III. La libération de Châteauroux

DOCUMENT I

La libération de Châteauroux vue par le Comité Départemental de Libération de l'Indre

Le 10 septembre, le chef-lieu départemental est libéré définitivement. Le quotidien du C.D.L. narre avec un ton emphatique et passionné l'entrée des troupes F.F.I. à Châteauroux. Dans les jours suivants, La Marseillaise du Berry consacre plusieurs articles à la cérémonie organisée à l'occasion de la visite du commissaire régional de la République, venu introniser officiellement le préfet de l'Indre. Se référant au programme du C.N.R., le C.D.L. entend bien travailler d'égal à égal avec le nouveau représentant de l'État, lequel appelle à l'unité autour du général de Gaulle.

o Éditorial paru dans La Marseillaise du Berry, organe du Comité Départemental de Libération de l'Indre, mardi 12 septembre 1944, n° 17.

Notre opinion

D'un même coeur !

Après avoir subi le sinistre spectacle des colonnes hitlériennes vaincues parcourant ses rues dans leur retraite sans issue vers l'Est, notre ville de Châteauroux a connu hier un autre défilé grandiose et triomphal. Cortège glorieux et symbolique qui marquait aux yeux de la population frémissante de joie, la libération définitive de Châteauroux.

Certes, l'enthousiasme et l'allégresse étaient douloureusement tempérés par les conséquences dramatiques du lâche attentat hitlérien qui endeuillait nos camarades F.F.I. (22). Mais à travers le grave recueillement, qui inspirait les pensées au souvenir de cet abominable forfait, perçaient une ferveur patriotique et une foi ardente en l'avenir qui étaient profondément émouvantes.

Enfin, nous sommes libres ! Totalement libres ! Comme elle est loin déjà la vision de cauchemar des hordes nazies en déroute qui, il y a quelques jours à peine, semaient la terreur et l'épouvante dans notre région !

La France en armes

Aujourd'hui, c'est la France en armes qui s'avance, la France qui a souffert, lutté et vaincu, la France nouvelle incarnée par ses combattants et ses héros.

Manifestation de purification française effaçant la souillure allemande. Apothéose éclatante du maquis indomptable qui a sauvé notre dignité et notre honneur !

Le jour de gloire est arrivé par nos vaillants camarades F.F.I., ceux de l'A.S. et ceux des F.T.P. fraternellement unis dans le triomphe comme ils le furent au combat (23).

La population de Châteauroux a compris la portée décisive de ce magnifique défilé de la victoire.

Une foule immense, massée sur tout le parcours du cortège, acclamait frénétiquement les forces militaires défilant sous le soleil radieux. Hommes, femmes, enfants avaient revêtu leurs costumes de fête et applaudissaient avec une joie délirante les formations motorisées, les autos rapides et les camions puissants du maquis, les parachutistes intrépides de la nouvelle armée française, le glorieux état-major F.F.I. de l'Indre précédant les unités admirables de nos gars du maquis rayonnants de fierté et étreints par une émotion poignante.

Le défilé

Avec une dignité et une discipline remarquables, ceux qui ont fait lever le jour merveilleux de la résurrection française défilaient le front haut, le regard clair, d'un pas ferme et sûr de justiciers et de vainqueurs.

Hommes nouveaux de la France éternelle !

Sur la place de la République, les ovations étaient indescriptibles et jaillissaient de toutes parts.

Le service d'ordre avait peine à contenir le flot impulsif de la foule secouée de remous impétueux.

Splendide foule berrichonne vibrant comme on le vit rarement.

Et tandis que nos trois couleurs glorieuses montaient dans l'azur du ciel, tandis qu'une Marseillaise triomphale retentissait à tous les échos, on sentait passer sur la foule émue le souffle des temps nouveaux et l'élan irrésistible vers un avenir meilleur.

Il convenait de tirer les enseignements majeurs de cette mémorable journée. C'est ce que fit notre ami Henriet au nom du Comité Départemental de Libération.

De la tribune érigée devant l'hôtel de ville, et entouré d'une pléiade gracieuse et chatoyante de jeunes filles drapées de bleu, de blanc et de rouge, face aux chefs et aux héros des F.F.I., M. Henriet rendit un hommage fervent à nos morts du maquis, tombés au champ d'honneur ou victime de l'ignoble attentat de dimanche.

Gloire à nos Alliés

Il glorifia nos vaillants alliés, les Anglais et les Américains qui ont participé victorieusement à la libération de notre pays, les Russes et leur grand chef Staline, qui, en mettant hors de combat au prix d'un effort héroïque la masse de choc de l'armée allemande, ont rendu possible les grandes victoires d'aujourd'hui.

Il déclara que la Résistance, qu'elle fut militaire ou politique, était une et indivisible et qu'elle s'inspirait d'un même esprit : l'esprit maquisard.

Notre ami Henriet convia les Français à s'unir autour du général de Gaulle, dans une même volonté constructive pour une France libre, heureuse et fraternelle.

