Une première version de cet article est parue l’ouvrage collectif sous la direction de Berlière Jean-Marc et Peschanski Denis, La police française (1930-1950). Entre bouleversements et permanences, La Documentation Française, 2000, p. 75 à 87.
L’étatisation de la police dans les régions
de Limoges et d’Orléans
Jean-Louis Laubry
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Questionnez un policier retraité, mis en confiance, il finira par vous dire
que la police française est véritablement née sous Vichy. Mémoire
collective du corps ou (et) vérité historique ? Au printemps 1941, l’étatisation
menée tambour battant par l’Etat Français va de pair avec une réorganisation
profonde des forces de police en France. À la tête du Gouvernement de Vichy,
l’Amiral Darlan entend en effet réaliser la Révolution Nationale par un
encadrement de la société française : la nouvelle police nationale
apparaît comme un moyen essentiel pour parvenir à la réussite de son
projet politique. En outre, cette réforme répond aux attentes d’un milieu
professionnel lassé des atermoiements et des promesses dispensées pendant
des années par la classe politique républicaine. L’étatisation des
polices reçoit d’abord une application dans la zone sud, en particulier dans
la région de Limoges (1). Avec un décalage
de près d’une année et dans un contexte très différent, le dispositif
est étendu à la zone nord, notamment dans la région d’Orléans
(2). Nommé à la tête de la police
française avec le retour de Pierre Laval en avril 1942, René Bousquet opère
une série de réajustements au sein de l’organisation policière. Le
secrétaire général à la police désire améliorer son
fonctionnement, mais aussi l’adapter aux nouvelles orientations de la politique gouvernementale.
Cependant, Bousquet doit gérer les contraintes de toute nature qui s’imposent
aux forces de police françaises et provoquent les difficultés extrêmes
de la fin de l’Occupation.
I) Un projet ancien pour une mission nouvelle
1.1. Aux origines de l’étatisation
Depuis le début du siècle, les associations syndicales réclamaient
une réforme radicale qui mette fin à l’éclatement des polices et créé
une administration efficace : « la grande préoccupation du syndicat [des
commissaires] était la nationalisation des polices municipales, l’étatisation,
comme nous disions. C’était un anachronisme de maintenir cette poussière
de polices locales sans direction proprement dite, sans coordination, sans liaisons
valables, dispersées sur l’ensemble du territoire pour le seul profit des malfaiteurs
qui se déplaçaient avec des facilités de plus en plus déconcertantes.
C’était aussi un non-sens de laisser à des personnages élus, qui étaient
quelquefois les premiers fauteurs de désordre, la haute main sur la police dans
des agglomérations importantes. La tâche entreprise (…) se heurtait à
l’hostilité d’un grand nombre de maires très influents et profondément
attachés aux franchises municipales » (3).
Au gré des circonstances, les gouvernements républicains avaient créé
des polices d’Etat dans quelques agglomérations. Devant la montée des tensions
durant les années trente, le Ministère de l’Intérieur s'était
efforcé de mieux contrôler les polices disséminées sur le territoire
français : il avait augmenté les effectifs de la Sûreté Nationale
et étendu les compétences hiérarchiques des commissaires spéciaux
à l’échelle du département. Surtout, le 30 octobre 1935, le ministre
Albert Sarrault étatisait la police dans un cadre territorial, la Seine-et-Oise.
Si la structure mise en place préfigure en grande partie l’organisation définie
en 1941, elle demeure, à l’instar des autres mesures « républicaines
», localisée et limitée.
Aussi, à l’été 1940, c’est bien le projet « national » du
syndicat des commissaires qui donne les lignes directrices pour préparer la
vaste réforme de la police que la République n’a pas su accomplir : «
nécessité impérieuse de remplacer les polices municipales par la police
d’Etat, création d’un secrétaire général pour l’ensemble de la
police française, nomination d’un directeur général adjoint, institution
de directions régionales de police sous l’autorité d’un gouverneur et assisté
d’un commissaire divisionnaire chargé de chacune des spécialités,
avec un service du personnel et du matériel, un service d’archives et un service
de police scientifique. » (4). Le train de
mesures de 1941 est également dicté par les circonstances : la mobilisation
en 1939, le cataclysme de la défaite de juin 1940 puis l’Occupation ont bouleversé
le fonctionnement des différents corps de police. De 1939 à 1941, le couple
formé par le préfet et le commissaire spécial dans chaque département
monopolise les pouvoirs de police.
Enfin, l’Amiral Darlan entend faire de la nouvelle police nationale un instrument
au service de sa politique répressive à l’égard des communistes, des
gaullistes et des francs-maçons. Dans l’esprit du chef du gouvernement, il s’agit
aussi de former un corps d’élite pour remplir une mission essentielle. En complémentarité
avec le réseau de propagandistes mis sur pied par Marion, la « police d’Etat
» est chargée d’encadrer une population qui doit adhérer à la
Révolution Nationale (5). Dans le cadre de
la campagne de recrutement, trois affiches (6)
sont réalisées en 1941 et 1942 par les services de l’Information : les
slogans choisis révèlent les ambitions gouvernementales à l’égard
d’une administration appelée à devenir une vitrine du nouveau régime
: « Police nationale, Révolution Nationale », « Police d’élite,
cadre d’élite » et « Jeune, moderne, sportive : la police nationale
».
