent le début d'incendie. Bandits ! Les ennemis sont là, revenus voir si la maison brûlait bien.

Cherbourg est libéré. Les Américains attaquent vers le sud du Cotentin. À Caen, résistance énergique des Allemands.

Les routes sont presque sous le contrôle du maquis. Sur le chemin de la capitale gouvernementale, Vichy, les autos sont arrêtées plus d'une fois par la résistance. À Châteauroux, le maquis est venu ordonner aux minotiers de tirer la farine à 80 %. Daquembronne est délesté de ses autocars dans une nuit.

Cependant, place Saint-Cyran, les camions allemands bourrés de caisses, effets, linge, vaisselle, moteurs, side-cars, machinesS sont en partance. Véritable déménagement.

Retour à Saint-Chartier. J'apprends qu'un engagement a eu lieu entre Allemands et maquis voilà neuf à dix jours entre Sainte-Sévère et Vijon (6). Les Allemands étaient en embuscade près de deux camions en panne. Ils tirèrent sur les dépanneurs. Tous tués. L'un est de Saint-Chartier : Bonnin.

Bientôt une collecte est faite par les deux institutrices membres de la Résistance au profit de la veuve du tué. Un service religieux a lieu à l'église devant une nombreuse assistance.

Entre temps, la maison de Gaston Bonjour (7) a été incendiée après échange de coups de feu et évasion de son propriétaire.

La percée américaine est faite. C'est la ruée des colonnes motorisées vers Paris et à travers la Bretagne.

Dimanche 13 août

Des chants et des bruits de moteurs m'éveillent. Des pleins camions de maquisards casqués passent. Un camp s'installe à Bel-Air entre Saint-Chartier et Nohant. Ce sont des jeunes de Neuvy, Sarzay... Ils sont tous commandés par le capitaine Dupleix, ex-gendarme à Neuvy, ex-sergent-chef dans l'armée.

Maintenant, les camions et autos à drapeau multicolore circulent à grande vitesse, à très grande vitesse même.

L'armement de la Résistance : pistolets, fusils à courte baïonnette, F.-M., mitraillette, grenades, lance-bombes (8). Pas d'armes lourdes ! Peu de munitions !

Les hommes se promènent en pantalons verts, encombrent les cafés, vont à la baignade...

Un débarquement se produit dans le midi. Châteauroux va être attaquée par le maquis. À cela, je ne crois pas. Dans la ville, les Allemands sont retranchés. Barricades sur le pont Neuf. Arbres abattus en travers de la route, près du pont de Notz. La gare est bombardée par les Américains.

Dimanche 20 août

La veille, le bruit s'est répandu que les Américains arrivent. Ils seraient déjà à Éguzon. Aujourd'hui, ils doivent arriver à La Châtre et dans notre ville [sic] de Saint-Chartier. Pourquoi pas ? C'est pourquoi M. le maire fait coudre deux croix de Lorraine sur deux drapeaux. C'est pourquoi, quand je descends déjeuner la plupart des maisons du bourg sont pavoisées. Quelques-unes ont même toute la gamme des drapeaux alliés.

Ce matin, le colonel Robert (9) et le capitaine Petit (10) ont fait chacun leur discours à La Châtre, discours abrégés, il est vrai, car on se bat à Ardentes et... ailleurs !

Les Allemands cherchent à quitter Châteauroux en direction de l'Est. Les maquis sont en embuscades. Combats ! À Ardentes, la bataille se passe dans la ville. Grande inégalité ! Effet de la 5e colonne ! Au lieu d'une colonne d'une centaine de cyclistes, c'est une colonne de camions transportant un millier d'hommes. Résultat : dix morts et des blessés.

Les drapeaux de Saint-Chartier disparaissent. Les Américains d'Éguzon ne sont que des parachutistes chargés de garder le barrage ! Désillusion pour les emballés !

Les Allemands n'étant plus là, le dimanche soir, les forces F.F.I. entrent dans Châteauroux.

Cinq miliciens sont tués. Des arrestations en masse ont lieu, à commencer par le préfet, le maire, le commissaire de police. Le Département - sans Gaubert - publie des nouvelles non censurées et les proclamations enthousiastes du comité de libération. Une ombre au tableau : la guerre n'est pas finie et des colonnes allemandes peuvent encore traverser « notre beau département ».

Châteauroux, Argenton, Issoudun, Le Blanc, Saint-Gaultier... fêtent la libération, le retour de quelques emprisonnés de la Gestapo et la délivrance de Paris. Pauvre Paris ! Si l'armée américaine et les troupes de Leclerc n'étaient pas venues au secours des 50 000 F.F.I., la capitale aurait connu bien des massacres. Furieux, les Allemands bombardent la capitale. À Notre-Dame a lieu un attentat contre le général De Gaulle. La guerre n'est pas finie !