La Résistance, ajouta M. Henriet, n'a que faire des ralliés de la onzième heure qui s'efforcent de tirer profit cyniquement des combats et des sacrifices de nos gars du maquis. Ce sont ceux qui ont effectivement lutté clandestinement ou par les armes qui sont les seuls qualifiés pour assumer les tâches gigantesques de la reconstruction du pays, car souligna M. Henriet « la Résistance, c'est la France ».

Notre ami Henriet termina son allocution par un appel à l'union des Français pour le salut de notre cher pays.

Il salua le nouveau préfet de l'Indre, M. Laporte, qui sera installé officiellement jeudi prochain à Châteauroux par M. Boursicot, commissaire de la République pour la région de Limoges.

Après une intervention éloquente qui fut vigoureusement applaudie par l'assistance, la cérémonie prit fin dans une atmosphère d'enthousiasme extraordinaire.

Par une innovation heureuse, la manifestation a été diffusée dans la ville pavoisée de tricolore.

Jamais Châteauroux ne vécut des heures aussi exaltantes.

o Article paru dans La Marseillaise du Berry, organe du Comité Départemental de Libération de l'Indre, vendredi 15 septembre 1944, n° 20.

Un ciel gris et bas contraste, ce jeudi matin, avec le sentiment joyeux de la population en ces heures historiques. La venue de M. Boursicot, commissaire régional de la République est, dans les annales castelroussines, un événement par trop marquant pour n'avoir pas attiré une foule nombreuse et enthousiaste.

De bonne heure, autour de la place des Alliés et du château Raoul, siège de la préfecture, c'est, comme aux autres manifestations symboliques qui ont marqué la libération, la même affluence et la même ferveur patriotique.

Depuis l'entrée de la ville, route d'Argenton, jusqu'au point où les autorités civiles et militaires du département et de Châteauroux, groupées derrière M. Laporte, nouveau préfet de l'Indre, prendront contact avec M. Boursicot, les F.F.I. forment une haie d'honneur. La musique municipale attend sur la place des Alliés, aux côtés des forces F.F.I., avec l'étendard du 8e Cuirassiers, qui vont participer à la prise d'armes.

Sur la place même de la préfecture, où des piquets d'honneur ont pris position, l'escadron de la Garde assurant seul le service à l'intérieur de la préfecture, un charmant groupe de jeunes alsaciennes et lorraines, de berrichonnes en costumes régionaux encadrent trois autres jeunes filles vêtues l'une de bleu, l'autre de blanc, la troisième de rouge, vivant drapeau national.

Cette figure tricolore que réalisent les jeunes filles du collège et des femmes berrichonnes, toutes élèves de Mme Demaire, est reproduite autour et jusque sur la stèle du monument aux morts auquel fait face le drapeau des mutilés de guerre.

L'attente de la foule impatiente va se prolonger. Enfin, voici la voiture officielle. `

M. Boursicot est accueilli par MM. Laporte, préfet de l'Indre, Brac, secrétaire général, Baudin, Henriet et les membres du Comité [Départemental] de Libération, l'état-major et les commandants des troupes F.F.I. L'Harmonie municipale joue la Marseillaise.

Le commissaire de la République passe sur le front des troupes, s'arrête et s'incline devant l'étendard du 8e Cuirassiers, puis accompagné du préfet de l'Indre et suivi des autorités, se dirige vers la place de la Préfecture où il salue d'abord le drapeau des mutilés, passe devant les piquets en armes.

Des gerbes de fleurs sont déposées sur le socle du monument par le Commissaire de la République, le préfet, les Alsaciennes et Lorraines, les Berrichonnes.

Et c'est la traditionnelle minute de silence tandis que trois trompettes de la Garde égrènent les notes de la sonnerie aux morts.

Des gerbes sont enfin offertes au commissaire de la République par des jeunes filles figurant les trois couleurs, à M. Beaudin et au colonel Surcouf par les Alsaciennes et Lorraines, au préfet et aux colonels Roland et Robert par les Berrichonnes.

La réception publique est terminée. Dans l'enceinte du château Raoul pénètrent les autorités civiles et militaires. Dans la préfecture eut lieu ensuite une autre cérémonie au cours de laquelle M. Boursicot prononça un discours.

o Article paru dans La Marseillaise du Berry, organe du Comité Départemental de Libération de l'Indre, vendredi 15 septembre 1944, n° 20.

Une proclamation de M. Laporte

Au moment de prendre officiellement possession de mon poste, c'est à vous que je désire d'abord m'adresser.

Au cours des journées tragiques qui ont précédé la libération définitive de l'Indre, j'ai désiré avant tout que l'impulsion donnée par le gouvernement provisoire de la République au splendide effort d'affranchissement national ne se ralentisse pas.

Le Comité Départemental de Libération et les chefs militaires avaient désigné un jeune officier F.F.I., dont le courage et l'abnégation donnent foi en l'avenir, vétéran de la résistance. J'avais, de mon côté, afin d'assurer la continuité de la vie administrative, fait appel à un fonctionnaire de l'administration préfectorale qui aime passionnément son métier, je l'avais choisi, d'abord parce qu'il est mon meilleur ami, et aussi, parce que devant les Allemands il avait déjà fait ses preuves dans un département voisin.