1.2. Les lois et les textes du printemps 1941
Pas moins de onze lois et décrets se succèdent du 19 avril au 17 juillet
1941. Ces différents textes ne transforment pas seulement les polices municipales
en police d’Etat, ils dessinent une structure administrative cohérente. À
sa tête figurent un secrétaire général, une direction générale
de la police nationale, plusieurs directions correspondant aux services « actifs
» : renseignements généraux (RG), sécurité publique, police
judiciaire (PJ). Différentes échelles - locales, départementales,
régionales et nationales - s’emboîtent sans verser dans la centralisation
: « La loi du 23 avril 1941 a poursuivi à la fois une déconcentration
des attributions de l’administration centrale et une coordination aux différents
échelons des services de police : région, district, circonscription. »
(René Bousquet, circulaire n ° 115 du 16 mars 1943). Le personnel est réparti
en deux catégories : d’une part, les fonctionnaires de la police nationale (commissaires
et inspecteurs) dont le recrutement par concours et la gestion de carrière relèvent
de la direction centrale ; d’autre part, les membres de la police régionale
qui dépendent du préfet régional. Ce dernier échelon territorial
est créé en ce même printemps 1941 et Darlan lui attribue au préfet
de région le contrôle des forces de police des départements concernés.
Les candidats à un emploi doivent remplir des conditions d’aptitudes physiques,
d’âge et de probité et recevoir l’agrément préfectoral ; les
secrétaires et les inspecteurs passent un concours, les gardiens de la paix
simplement un examen. Chaque préfet régional dispose d’un « adjoint
et collaborateur immédiat » - l’intendant de police -, d’un secrétariat
administratif et de directions régionales spécialisées. En effet,
chaque fonctionnaire de police appartient désormais à un service «
actif » possédant une mission propre : RG, PJ ou sécurité publique.
Des groupes mobiles de réserve (GMR) constituent des forces d’intervention ponctuelles.
Les grades, les classes et les règles d’avancement sont fixés avec précision.
Un tableau établi chaque année prévoit un avancement de grade au choix
alors que l’avancement de classe s’effectue à l’ancienneté. Une hiérarchie
de sanctions et de récompenses indique également la volonté de valoriser
le mérite, le zèle et l’obéissance. Les nouveaux éléments
sortiront soit de l’école supérieure (pour les cadres), soit des écoles
régionales de police. Une formation initiale, complémentaire et continue
doit assurer la professionnalisation du métier de policier.
Les procédures de l’étatisation sont exposées dans le décret
du 7 juillet 1941. L’opération concerne en théorie les agents de police
des villes de plus de 10000 âmes. Les effectifs sont calculés sur la base
d’un gardien de la paix pour 500 habitants dans une agglomération de plus de
40000 habitants et d’un pour 1000 seulement dans le cas contraire. Un brigadier pour
10 gardiens, un officier de paix et un brigadier-chef pour 50, un commandant de groupe
pour 200, constituent l’encadrement des corps urbains. Les personnels des polices
municipales ne sont reclassés qu’après l’examen de chaque dossier individuel
devant une commission désignée par le préfet régional. La sélection
de nouveaux et d’anciens éléments va de pair avec la revalorisation du
métier de policier doté d’un uniforme, d’une perspective de carrière
et d’une échelle de rémunérations dépassant largement les salaires
d’avant-guerre.
II) L’étatisation en zone sud : l’exemple de la région de
Limoges (7) (automne 1941-1942)
2.1. Une application rapide dans un contexte assez favorable
Les intendants de police sont nommés dès le début du mois de mai 1941
dans la zone sud. Ils proviennent de la haute fonction publique laquelle conserve
ainsi le contrôle des cadres policiers (8).
Dans l’attente de la réalisation effective de l’étatisation, Darlan leur
demande « vis-à-vis des maires (…) de jouer le rôle de conseiller
technique pour le maintien de l’ordre et l’organisation de la police municipale »(9). Les services de l’Intendance de police de Limoges
entrent en fonctionnement à l’automne 1941 en même temps que ceux de la
préfecture régionale. Ils s’installent en janvier 1942 dans un « Hôtel
régional de police ». Le manque de personnel retarde cependant la mise
en place des brigades régionales des RG et de la police économique. Quant
aux policiers de la surveillance du territoire, ils continuent à adresser leurs
rapports directement à l’administration centrale. Un atelier régional (futur
service technique régional) va s’étoffer jusqu’en 1944 avec des «
agents spéciaux » chargés des questions matérielles (mécanique
automobile, habillement et armement.
Durant l’été 1941, les commissaires en poste et les préfets départementaux
des deux zones (occupée et non occupée) donnent leur avis sur les commissariats
à étatiser et les effectifs à fixer. Les préfets de la région
de Limoges demandent en moyenne une multiplication par 2,5 de leur personnel. Le
commissaire central de Limoges en profite pour signaler à l’intendant de police
le passé politique de certains subordonnés (SFIO, francs-maçons) et
établit une liste d’ « inaptes au service ». Le reclassement effectif
des polices locales intervient en septembre et en octobre. Dans l’Indre, à Châteauroux
et à Issoudun, une commission spéciale réunit l’intendant régional,
le préfet, le commissaire divisionnaire chargé de la sécurité
publique ainsi que le maire de la localité concernée. 90 % du personnel
castelroussin est admis dans la nouvelle formation, les deux tiers des agents à
Issoudun. L’âge et l’état de santé constituent les critères principaux
d’une sélection assez modérée.