Les F.F.I. sont maintenant presque tous groupés à Châteauroux dans les casernes. La police bat son plein. Il paraît que l'A.S. (Armée Secrète) est aux mains des socialistes et que les F.T.P. sont communistes. Appel de Parpais pour reformer le parti socialiste. Appel de la C.G.T. pour reformer tous les syndicats. Un groupe d'instituteurs du maquis reproche au bureau du syndicat de la corporation de « s'embourgeoiser » et critique violemment les collègues qui n'ont pas bougé de chez eux. Critiques contre les légionnaires, contre les poltrons, contre les ex-attentistes. Il faut que justice se fasse. Il...

Poum ! Le pavé dans la mare aux canards ! 30 août. La journée est ponctuée comme la veille d'explosions. Les Allemands qui se replient de l'ouest ou du sud-ouest traversent notre région. Ils sont à Châteauroux que le maquis a abandonné précipitamment dans la nuit pour reprendre le maquis ! C'est le métier. Les gendarmes et les libérateurs s'enfuient dans la journée au signal d'alarme de 2 minutes de la sirène. C'est toujours la guerre !

L'imprimerie de la Marseillaise du Berry - ex-Département - est détruite. On parle aussi de la gendarmerie détruite. Des otages sont arrêtés.

31 août

Les Allemands sont à Ardentes où ils prennent des otages, près de Montipouret. On entend des explosions, des tirs de mitrailleuse... Que peut faire le maquis ? Rien. Il paraît que deux ouvriers de Saint-Août ont été tués dans leur atelier, que les otages encadrent les Allemands et ainsi les protègent. Je pense que ce passage peut durer de sept à dix jours. Beaux jours en perspective !

2 septembre

On me raconte qu'à Ambrault (11), une auto de F.T.P. a été démolie, que, s'étant heurtés à une embuscade de F.T.P. près de l'église, les ennemis ont tiré à coups de canon...

Je condamne cette façon de placer des embuscades en plein dans un village habité. C'est du massacre inutile.

Hier soir, Verdun était pris. Bonne nouvelle !

Nous qui en sommes encore à craindre les Allemands ici, réfléchissons.

La politique qui s'est vite montrée prouve que :

1. Les groupements F.F.I. (A.S. et F.T.P.) sont destinés à une action en faveur de tel ou tel parti ;

2. Les audacieux, les ambitieux, les malhonnêtes qui prennent leur envol, veulent profiter de la situation.

On oubliait l'ennemi ! Il est venu se rappeler à notre bon souvenir, malheureusement !

Je m'étonne ou plutôt je ne m'étonne plus que les recruteurs F.F.I. aient si bien tiré leur monde, que les dirigeants de la garde patriotique A.S. à Saint-Chartier aient agi de façon si secrète et aient si bien choisi leurs hommes !

Il n'est pas question d'intérêt public, de lutte à mort contre le « Boche », il importe avant tout de remonter les ressorts de l'horloge « Politique-Anarchie ».

Il y a des mécontents par endroits. Les méprisés, les méconnus... ne sont pas patriotes ? Parti blanc, parti rouge. Divisions. Querelles. Révolution bientôt si le gouvernement n'impose pas sa poigne...

Pourquoi les groupes F.F.I. ne cèdent-ils pas la place à l'armée ? Pourquoi ne mobilise-t-on pas les premières classes et des cadres ? Ce serait pourtant le meilleur moyen d'action et de paix. Maintenant, on peut objecter qu'il n'y a de quoi outiller, équiper et armer que des volontaires... Alors ? Qu'on n'accuse pas si violemment du moins les trop prudents !

Mais, n'oublions pas ! La guerre risque encore de durer.

Et ce n'est pas par la politique que nous aiderons les Alliés ! À moins que ce ne soit là le reflet de ce qui peut survenir dans le futur : guerre civile, conflit entre Alliés et Russie.

La garde patriotique de Saint-Chartier se monte péniblement. Certains potins m'accusent de former une garde F.T.P.F. En tout cas, on me reproche de ne pas être au maquis. L'affaire doit s'éclaircir. Je consulte MM. Jolly et Féraud de La Châtre le 3 septembre, puis le plus haut gradé à La Châtre ; le 4, le commandant Mignaton (12), ex-instituteur à Briantes. Même reproche. J'expose mon cas. Et voici : je dois entrer dans une sizaine de jeunes de la G.P. de Saint-Chartier et ainsi être susceptible d'entrer dans les F.F.I. directement en cas de besoin. Si le recrutement reprend, je suis volontaire pour les F.F.I.

Les Allemands passent toujours à pleines divisions. Le maquis se réinstalle à Bel-Air.

Le colonel Robert et son E.M. doivent s'installer au château de Saint-Chartier.