Restés à Châteauroux, ils ont assuré, par leur calme et leur courage, la sauvegarde de la population. Je les en remercie.

Avec vous, je m'incline devant nos morts : mes camarades tombés au cours de la guerre 1939-1940, ceux des armées d'Afrique et d'Italie, tous ceux qui ont versé leur sang pour que la France vive, et qui n'entendront pas les cloches de leurs villages sonner l'heure émouvante de la cessation du combat. Je salue avec une reconnaissance infinie tous ces braves jaillis de notre sol, et qui, comme en [17]93, ont créé, sous l'impulsion de chefs héroïques, l'armée du peuple : nos F.F.I.

Ils ont rendu possible ce miracle d'une France qui, moins de cinq ans après la défaite, reconquiert elle-même une large part de son territoire, et affirme ainsi son droit de faire entendre sa voix aux côtés des Alliés aux jours prochains des négociations de paix.

Je souhaite le prompt retour de nos chers prisonniers, déportés et résistants qui ont payé de leur liberté leur attachement à la cause de la France, et dont les souffrances n'auront pas été vaines. J'entends dès maintenant, par mon action administrative, préparer la place qui leur revient de droit dans la France nouvelle.

Je tiens à souligner le magnifique effort des apôtres de la première heure qui ont cristallisé autour d'eux l'armée immense de la Résistance et qui continuent au sein du Comité Départemental de Libération, l'oeuvre entreprise dans la clandestinité : c'est en pleine harmonie avec ces hommes que je compte travailler.

Fort de la confiance dont je suis investi, j'ai le souci, par une action ferme et réfléchie, de donner à notre département une vie administrative nouvelle, harmonieusement adaptée aux nécessités, aux aspirations d'une France pour laquelle les meilleurs de nos fils ont combattu.

Il ne peut y avoir de prospérité nationale sans l'effort commun de toutes les classes de la société. En revanche, je m'emploierai, ouvriers et agriculteurs, à étouffer les difficultés qui sont les vôtres, et que nous résoudrons ensemble.

Ma tâche est rude. Elle ne pourra s'accomplir que dans l'ordre et la discipline, et avec l'entier concours de tous. Elle aura, pour condition préalable, l'exercice d'une stricte et impartiale justice qui châtiera ceux qui ont travaillé pour l'ennemi ou profité de la misère des nôtres.

Je vous demande de me faire confiance pour que tous ensemble unis autour de notre glorieux chef, le général de Gaulle, nous travaillions à la grande oeuvre de rénovation française.

o Article paru dans La Marseillaise du Berry, organe du Comité Départemental de Libération de l'Indre, vendredi 15 septembre 1944, n° 20.

Chronique F.F.I.

« Et qu'avez-vous fait pendant les dix jours de votre absence ? » Cette question me fut posée par un Castelroussin quelque part dans la rue, et c'est parce que je sais qu'elle est sur toutes les lèvres que je veux y répondre ici. Eh bien non ! Les F.F.I. ne se sont pas camouflés dans leurs bois comme peuvent le prétendre certains, les F.F.I. ont combattu. De Châtillon à Lignières, de Buzançais à Issoudun, de Mézières à Ardentes, sans cesse, ils ont attaqué les interminables convois qui traversaient notre département. [...]

o Article paru dans La Marseillaise du Berry, organe du Comité Départemental de Libération de l'Indre, vendredi 15 septembre 1944, n° 20.

Le commissaire de la République, M. Boursicot

M. Boursicot était avant-guerre secrétaire de la fédération des fonctionnaires et membre du comité national de la C.G.T.

Sous le pseudonyme de Pierre Corme, il fut un membre militant du mouvement « Libération zone nord » et ensuite du bureau reconstitué en secret de la fédération des fonctionnaires. Il assuma d'importantes fonctions clandestines dans diverses régions voisines du Limousin.

Il fut nommé commissaire de la République pour la région de Limoges à la suite de l'arrestation de M. Vergniaud [il s'agit de Fourcade, responsable régional des M.U.R.], précédemment désigné.

Arrivé dans le Limousin le 18 août, il est entré à Limoges le 21 août avec l'état-major des F.F.I. Il a pris officiellement ses fonctions le 5 septembre dernier.

Le nouveau préfet, M. Jean Laporte

M. Jean Laporte qui vient d'avoir 34 ans, est docteur en droit. Après avoir été avocat au barreau de Toulouse, il entra en 1936 dans l'administration préfectorale comme chef-adjoint du cabinet du préfet du Tarn.

Il fut successivement chef de cabinet du préfet des Pyrénées-Orientales, secrétaire général des Pyrénées-Orientales, secrétaire général du Jura, sous-préfet de Nontron (non installé), secrétaire général de la préfecture de Limoges.

Il n'occupait plus de poste depuis quelques mois.

M. Roger Brac, secrétaire général de la préfecture de l'Indre

M. Roger Brac est entré dans l'administration en janvier 1921. Licencié en droit, rédacteur puis chef de bureau à la préfecture de Limoges et ensuite chargé de la direction du secrétariat régional au moment de la création des régions, M. Brac s'attira de très nombreuses sympathies à Limoges en raison de son attitude résolument française. Nommé sous-préfet d'Ussel (non installé), il devint successivement secrétaire général de la Creuse et secrétaire général de la préfecture de l'Indre.