En novembre débute le recrutement des nouveaux éléments : la parution
d’appels à candidature provoque un afflux de demandes d’agrément (75 par
jour en novembre, 50 en janvier 1942). En effet, les effectifs théoriques fixés
par services et par commissariats dépassent les vœux initialement formulés
dans la région de Limoges. En outre, des petits commissariats situés à
proximité de la ligne de démarcation comme Le Blanc, Argenton-sur-Creuse
et Saint-Amand-Montrond sont étatisés alors que leur population avoisine
seulement les 5000 habitants. L’étatisation dépasse donc les limites prévues
initialement dans les textes.
Des écoles régionales de police assurent dès novembre 1941 l’instruction
professionnelle des recrues : gardiens de la paix et GMR à Tulle, inspecteurs
et secrétaires à Limoges. Toutefois, l’organisation et la localisation
de la formation varient jusqu’en 1944. Périgueux accueille des inspecteurs et
des secrétaires en janvier 1942, auxquels s’ajoutent les gardiens de corps urbains
en mai alors que les GMR stagiaires sont finalement isolés et regroupés
à Tulle. À l’automne 1942, ces derniers sont instruits à Périgueux
alors que leurs collègues gagnent Limoges. Un « centre d’études et
d’application de la sécurité publique » ouvre en effet ses portes
dans la préfecture de la Dordogne. Soixante commandants et officiers de paix
recrutés dans la zone sud effectuent un stage de deux mois et demi sous la direction
de l’intendant Lelong, colonel de gendarmerie (10).
2.2. Des changements spectaculaires
Dans une région à dominante rurale où les brigades de gendarmerie
avaient traditionnellement en charge la majeure partie de la population, une poignée
de policiers seulement officiaient dans des locaux sales et exigus souvent situés
au sein même des hôtels de ville. L’étatisation révolutionne
les conditions de travail des policiers. Le commissariat déménage d’une
salle de la mairie vers un immeuble réquisitionné. Ce changement d’adresse
marque une rupture avec le pouvoir municipal. Dans de rares cas, les pièces
dévolues à la police connaissent seulement une réfection. Dotés
d’un uniforme, progressivement équipés en automobiles, fourgonnettes, motocyclettes
et bicyclettes, les services de police sont également armés : les gardiens
avec un pistolet 7.65 (puis un revolver modèle 1892), les gradés avec un
pistolet 6.35. En revanche, l’augmentation notable des salaires décidée
en 1941 est rattrapée par l’inflation dès l’été 1942. Ne respectant
pas l’esprit de la réforme, les commissaires versent automatiquement la «
prime facultative » pourtant réservée aux seuls éléments
méritants. L’avancement au choix entrait difficilement dans les pratiques de
l’institution.
L’étatisation bouleverse les pratiques en les normalisant. Un fascicule réglementaire
(11) impose dans chaque commissariat une tenue
stricte des registres, d’un fichier (local ou complet), des archives et des dossiers
individuels. Dès décembre 1941, les commissaires divisionnaires de la sécurité
publique, des RG et de la PJ, assurent régulièrement des tournées
d’inspection dans les commissariats étatisés de la région de Limoges.
Ils vérifient la gestion administrative et documentaire ainsi que l’organisation
des services. Une formation continue fonctionne. Avec une fréquence et un contenu
variables selon les lieux, les commissaires dispensent des cours à leur personnel.
Des moniteurs formés au collège national d’Antibes animent des séances
hebdomadaires d’éducation physique. En décembre 1942, un moniteur de la
Préfecture de Police forme à Limoges un ou deux gardiens par commissariat
de la région à l’enseignement du maniement du bâton. L’entraînement
des GMR est poussé : en avril 1942, les gardiens du Groupe Berry pratiquent
3 jours et demi de sports par semaine et au moins une heure par jour avec la méthode
Hébert. Enfin, dès le milieu de l’année 1942, l’école régionale
de police accueille également des sessions de perfectionnement destinées
au personnel reclassé des polices municipales.
À tous les niveaux, le renouvellement des hommes est patent. En mai 1942, le
service régional de police judiciaire comprend 32 personnes dont 22 ayant moins
de 15 mois de service. Au début de l’année 1943, 80 % des policiers de
l’Indre n’ont pas plus de 2 ans d’ancienneté. Deux sur trois ont moins de 30
ans et 84 % un âge inférieur à 35 ans. Au regard des effectifs théoriques
à atteindre, 80 % (507 sur 650) des gardiens de la paix et 67 % des GMR sont
en poste en octobre 1942. Au 1er mars 1943, les objectifs sont atteints et le personnel
policier de la région de Limoges a quadruplé. L’augmentation des effectifs
permet la généralisation du système des 3/8 avec des brigades de nuit
(à pied ou cyclistes). Dans chaque commissariat, la présence d’inspecteurs
et de secrétaires (donc d’un service de sûreté) permet la multiplication
des enquêtes. Le recrutement se poursuit pendant toute l’année 1943, en
particulier au profit d’autres régions déficitaires. Les candidatures ne
se raréfient qu’en 1944. À la présence squelettique et parcellaire
de policiers dans la région de Limoges a succédé une véritable
armature policière installée en moins d’un an et demi.