Vendredi 8 septembre

Je lis dans La Marseillaise du Berry :

« Les Instituteurs et la Résistance

La joie est grande quand les instituteurs combattants se rencontrent dans le maquis... Tous ne sont pas à leur poste dans la résistance... ceux-ci n'ont pas fait tout leur devoir. Nous sommes décidés à demander des sanctions assez nettes contre tous ceux qui ont été non seulement contre la résistance, mais contre ceux qui n'ont rien fait dans la résistance... Les instituteurs o.s.o. et même s.s. [sic] qui n'ont pas répondu à l'appel de De Gaulle, nous ne les excusons pas. La population résistante comprendrait mal et elle aurait raison que des hommes chargés de préparer l'avenir de la jeunesse de France, chargés de construire une République neuve et forte restent en place, par exemple dans les villages qu'ils n'ont pas su mener au combat.

Signé : un groupe d'instituteurs du maquis. »

Les Américains du nord et du sud ont fait leur jonction à Belfort. En Sarre et dans la région d'Aix-la-Chapelle, ils sont en contact de la ligne Siegfried.

Les Allemands du centre se rendent. Châteauroux est réoccupé. La délivrance est faite. Attentat à Bordessoulle.

Je prends la garde la nuit du lundi au mardi 12 septembre.


NOTES

(1) Il s'agit de Gabriel Dupleix. Tout d'abord sergent-chef dans l'armée, il est gendarme dans la brigade de Neuvy-Saint-Sépulchre sous l'Occupation. En 1943, il prend la tête du sous-secteur A.S. de Neuvy. À partir du débarquement, il gagne le maquis et commande une compagnie qui devient bientôt le 2e bataillon du G.I.E.

(2) Les deux négociants castelroussins André et Paul Bellier étaient des membres de Combat puis des M.U.R. Ils sont arrêtés par la Gestapo le 31 mai 1944.

(3) Durant l'été 1944, les autorités allemandes utilisent un avion de reconnaissance basé à la Martinerie. Baptisé le « mouchard » par les maquisards, l'appareil survole l'ensemble du département.

(4) Jean Gaubert, fils d'Ernest Gaubert, directeur du seul quotidien imprimé dans l'Indre : Le Département.

(5) En fait, la police allemande a emprisonné Louis-Eugène Sirvent, Robert Masset, Louis Pichené et Roger Cazala le même jour que les deux frères Bellier, soit le 31 mai 1944.

(6) Le combat de Genest (16 juillet 1944).

(7) Gaston Bonjour est né le 9/09/1906 à Nohant-Vicq. En 1935, il exerce le métier de propriétaire-aviculteur et est élu conseiller municipal de Nohant-Vicq. L'année suivante, il se présente aux élections législatives dans l'arrondissement de la Châtre sous l'étiquette de « républicain national-démocrate, candidat de Défense de l'Agriculture et de la Jeunesse » [sic]. Devenu expert agricole, il se rapproche du P.P.F. et est abonné au Cri du Peuple sous l'Occupation. Le 22 juillet 1944, il échappe aux maquisards venus l'arrêter à son domicile. Le 23 mai 1945, il est condamné à dix ans de dégradation nationale par la chambre civique de l'Indre.

(8) Les lance-bombes sont soit des bazoukas américains, soit des P.I.A.T. anglais.

(9) Concernant Robert Vollet, lieutenant-colonel commandant le G.I.E., cf. note 26, p. 107.

(10) Gaston Petit exerçait la profession d'instituteur à La Berthenoux en 1944. Il a affirmé avoir fait partie du mouvement « Défense de la France » avant le débarquement, mais est officiellement entré dans la résistance en mars 1944. Le capitaine (puis commandant) Petit s'occupe tout particulièrement de la propagande en faveur de la résistance. À la Libération, il met ses talents d'orateur au profit du M.L.N. et de la S.F.I.O. dont il est un militant actif. Premier adjoint au maire au sein de la municipalité Deschizeaux dans les années 1960, il devient maire de Châteauroux en 1967 à la suite de la démission du « beau Louis ».

(11) Voir l'épisode du passage des Hindous à Ambrault, p. 143.

(12) Né le 6/11/1900, Fernand Mignaton était directeur de l'école primaire de Briantes sous l'Occupation. Précocement entré dans la résistance, ce capitaine de réserve devient le responsable militaire du secteur A.S. de La Châtre en juillet 1943 (officiellement à partir de mars 1944). Le 8 mai 1944, il échappe de justesse à l'arrestation par la Gestapo et entre dans la clandestinité. Officier à l'Etat-major du Groupe Indre-Est à partir du débarquement, le commandant Mignaton dirige les Gardes Patriotiques de l'Indre à l'automne 1944.


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© 2001, Alain Giévis