M. Claude Grillon, chef de cabinet du préfet de l'Indre

M. Claude Grillon, chef de cabinet du préfet de l'Indre est âgé de 24 ans. Licencié en droit, diplômé d'études supérieures de droit public et d'économie politique, il fut, avant d'occuper son poste actuel, chef de cabinet du préfet de la Creuse.

o Article paru dans La Marseillaise du Berry, organe du Comité Départemental de Libération de l'Indre, vendredi 15 septembre 1944, n° 20.

Notre opinion

Sus aux diviseurs

Il faut bien nous comprendre.

Nous connaître pour nous apprécier.

Garder l'union indispensable.

Ne laisser à aucun moment les salopards et les résistants de la dernière heure pénétrer dans nos rangs, y jeter le désordre.

La période de la clandestinité est révolue. Nous pouvons maintenant parler haut et clair. Nous allons pouvoir donner nos noms véritables, nous qui en avons changé tant de fois dans la lutte contre la Gestapo et Vichy. Il n'y a aucun inconvénient - que des avantages - à ce que nous élargissions notre Comité Départemental de Libération. Dès après la cérémonie d'aujourd'hui, le préfet installé, nous allons procéder à cet élargissement. Le monde catholique y aura ses représentants. Le Parti démocrate-chrétien également. Selon le voeu du Conseil National de la Résistance, toutes les tendances de la pensée française y seront représentées.

Nous mettrons une seule condition aux candidatures. Le Comité de Libération ne doit avoir dans son sein que d'authentiques Résistants.

Ceci fait, au travail ! Avec M. Laporte, préfet désigné par le Gouvernement, nous entendons réaliser les tâches gouvernementales dans le cadre de notre département. Une garantie conditionne cette mise en route, la réalisation d'un travail fécond : Maintenir l'union la plus absolue.

Et nous, qui sortons des maquis, de quatre années de clandestinité, nous n'avons pas peur de prendre nos responsabilités et nous vous disons :

Pendant les dix jours où la direction militaire nous a contraints de reprendre la vie clandestine, pendant le passage de 140 000 Boches, la 5e colonne a travaillé à Châteauroux. Elle a fait circuler les bruits les plus insensés sur nos activités. Nous ne l'ignorons pas, comme nous n'ignorons pas que certains éléments ayant appartenu aux ex-formations de droite se remuent véhémentement. Nous leur donnons un charitable avertissement. La poigne des maquisards est rude.

La résistance n'a nullement l'intention de s'en laisser montrer par des politiciens aux ordres des trusts. Qu'ils se le tiennent pour dit.

Comme toujours ces diviseurs de Français attaquent de la même façon : contre le parti communiste...

Aujourd'hui contre lui, demain contre les socialistes, après-demain contre la Résistance entière. Le parti communiste est partie intégrante de la Résistance, il est avec de Gaulle dans le gouvernement, il est dans tous les rouages de la politique française. Il est le parti qui a le plus payé pour que vive la France.

Il a été à l'avant-garde de la lutte contre le Boche. Qui cherche à semer la discorde dans les rangs de la Résistance est un adversaire de la patrie, de la République. De même que nous désirons voir le drapeau de l'Union Soviétique aux côtés des drapeaux américains et anglais, de même le parti communiste a sa place dans la vie publique de la IVe République aux côtés des autres mouvements de la Résistance.

Demain, Castelroussins, vous verrez dans la rue Victor-Hugo une grande boutique : « La Maison de la Résistance. » Dans une vitrine, le Front national de lutte pour l'indépendance et la liberté de la France, appelé familièrement le F.N. ; dans l'autre, les Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) qui s'intitulent maintenant Mouvements de Libération Nationale. Au milieu, une vitrine, celle du Comité de Libération. Au reste, M.U.R. et F.N. forment d'ores et déjà un comité de coordination.

Dans la vitrine centrale du C.D.L., vous lirez : « Unis dans le combat, nous jurons de rester unis dans la paix. »

Castelroussins ! Berrichons ! Voilà notre Loi.

***

DOCUMENT II
Le rapport du commisssaire des renseignements généraux
(source : A.D.I. 1280 W 13)

Le 16 septembre 1944, le commissaire principal des renseignements généraux de l'Indre rédige un rapport sur l'état d'esprit de la population. Non numéroté et qualifié d'« hebdomadaire », ce bulletin du commissaire Ludmann (24) porte en réalité sur une période de 36 jours allant du 20 août au 15 septembre. Nommé par Vichy, ce fonctionnaire de police n'a pas été arrêté par la Résistance. Toutefois, durant ces trois semaines, il n'a plus disposé de ses moyens habituels d'information et est sans doute resté bloqué dans le chef-lieu départemental. Ainsi, alors que le rythme des événements s'accélère, M. Ludmann établit un rapport étonnamment court si on le compare à ceux du mois de juin. Surtout, il accrédite les rumeurs qui circulent à Châteauroux alors qu'il n'a plus la possibilité de les vérifier (notamment à propos de l'explosion survenue dans un bâtiment de la caserne Bordessoulle). Destiné au nouveau préfet de l'Indre, son compte rendu dresse le portrait d'une population castelroussine déçue par la résistance locale, effrayée par une menace communiste et désirant le retour rapide de l'ordre gouvernemental. Cette vision de la situation correspond sans doute aux propres aspirations et préoccupations du commissaire Ludmann. Il est d'ailleurs intéressant de confronter ce rapport aux différents éditoriaux parus dans La Marseillaise du Berry. Les thèmes et les faits abordés sont identiques mais les points de vue sont quasiment toujours opposés.