III) L’étatisation en zone nord : l’exemple de la région
d’Orléans (12) (automne 1942-1943)
3.1. Un retard dû aux autorités allemandes
Dans la zone occupée, les autorités allemandes bloquent l’étatisation,
car elles contrôlent et utilisent plus facilement une police française
éclatée et affaiblie. Gérant de faibles effectifs, les préfets
de la région d’Orléans ont pu, davantage qu’à Paris, limiter le degré
de subordination des policiers vis-à-vis de l’occupant. Dès 1941, des «
gardes » sont embauchés pour faire face à l’alourdissement des tâches.
Dans le Cher, un ancien officier d’active est placé à la tête d’un
corps départemental d’auxiliaires de police. Faute d’autorisation délivrée
par les autorités allemandes, l’armement fait cependant défaut. Placés
dans une situation différente de leurs collègues de la zone sud, les cadres
comme les agents attendent l’étatisation avec impatience. Au printemps 1942,
les gardiens de la paix de Vierzon réclament dans une pétition l’augmentation
immédiate de leurs rémunérations et reçoivent le soutien de leur
commissaire (13). Au même moment, le Gouvernement
de Vichy demande aux maires de la zone occupée de relever sensiblement le salaire
des agents de la police municipale. Enfin, déplorant l’atteinte à la souveraineté
française que représente l’instrumentalisation de la police française
par l’occupant, le secrétaire d’Etat à l’Intérieur Pucheu obtient
l’autorisation de recruter 4000 gardiens de la paix dans la zone nord. Le 17 mars
1942, un examen d’aptitude a ainsi lieu dans chaque chef-lieu départemental
de la région d’Orléans.
En ce printemps 1942, des préoccupations identiques animent le nouveau secrétaire
général à la police nommé par Laval. L’arrivée de René
Bousquet coïncide avec un changement de stratégie et d’organisation des
forces de répression allemande en France. Le 15 mai 1942, après sa rencontre
avec Heydrich, Bousquet exprime clairement ses espoirs devant les préfets régionaux
de la zone occupée : « En attendant un accord possible qui rendrait à
la police française son indépendance, il est indispensable […] de pratiquer
à plein la collaboration de la police française et de la police allemande.
Il est nécessaire de montrer que la police française n’est pas défaillante
et peut-être obtiendra-t-on qu’elle ait à l’avenir les coudées plus
franches. » Le 8 août, à l’issue de ses négociations avec le
SS Oberg, Bousquet retrouve les mêmes interlocuteurs accompagnés de leurs
intendants de police : « La police française a désormais les mains
libres pour agir. Aussi doit-elle se montrer digne de la confiance qui lui est faite
et fournir notamment un effort sérieux dans la lutte contre le communisme. Aux
termes de l’accord, la police allemande renonce à prendre et à fusiller
des otages pour les crimes terroristes commis en France, et, d’une manière générale,
à la politique de représailles. C’est ainsi qu’elle n’exigera pas la livraison
des criminels arrêtés par la police française ; ceux-ci seront jugés
par les tribunaux français. » Aucune allusion n’est faite aux rafles de
Juifs étrangers alors en cours alors que ces opérations semblent avoir
servi de test pour démontrer à l’occupant l’efficacité des forces
de l’ordre françaises.
Le prix à payer pour le Gouvernement de Vichy afin pouvoir étendre l’étatisation
est lourd. En théorie, les « deux polices » se communiquent «
mutuellement leurs renseignements ». Dans les faits, les accords se traduisent
par une accentuation de la pression allemande. Chaque jour, l’intendant de police
d’Orléans adresse un compte-rendu au Kommandeur SS, chef de la police de sûreté
allemande dans la région. Quant au préfet régional, il est tenu de
remettre des rapports hebdomadaires. En décembre 1942, le préfet du Cher
doit fournir à la police allemande de Bourges trois listes de communistes (condamnés
en section spéciale, internés et signalés comme notoires avant 1940).
En outre, gendarmes et policiers français sont surveillés par un service
de l’ « Ordnungspolizei ».
3.2. Une application difficile et des résultats décevants
Dès janvier 1942, l’intendant de police arrive à Orléans et l’Intendance
ouvre le mois suivant. En juillet, la réorganisation de la 5e brigade de police
mobile donne naissance à des services régionaux spécialisés après
qu’une augmentation de 60 % des effectifs de police nationale a été demandée
un mois auparavant. La campagne de recrutement s’ouvre dès la fin du printemps
et précède de 6 mois le reclassement des polices municipales. Les recommandations
de Bousquet marquent alors un changement d’orientation. Il n’est plus question de
faire apparaître la nouvelle police comme un des fers de lance de la Révolution
Nationale. « Il convient de ne pas donner l’impression à la population
que le Gouvernement veut instaurer un régime de police. Par conséquent,
supprimer toute réclame apparente, les affiches et d’une manière générale,
ne pas montrer avec ostentation ce qui a trait à la police nationale. »
Toutefois, consigne est donnée aux policiers d ’« intensifier la propagande
» par le bouche-à-oreille. En effet, à l’instar de l’ensemble de la
zone nord, une crise du recrutement existe dans la région d’Orléans dès
1942 ; concours et examens se succèdent attirant toujours moins de candidats.
Alors que les promotions de l’école de police de Limoges comprenaient 100 à
150 hommes en 1942, celles d’Orléans ne dépassent pas la cinquantaine.
Les effectifs théoriques ne seront jamais atteints et les cadres de la police
nationale manquent cruellement, même si le nombre de policiers en poste connaît
une progression lente et continue : il double entre juillet 1942 et avril 1944.