Les événements qui se sont déroulés dans notre département ont permis de noter dans l'opinion publique une certaine instabilité liée d'ailleurs à l'instabilité de la situation.

Le 20 août, lors du premier départ des Allemands, un soulagement profond s'était fait sentir dans la population. Et malgré la petite déception de ne pas voir arriver les Américains impatiemment attendus, déception vite réprimée, on avait accueilli les F.F.I. avec une franche joie : des Français remplaçaient les Allemands.

Cependant, dans la semaine, on commence à noter quelques exagérations dans l'action des F.F.I. : arrestations, circulation en voiture, tenue, etc. L'arrivée des F.T.P. accentue le malaise que l'on ressent : les gens ne sont pas communistes. Certaines catégories gaullistes de la population (commerçants, catholiques, classes moyennes) s'effrayent de la tournure prise par les événements et de l'emprise communiste.

Ce sentiment va en s'accentuant jusqu'au 30 août, jour de la nouvelle arrivée des Allemands à Châteauroux.

Tout s'efface alors devant une seule pensée : « Que va-t-il nous arriver ? »

Après vingt-quatre heures, on constate que les troupes allemandes sont disciplinées et correctes (il s'agissait des premiers éléments). L'appel lancé par M. Brac, secrétaire général, réconforte la population, et beaucoup de gens, revenant en arrière, critiquent vertement l'attitude prise par le C.D.L. et l'état-major F.F.I. que l'on accuse d'avoir pratiqué une politique de sauve-qui-peut. Les personnes les plus modérées dans leurs jugements estiment qu'il était inadmissible qu'une telle masse d'Allemands ait pu arriver jusqu'aux portes de Châteauroux sans que les dirigeants le sussent et, en tout cas, sans qu'ils prennent, avant leur départ, toutes dispositions utiles vis-à-vis de la population.

Mais peu à peu les Allemands deviennent moins corrects, les Hindous exercent leurs sévices et la frayeur domine chez tous.

Samedi 9 septembre, les Allemands sont partis.

Les gens se remettent à espérer et le péril passé, pourtant tout proche encore, est déjà oublié. On essaie de prévoir les événements et la grande majorité espère que les errements de la première occupation F.F.I. de Châteauroux ne se reproduiront pas.

Cependant, au soir de ce samedi 9, on note moins d'enthousiasme à l'égard des F.F.I. que lors de leur première entrée en ville. La population berrichonne est pour la tranquillité et l'ordre qui l'assure : elle n'est pas d'opinion extrémiste. Aussi, c'est avec gêne qu'elle voit évoluer des voitures avec le drapeau rouge, d'autres avec le drapeau espagnol. La mairie a été gardée l'après-midi par des Espagnols qui contrôlaient la population civile, les gens en sont offusqués.

La semaine qui vient de s'écouler a été marquée par trois faits importants qui ont provoqué chacun des réactions d'opinions intéressantes :

- l'explosion de la caserne Bordessoulle ;

- l'entrée officielle des F.F.I. à Châteauroux ;

- l'installation officielle du préfet de l'Indre par le commissaire régional de la République.

Dès que l'explosion qui a eu lieu à la caserne Bordessoulle a été connue, les gens ont cru que cette caserne avait été minée par les Allemands avant leur départ. Mais peu à peu la version donnée par des personnalités officielles et par des témoins s'est répandue : poudre de chasse, imprudence ; sans doute, il s'agissait d'un accident. Cette opinion est à peu près générale.

Aussi est-on fort étonné et même choqué que toutes les déclarations officielles publiées dans La Marseillaise essayent d'accréditer la version du « lâche attentat hitlérien ». On s'étonne que l'on fasse si peu de confiance à la population pour estimer nécessaire de continuer le « bourrage de crâne », et l'on fait remarquer que si la version officielle était exacte, on n'aurait pas manqué de fournir des précisions sur l'attentat. Or, à ce sujet, tout le monde est muet. Aux yeux du public, la vérité demeure : fatale imprudence des victimes.

L'entrée officielle des F.F.I. à Châteauroux et le défilé des troupes a produit dans son ensemble une bonne impression. Les employés et les ouvriers ayant eu congé l'après-midi, une foule très dense se pressait sur le parcours.

On a senti que les éléments du maquis, sans avoir reçu de réelle instruction militaire, avaient fait un louable effort pour paraître propres et disciplinés. On a estimé le défilé très réussi et la corde patriotique vibrait agréablement au coeur de chacun.