Dès juin 1942, l’école régionale de police organise son premier stage
à Orléans. L’intendant espère encore pouvoir opérer une sélection
: « Le temps à l’école est à la fois un stage d’entraînement
et une période d’épreuve, une sorte de noviciat. Ceux qui n’ont pas la
vocation doivent être rejetés. ». Six mois plus tard, il révise
ses prétentions : « Les gardiens intelligents de belle présentation,
de manières aisées, ayant déjà vécu dans une grande ville
et capables d’initiative, sont plus spécialement désignés pour les
corps urbains. Pour les GMR, l’intelligence et les capacités d’initiative des
gardiens sont moins à considérer que les qualités physiques, le courage
et le dévouement. Il importe, en effet, que dans cette formation, les chefs
puissent compter absolument sur la résolution et la vigueur de leurs hommes.
» D’une durée de deux mois, les stages de formation et de perfectionnement
accueillent huit promotions de gardiens de la paix mélangeant des reclassés
et des recrues destinées aux régions d’Orléans et de Poitiers. Un
opuscule rédigé par le commissaire central de Blois, « L’A.B.C. du
gardien de la paix », tient lieu de référence. Des futurs GMR partent
effectuer une formation à l’école d’Aincourt (Seine-et-Oise à l’époque).
Cette dernière instruit également les commandants et les officiers de paix
destinés à l’ensemble de la zone occupée. En mars 1943, elle accueille
pour deux mois le GMR Orléanais constitué avec des jeunes recrues, des
volontaires issus des corps urbains et des gardiens venus de la zone sud.
Il faut attendre une série de lois datées du 27 octobre 1942 pour que l’étatisation
soit officiellement lancée au nord de la ligne de démarcation. Dans l’Orléanais,
l’intendant prend le contrôle des polices locales le 12 novembre et organise
aussitôt le reclassement. La commission régionale comprend l’intendant,
le commissaire divisionnaire chargé de la sécurité publique, le chef
du secrétariat administratif et un officier de paix. Le maire et le commissaire
de police de la ville concernée n’interviennent qu’à titre consultatif.
Les cadres de police contrôlent donc l’examen des dossiers. L’opération
se révèle très sélective et aggrave la crise des effectifs. Dans
le Cher, 63 % du personnel municipal est admis dans les rangs de la nouvelle police
régionale d’Etat, 50 % seulement à Vierzon (14).
Dans la région, 52 % des agents de police sont reclassés auxquels il faut
ajouter 14 % de policiers municipaux qui se sont présentés avec succès
aux concours ou aux examens. À Bourges et à Orléans, les autorités
locales forment avec les agents non sélectionnés un service municipal d’appariteurs
et d’enquêteurs. En février 1943, le préfet d’Eure-et-Loir déplore
cette forte sélection et critique les mutations imposées à une partie
du personnel reclassé. Afin de rompre la routine, les cadres policiers avaient
changé d’affectation des agents travaillant depuis longtemps dans la même
localité. Le service des polices locales connaît alors une certaine désorganisation.
Durant l’hiver 1942-1943, l’agglomération orléanaise ne dispose plus que
de 110 gardiens de la paix sur un effectif théorique de 204. Ce lourd déficit
dans les corps urbains de la région conduit l’intendant de police à affecter
provisoirement des GMR dans les commissariats. En outre, il maintient pour six mois
les agents non reclassés qui devaient être licenciés en décembre.
Cette décision qui fait cohabiter à la fois les anciens et les nouveaux,
les exclus et les élus, créé sur le terrain une atmosphère délétère
au sein du personnel. A l’issue de cette période de cohabitation, en juillet
1943, seulement la moitié de l’effectif prévu est en place dans la région
d’Orléans.
IV) Des ajustements internes aux dérives de la fin de l’Occupation
(mi 1942 - 1944)
4.1. La recherche de l’efficacité et les glissements de pouvoir (mi 1942
- mi 1943)
Contrairement aux ambitions de leurs prédécesseurs en 1941, Laval et Bousquet
n’assignent plus à la police française une mission d’encadrement. Pour
restaurer la souveraineté française, ils entendent reprendre le contrôle
des forces de police et améliorer l’efficacité d’un instrument essentiel
dans la politique de collaboration avec l’Allemagne. En mai 1942, Bousquet dissout
les polices annexes (anti-juive, anti-maçonnique, anti-communiste). Une partie
du personnel est incorporée dans la police nationale laquelle reprend à
son compte les missions des officines parallèles. Désormais, les services
de police judiciaire comportent deux « branches » distincte, l’une criminelle,
l’autre politique. En juillet 1942, la région d’Orléans dispose d’une «
section uniquement chargée de la répression des menées communistes
et terroristes ». Elle est constituée d’une vingtaine de fonctionnaires
issus des RG et de l’ex-brigade de police mobile. La « section politique »
- ou « section spéciale » - de la région de Limoges présente
les mêmes caractéristiques.