Cependant, entre toutes les formations, la population acclame surtout les éléments reconstitués du 8e Cuirassiers et du 17e B.C.P. (25) : on a été surpris notamment du nombre et de la tenue de ce dernier groupe.

Le discours prononcé par M. Henriet sur la place de la République n'a été entendu que de quelques-uns : pourquoi n'avait-on pas installé un micro ?

Les gens qui étaient à proximité de la tribune ont apprécié la sobriété de l'allocution de l'orateur, qui a su employer des termes simples et directs, accessibles à chacun. Il a cependant été noté qu'il avait omis de faire allusion aux prisonniers et aux déportés en Allemagne, et également que les applaudissements les plus nourris ont accompagné les noms du secrétaire général Brac et du colonel Chomel.

L'installation officielle du préfet de l'Indre par le commissaire régional de la République a un peu déçu la population.

La presse avait invité celle-ci à assister à la cérémonie. Les administrations et les employeurs avaient donné congé à leur personnel : la foule s'attendait donc à une manifestation spectaculaire et, avant l'heure prévue, s'était massée nombreuse sur la place de la préfecture et dans les rues avoisinantes.

Après 1 h 40 de retard, déjà lassée par l'attente, la population fut déçue par l'extrême sobriété de la cérémonie et le passage très rapide du commissaire régional. Elle n'a pas compris qu'on l'ait invitée et qu'on ait donné congé pour si peu.

Aucune réaction d'opinion n'a été notée pendant la longue attente. Les gens essayaient de reconnaître ou de se faire désigner les personnalités officielles, militaires et F.F.I. qui attendaient également.

La proclamation du commissaire régional, placardée en ville, ainsi que celle du préfet de l'Indre, parue dans la presse, n'ont amené aucune réaction.

En cette fin de semaine, si l'on fait le point de l'opinion sur le plan local, on note un panachage de sentiments allant de l'optimisme à l'inquiétude, selon le tempérament et les tendances de chacun, mais avec l'idée générale que la situation actuelle est tout à fait provisoire et que l'ordre viendra par le haut, c'est-à-dire émanera du gouvernement appuyé militairement, lequel, en fin de compte, imposera sa volonté. C'est le souhait que formule la majorité.

***

DOCUMENT III

Les deux témoignages
de Paul Accolas, adjoint au maire
Quelques jours aprés la libération définitive de Châteauroux, l'un des adjoints au maire de l'ancienne municipalité est interrogé par La Nouvelle République du Centre-Ouest, jeune quotidien imprimé à Tours et successeur de La Dépêche du Centre. Paul Accolas livre un premier témoignage sur les faits survenus pendant la réoccupation du chef-lieu de département. Quelques années plus tard, dans un contexte radicalement différent, M. Accolas écrit un récit beaucoup plus précis des événements qu'il a vécus et le communique à Jacques Sadron, correspondant pour l'Indre de la commission d'histoire de l'occupation et de la libération de la France (C.H.O.L.F.).

Ces documents présentent un intérêt informatif mais l'intérêt principal réside dans la confrontation de deux versions émanant du même individu. Le premier date de la Libération, le deuxième est rédigé à la fin de l'année 1948, en pleine Guerre Froide, alors que la situation du pays et surtout la nature des affrontements idéologiques ont profondément changé.

L'auteur, Paul Accolas, est né le 25 février 1892. Mutilé de la Grande Guerre, il dirige la Banque Hervet à Châteauroux. Au printemps 1941, il accepte de faire partie de l'équipe municipale constituée par Louis Deschizeaux. Ainsi, il est officiellement nommé quatrième adjoint au maire par le gouvernement de Vichy et il conserve cette fonction jusqu'en septembre 1944. De 1947 à 1959, il est le deuxième adjoint au maire au sein de la municipalité du radical Ramonet. Toutefois, à deux reprises, il s'est présenté au premier tour sur une liste M.R.P. homogène. De 1959 à 1965, il demeure troisième adjoint dans la nouvelle équipe Deschizeaux qui a été élue triomphalement. Titulaire de la Croix de guerre et de la Médaille militaire, il est fait chevalier de la Légion d'honneur dans les années cinquante.

Article « Quelques instants avec M. Accolas » paru dans La Nouvelle République du Centre-Ouest, édition de l'Indre, 26 septembre 1944.

Lorsque le Comité [Départemental] de Libération décida d'évacuer Châteauroux pour éviter une bataille qui aurait à peu près détruit notre ville, M. Accolas, adjoint au maire de l'ancienne municipalité resta seul, du mercredi 30 août au samedi 2 septembre, pour représenter notre municipalité.

C'est donc lui qui supporta le choc de l'arrivée des colonnes allemandes. Il eut affaire, à l'origine, à un jeune officier d'une trentaine d'années, espèce de brute qui malmena fort M. Accolas. Ce dernier se trouvait à ce moment à sa mairie avec deux conseillers municipaux, le secrétaire général, le directeur de la voirie et M. Lefèvre, de la Croix-Rouge.

Le Boche, fort en colère, demanda à voir le maire.

« Mais monsieur le maire est absent, répondit Accolas. Je suis son adjoint et je le remplace.