Dans la continuité de la réforme de 1941, Bousquet accentue la spécialisation
des tâches. Au printemps 1942, le personnel de sûreté des grandes
villes se divise en trois sections qui deviennent en 1943 les « sections locales
de police de sûreté » (50 % des effectifs pour la sécurité
publique, 30 % pour la PJ et 20 % pour les RG). « Le commissaire central garde
sous son autorité directe l’ensemble du personnel de sûreté mais la
direction technique du travail de chaque section incombe aux commissaires divisionnaires
de chaque service qui font parvenir leurs instructions et leurs ordres » (15). La mesure est appliquée en juillet 1942
à Limoges et à Châteauroux, en février 1943 à Orléans
et Bourges. René Bousquet souhaite cantonner les GMR à leur véritable
mission. Il prie les intendants de police de « donner tous leurs soins à
la formation de ces unités d’élite qui sont aussi des formations de choc
». Avec beaucoup de difficulté, il met fin à la pratique courante
qui consistait à détacher des GMR dans les commissariats (16). Au printemps 1943, il réalise « l’autonomie complète
» des GMR en créant un « avancement distinct » et une direction
nationale à part entière. Un commandant régional, ancien chef de bataillon
d’infanterie, rejoint donc son poste à Limoges et dirige les GMR de la région.
Ces derniers participent alors pour la première fois à des opérations
contre les « bandes armées » en Corrèze. En juillet 1943, l’examen
d’aptitude pour les GMR est dissocié de celui de gardien de la paix, une commission
régionale se bornant à vérifier les capacités physiques des jeunes
gens.
De même, Bousquet poursuit la décentralisation du « fonctionnement
des services de police » au profit des préfectures régionales. Il
envisage alors le rôle de l’intendant dans les mêmes termes que Darlan,
simple « conseiller technique » et « agent de liaison entre le préfet
départemental et le préfet régional ». Cette conception change
en 1943. En avril, il insiste sur la nécessité de réunir mensuellement
les intendants de police. Dans le conflit qui oppose ces derniers aux préfets
départementaux, le secrétaire général à la police reconnaît
la primauté du « chef de la police sur le plan régional », «
manière de préfet de police de la région ». En octobre, il fait
part de son intention de « donner aux intendants des pouvoirs correspondant
à leurs responsabilités ». Il renforce leur position en supprimant
l’écran que constituait la fonction de « chef de district », c’est-à-dire
de responsable de la police à l’échelle départementale. Dans le même
temps, Bousquet n’hésite pas à nommer des policiers au poste d’intendant.
En juin 1943, c’est le commissaire divisionnaire de la police de sûreté
de Limoges qui remplace un haut fonctionnaire à l’hôtel régional de
police. Ce choix n’est pas dû au hasard.
La police de sûreté devient effectivement omnipotente. En juillet 1942,
dans la région de Limoges, différents corps - brigade de police économique,
personnel des postes de la ligne de démarcation, brigades de la surveillance
du territoire de Châteauroux et Limoges - sont réunis à la brigade
des RG au sein du service régional des renseignements généraux. Or,
Bousquet veut cantonner les RG dans la « recherche des renseignements d’ordre
politique ». À l’automne, la direction de ces corps spécialisés
est donc confiée au commissaire divisionnaire de la PJ. Rebaptisée «
police de sûreté », cette PJ étoffée rejoint un immeuble
indépendant à Limoges. Un décret du 24 décembre officialise ses
attributions et une circulaire redéfinit en mars 1943 l’appellation de ses composantes
: services régionaux (secrétariat, fichier général, service signalétique,
identité judiciaire), brigade régionale (avec quatre sections : affaires
criminelles, affaires politiques, affaires économiques et surveillance du territoire),
sections judiciaires de police d’Etat (dans les gros commissariats) et secteurs mobiles
de surveillance de la ligne de démarcation. Comme les préfets départementaux
l’année précédente, les intendants protestent dès avril 1943
contre les circulaires et notes adressées directement aux chefs de services
régionaux. Réponse de Bousquet : « la police de sûreté doit
avoir les mains libres et agir vite ». En mai, le préfet régional
d’Orléans décrit son intendant comme « court-circuité »
: « la direction de la police de sûreté ignore absolument les intendants
de police ».
4.2. Malaise, gestion des contraintes et dérapage à la fin de l’Occupation
(mi1943-1944)
En mai 1943, René Bousquet entreprend une consultation nationale des préfets
et des cadres policiers qui permet aux perdants de la réforme d’exprimer leur
mécontentement. Dans la région de Limoges, les préfets départementaux
« se plaignent que le personnel de police a tendance à leur échapper,
étant administré par le préfet régional (Intendance Police) et
que, d’autre part, les services régionaux, police de sûreté et RG,
les laissent parfois dans l’ignorance des enquêtes importantes traitées
dans leur département ou les avisent tardivement des faits graves dont leurs
circonscriptions sont le théâtre ». Les RG connaissent « une
crise assez sérieuse » : « Le commissaire divisionnaire de Limoges
estime que l’on devrait rendre à son service sa liberté d’action en lui
laissant le soin de traiter complètement et sur le plan judiciaire toutes les
affaires de menées antinationales découvertes par ses agents, ceux-ci se
lassant d’être les informateurs du service de sûreté. Il préconise
le rattachement de la section politique à son service. » Enfin, les corps
urbains souhaitent bénéficier des mêmes avantages que les GMR, en
particulier le casernement.
Plus grave, le contexte politique et économique rend difficile l’exercice du
métier et une crise morale se développe au cours de l’année 1943.