- Où est-il ? insista l'officier. »

Un des conseillers alors déclara que le maire avait été arrêté par le Comité de Libération. L'officier ne savait pas très bien ce qu'était un comité de libération, mais quand le mot de maquis eut été prononcé, sa fureur ne connut plus de bornes.

« Où sont les maquis ? vociféra-t-il.

- Il n'y en a pas chez nous, et vous avez le passage libre en ville.

- Puisque le maire a été arrêté par le maquis, je vous fais prisonnier. »

Puis prenant d'une main M. Accolas par le revers de son veston et de l'autre le menaçant de sa mitraillette, il lui donna l'ordre de rassembler sur la place tous les hommes à partir de 16 ans et déclara qu'il allait faire mettre le feu aux quatre coins de la ville.

M. Accolas jugea qu'il était bon de gagner du temps.

« Je n'ai qu'un tambour pour faire annoncer cela en ville, répondit-il à l'officier, mais je vais faire le nécessaire. »

Et, quittant la salle, il se rendit... dans les bureaux de la mairie où il fit une courte promenade.

Bien lui en prit. Une demi-heure après, un général allemand arrivait à la mairie et, s'étant fait mettre au courant de la situation, libérait les prisonniers.

S'adressant à M. Brac, que M. Accolas avait fait prévenir, il lui dit : « Je lève toutes les sanctions et, à moins d'incidents provoqués par la population, il n'y aura aucune mesure de prise contre elle. »

« M. Brac, nous dit M. Accolas, est un fonctionnaire de premier plan, et qui a joué un grand rôle dans la protection de Châteauroux. Je puis dire qu'il a été le sauveur de notre ville et je me félicite d'avoir été à ses côtés dans des moments aussi difficiles.

Au cours du séjour des Allemands, nous n'avons eu à la mairie, par la suite, que de rares relations avec eux.

Ils sont venus une fois nous demander nos véhicules et de l'essence. Nous les avons endormis en leur donnant de fausses adresses. C'était toujours autant de gagné et le temps qu'ils ont perdu à chercher a retardé d'autant leur marche vers l'Est. »

Ainsi, simplement, sans forfanterie, M. Accolas a rempli son devoir de Français dans des circonstances particulièrement périlleuses et nous sommes heureux de pouvoir le rappeler à nos concitoyens.

***

Libération et réoccupation
de Châteauroux
août-septembre 1944
(source : A.D.Indre 1281 W 3)

Mardi 29 août

Depuis huit jours, le maire [Daumain] et le premier adjoint (26) ont été arrêtés par les F.F.I., le deuxième adjoint (27) est absent de Châteauroux ; je suis le seul pour représenter la municipalité, sous le « contrôle » du Comité de Libération.

À 11 heures, je suis mandé à la préfecture : une colonne allemande est signalée à Levroux paraissant vouloir se diriger sur Châteauroux ; le secrétaire général faisant fonctions de préfet (28) me demande d'être éventuellement à ses côtés au cas où cette troupe occuperait la ville.

Quelques heures plus tard, on apprend que cette colonne a pris la direction d'Issoudun et tout danger semble écarté. Les F.F.I. et les autorités de la libération ont quitté Châteauroux dans la matinée et dans la nuit.

Mercredi 30 août

De rares éléments F.F.I. circulent en ville. Quel calme après une semaine de circulation automobile intense et pas toujours justifiée, des perquisitions, arrestations, tonsures, etc.

À midi et quart, la sirène donne le signal d'alerte ; à peine rentré à la maison, une communication téléphonique de la préfecture m'informe qu'une colonne assez importante est signalée à quelques kilomètres de Châteauroux. Je rejoins immédiatement mon poste à la mairie, où, en raison de l'alerte, il n'y aura du reste de la journée personne dans les services ; je suis seulement assisté de deux conseillers municipaux que je viens de convoquer, du secrétaire général de la mairie (29), de deux représentants de la Croix-Rouge, ainsi que du capitaine Corbineau, chef de la voierie et du concierge.

À 13 heures 45, quatre-vingts véhicules automobiles traversent la ville, sans s'y arrêter, prenant l'avenue de Déols, puis la direction d'Issoudun ; je rends compte à la préfecture et pense ma tâche terminée lorsque plusieurs voitures allemandes formant la tête d'un nouveau convoi quittent la rue Victor- Hugo pour se diriger sur la Mairie.

J'en avise M. Brac, secrétaire général de la préfecture et le prie de vouloir bien, comme convenu, venir à la mairie ; je me rends même, avec plusieurs personnes qui m'entourent, dans le petit bureau située à l'entrée, face à la place de la République.

Au même moment y pénètre, guidé par un agent de la défense passive, un jeune officier allemand, portant lunettes, coiffé de la casquette autrichienne, et armé d'un pistolet-mitrailleur qu'il manipule avec nervosité, tout en croquant du chocolat.

« M. le maire ?

- M. le maire a été arrêté, je suis adjoint faisant fonctions de Maire.

- Arrêté pourquoi et par qui ?

- Par le Comité de Libération, répond un conseiller.

- Quel Comité de Libération ?

- Par les forces du maquis.