Les tâches ingrates et impopulaires - gardes statiques, gestion du S.T.O. -
s’accumulent et l’intendant de la région de Limoges réclame une augmentation
de 40 % des effectifs. Le surcroît de travail perturbe la formation continue
et provoque la suppression du repos hebdomadaire. Les congés payés sont
ramenés de 21 à 15 jours en août 1943 et les heures supplémentaires
rarement payées : les policiers accomplissent des journées de 10 à
12 heures. Pour pouvoir assurer le régime des 3/8, les commissaires emploient
souvent la section au repos. Ils signalent donc la fatigue et le « surmenage
du personnel ». Durant l’hiver 1943-1944, ceux de Limoges et de Châteauroux
dénombrent 10 à 20 % de « malades ». En outre, la police allemande
multiplie les opérations autonomes générant un sentiment d’humiliation,
notamment dans la zone sud. Enfin, les groupes de résistance adressent des lettres
de menaces aux fonctionnaires responsables de l’ordre public. En septembre 1943,
un brigadier et un gardien de la paix sont tués par un résistant lors d’un
contrôle d’identité à Limoges. La peur, l’angoisse et l’insécurité
gagnent les corps urbains.
Afin de faire face à la pénurie des effectifs, le secrétaire général
à la police use d’expédients. Les élèves-commissaires ne passent
plus par l’école supérieure et sont directement affectés « en
stage » sur le terrain (par exemple, dans la région d’Orléans en novembre
1942). Favorisée, la promotion interne permet à des secrétaires et
des inspecteurs régionaux d’intégrer la police nationale. En juin 1943,
alors que les effectifs théoriques sont atteints dans cette région, les
besoins sont tels qu’avant toute formation, 70 élèves gardiens rejoignent
le corps urbain de Limoges et le GMR Limousin. D’anciens sous-officiers de l’armée
d’armistice bénéficient de facilités pour entrer dans la police. Des
membres des cadres annexes (gardiens de camps ou du cadre provisoire à la ligne
de démarcation) sont incorporés dans la police régionale d’Etat. Cet
assouplissement des conditions de recrutement entraîne l’abaissement de la qualité
du personnel. En avril 1943, Bousquet pense avoir trouvé la solution en obtenant
l’affectation de requis civils comme auxiliaires dans les rangs de la police. Six
mois plus tard, le corps urbain de Limoges n’en compte que 41 alors qu’il devait
en recevoir 72 ! En septembre, le secrétaire général à la police
décide de recruter des surveillantes auxiliaires de police cantonnées à
des tâches subalternes. Fin octobre, il envisage de permettre aux intendants
de procéder à « des nominations exceptionnelles » dans la limite
de 5 % des effectifs ! Afin de limiter les démissions, Bousquet octroie des
petits avantages matériels : ration du travailleur de force à partir de
février 1943, casse-croûte pour les gardiens, indemnité de logement
en faveur du personnel en tenue… Le décret du 16 novembre 1943 relève sensiblement
les traitements sans pour autant compenser les ravages de l’inflation. Le même
mois, la création du grade de sous-brigadier permet la promotion de gardiens
issus des polices municipales arrivés en fin de carrière. L’hiver 1943-1944
voit le développement de services sociaux. À Limoges, un mess et un foyer
du gardien sont ouverts. Une popote fonctionne à Châteauroux. Un arbre
de Noël est organisé à Orléans.
Devant la démotivation croissante de son personnel, Bousquet tente parallèlement
une reprise en main. Aux intendants réunis à Vichy en avril 1943, il demande
de procéder à de nombreuses mutations au sein de la police. Il « ordonne
d’éliminer sans pitié tous les incapables et d’interner ceux qui manqueraient
de loyauté […] La règle à appliquer est la suivante : l’incapacité
fait sortir tout de suite, la fainéantise fait sortir à terme, la saloperie
doit être punie [sic] ». Il envisage même de créer « une
sorte de conseil de guerre ou de tribunal militaire de police ». Dans les régions
d’Orléans et de Limoges, ces consignes se traduisent par la « juilletisation
» de six cadres âgés de la police nationale au rendement déficient.
À l’inverse, des récompenses viennent encourager les fonctionnaires zélés
: décorations, félicitations, promotions et primes. L’examen des ordres
de police de l’intendance d’Orléans montre que ces sommes d’argent reviennent
en priorité à la « section politique » qui s’illustre dans la
lutte contre les terroristes.
C’est effectivement au sein des brigades régionales que le Gouvernement de Vichy
conserve un soutien réel pour appliquer sa politique de répression et de
collaboration avec l’occupant. Alors que les policiers des commissariats urbains
se réfugient dans un attentisme prudent, un dérapage est observable dans
la brigade de police de sûreté de la région de Limoges. À partir
de novembre 1943, la claire distinction des tâches entre les sections disparaît
au profit d’une répartition géographique des zones. Toutes s’occupent désormais
des « affaires politiques » : la section des affaires criminelles en Corrèze
et en Creuse, la section politique en Dordogne et en Haute-Vienne et la section de
la surveillance du territoire dans l’Indre et le Cher-Sud.
L’arrivée au pouvoir de Darnand marque une rupture définitive entre l’Etat
Français moribond et la masse des policiers. Dès sa création, les
cadres s’étaient répandus en critiques à l’égard de la Milice
Française. Ils la décrivent comme une police parallèle et ils rejettent
le discours de guerre civile adopté par le Secrétaire Général
au Maintien de l’Ordre. Qu’elles viennent de leur hiérarchie, de l’occupant
ou de la résistance, les pressions exercées sur les policiers atteignent
leur paroxysme au printemps 1944. Dans sa politique de répression brutale, Darnand
tout à la fois sollicite et se méfie des « intendants du maintien
de l’ordre ». Il libère ainsi les RG de leur tutelle par l’institution
de « délégations régionales » reliées directement à
la direction nationale. Parallèlement, la Milice colonise les postes à
responsabilité. En avril 1944, le milicien Jean de Vaugelas devient « directeur
des opérations de maintien de l’ordre » dans la région de Limoges
(17). À la même époque, la police
allemande arrête de nombreux cadres policiers dans le Limousin. « Gardiens
et gradés sont dans l’ensemble plus résignés que satisfaits »
note l’intendant de la région de Limoges. Dans ces conditions, les absences,
les démissions, les fuites se multiplient. À la veille du débarquement,
Darnand lui-même reconnaît un « malaise à tous les échelons
des fonctionnaires de la police ».
À la Libération, l’image de la police française ressort plutôt
ternie des quatre années de répression pendant lesquelles elle a été
appelée à participer activement. La République se montre alors soucieuse
d’effacer les traces d’un Etat Français à ses yeux entaché d’illégalité.
Pourtant, l’étatisation de la police n’est pas remise en cause, seule la régionalisation
administrative disparaît en 1946. Aussi, conservée dans ses grandes lignes,
la réforme de 1941 apparaît-elle comme le véritable acte de naissance
de la police moderne dans la plupart des régions françaises.
Notes
(1) La région du Limousin comprenait la Haute-Vienne,
la Corrèze, la Dordogne, la Creuse, l’Indre et les parties non occupées
du Cher, de la Vienne, de l’Indre-et-Loire et du Loir-et-Cher.
(2) La région d’Orléans englobait le
Loiret, l’Eure-et-Loir ainsi que les parties occupées du Loir-et-Cher et du
Cher.
(3) Marcel Sicot, Servitude et Grandeur policières.
Quarante ans à la Sûreté, Paris, Les Productions de Paris, 1959,
p. 154 à 156. Dans la dernière phrase citée, l’allusion aux municipalités
communistes est évidente.
(4) Marcel Sicot, op. cit., p. 239 et 240.
(5) « Encadrer ou contrôler. Information
et propagande sous Vichy » in Laurent Gervereau et Denis Peschanski (s.d.),
La propagande sous Vichy (1940-1944), Paris, BDIC, 1990, pp. 10-31.
(6) Pour la première, voir Laurent Gervereau
et Denis Peschanski (s.d.), op. cit., p. 149. Pour les deux dernières,
Dominique Rossignol, Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944.
L’utopie Pétain, Paris, PUF, 1991, p. 170.
(7) Les sources concernant la région de Limoges
proviennent des Archives de la Haute-Vienne (185 W 1/30-31, 2/8, 3/3 à 11),
de l’Indre (802 W 4, 23 à 25, 40).
(8) Marc-Olivier Baruch, Servir l’Etat français.
L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997, p. 380.
(9) Lettre circulaire n ° 78 du 8 mai 1941
émanant de l’Amiral de la Flotte, ministre secrétaire d’Etat à l’Intérieur
à destination des préfets régionaux et départementaux.
(10) En janvier 1944, Darnand nommera le colonel
Georges Lelong, « directeur des opérations du maintien de l’ordre en Haute-Savoie
». Celui-ci quitte alors l’école des cadres de la police pour diriger non
sans difficulté les éléments divers (gendarmes, gardes mobiles, G.M.R.,
miliciens…) chargés de la répression contre les maquisards des Glières
en Haute-Savoie. Condamné à mort par un tribunal militaire en novembre
1944, Lelong est enlevé dans la prison d’Annecy et exécuté sommairement
par des résistants.
(11) Livret, en réalité circulaire
n ° 275 du 9 septembre 1941, signé du secrétaire général
pour la police Henri Chavin.
(12) Les informations concernant la région
d’Orléans ont été recueillies aux Archives du Loiret (15 W 6304, 6389,
6399 et 6400) et du Cher (M 7061, 7338, 7631, 8033, 8036, 8040).
(13) Le commissaire de police de Vierzon est
un fervent pétainiste acquis aux idéaux de la Révolution Nationale
et très actif dans la répression anticommuniste. Il sera exécuté
par les F.T.P. en septembre 1944.
(14) Cette ville industrielle était passée
sous le contrôle du parti communiste en 1937 mais la nouvelle municipalité
n’avait embauché que peu d’agents de police.
(15) Circulaire de l’intendant de police de la
région d’Orléans du 20 février 1943.
(16) À Châteauroux, au moins une brigade
de GMR assiste en permanence le corps urbain de l’été 1942 à l’été
1943.
(17) Aristocrate originaire de l’Indre, l’officier
d’aviation Jean de Vaugelas adhère à la Milice Française dès
sa fondation. En 1943, il fait partie l’Inspection Générale de la Franc-Garde
avant de diriger l’école des cadres de la Milice à Saint-Martin d’Uriage.
Il commande ensuite le contingent milicien qui participe aux opérations de répression
en Haute-Savoie à la fin de l’hiver 1943-1944. Dans le Limousin, il est spécialement
chargé les opérations de maintien de l’ordre d’avril à août 1944.
À l’instar des autres dirigeants de la Milice, il gagne alors l’Allemagne. Officier
dans la division « Charlemagne », il est fait prisonnier par l’Armée
Rouge en mars 1945. Lors de son transfert de Pologne en France, il parvient à
s’échapper et gagne l’Argentine où il meurt, en 1954, dans un accident
de la circulation.