- Ah oui, par les maquisards, où sont-ils les maquisards ?

- Je puis seulement vous dire qu'il n'en reste pas un seul à Châteauroux.

- Vous aussi vous êtes arrêtés par moi ! »

Lui montrant son brassard, M. L. (29) lui fait remarquer qu'il appartient à la Croix-Rouge.

« Je m'en fous [sic] de la Croix-Rouge, vous êtes prisonnier comme les autres. »

Et me prenant par le revers de mon veston, il m'amène sur les marches de l'entrée et me demande sur un ton péremptoire de rassembler tous les hommes âgés de plus de 16 ans, ajoutant qu'il allait mettre le feu aux quatre coins de la ville ; pendant ce temps et alors qu'il était occupé à lancer des appels et donner des ordres qu'on pouvait entendre à plusieurs centaines de mètres, mes deux conseillers jugèrent prudent de s'évader, les menaces de mort proférées à notre adresse expliquant ce geste.

Mon souci, pour l'instant, est de gagner du temps ; je m'efforce de ne pas irriter davantage cette violente personne ; je lui dis que pour exécuter ses ordres, je ne dispose que d'un tambour de ville pour convoquer mes administrés et qu'en conséquence le rassemblement demandé exigera un certain temps.

M. Brac, secrétaire général, accompagné de son chef de cabinet, arrive peu après et je le présente à l'officier allemand ; il n'est pas accueilli plus aimablement que je ne l'ai été moi-même.

Fort heureusement arrive bientôt le général qui se place face à la mairie et fait appeler le préfet.

M. Brac se rend à cette invitation entouré de diverses personnalités et notamment du délégué de la Croix-Rouge, cependant que je reste à la mairie où j'envisage les mesures à prendre. Ce général se montre compréhensif ; sa correction fait contraste avec la violence et la morgue de son officier subalterne.

Il rend la liberté immédiate aux otages, ce que vient annoncer le délégué de la Croix-Rouge et décide également la levée des autres sanctions.

Il confesse, du reste, que ses officiers sont un peu « énervés ».

Après cet incident, les relations avec les autorités allemandes sont correctes ; on nous demande peu de choses ; des cantonnements que nous donnons, des véhicules et de l'essence que nous marchandons le plus possible.

La population surprise et insuffisamment informée, juge sévèrement les autorités de la Libération qui ont abandonné la ville (j'ai su, par la suite, qu'elle avait apprécié l'attitude de l'unique représentant de la municipalité présent à Châteauroux et sur lequel s'étaient abattues de périlleuses responsabilités).

Je note un petit incident qui se place environ une heure et demie après l'arrivée des troupes allemandes.

L'officier avec lequel j'ai eu maille à partir à l'arrivée me fait à nouveau appeler ; c'est pour me demander de remettre sur le champ à un couple civil qui se trouve là ses pièces d'identité qui lui ont été retirées par la police F.F.I.

J'ai beau lui faire remarquer que ces pièces sont entre les mains de la police, laquelle a quitté la ville, et que je n'ai aucun moyen de les trouver, il insiste de telle façon et avec des menaces que j'accompagne l'individu, un persan, au poste de police où j'essaie de le persuader qu'aucun agent n'étant là, il lui faut bien renoncer à ses papiers ; il ne se tient pas pour battu, m'entraîne dans l'un des bureaux du premier étage et en ouvre un placard duquel il tire, sans déplacer aucun autre papier, les documents qui l'intéressent !

J'ai appris par la suite que cet individu était officier de l'armée allemande et qu'il avait revêtu l'uniforme peu après.

Plusieurs autres individus, hommes ou femmes, non moins suspects, circulent et accueillent les soldats ennemis.

Bien des personnes ont été arrêtées hâtivement depuis le début de la semaine dernière, il est regrettable que des gens dangereux et connus aient été laissés en liberté.

Jusqu'à la nuit, les troupes motorisées passent sans interruption et en bon ordre.

Pour être prêt à tout moment à parer à tout événement, je couche à la Mairie.

Vers 21 heures, quelques petites explosions, puis une forte détonation, c'est Le Département devenu La Marseillaise du Berry qui saute, les machines d'abord, l'immeuble ensuite ; les Allemands ont préalablement fait évacuer les maisons voisines, donnant aux habitants cinq minutes pour partir.

Toute la nuit, j'entends le passage des véhicules automobiles.

Jeudi 31 août

Les troupes qui ont séjourné sur la place partent au jour. Toujours de nombreux passages.

Les Allemands raflent tout ce qu'ils trouvent comme moyens de locomotion, autos, chevaux, vélos.

En fin de soirée, passage de troupes hindoues ; elles sèment la terreur car on raconte les nombreux actes de banditisme qu'elles ont commis aux alentours et même dans la ville.

Fort heureusement, elles séjournent fort peu dans nos murs.

Tous les magasins sont fermés.

Malgré cet important mouvement, la ville semble morte.

Vendredi 1er septembre

Les troupes continuent à passer, moins régulièrement et moins denses qu'au début.

À 10 heures, l'immeuble siège de la Milice, puis des F.T.P., est en flammes, je suis inquiet car les Allemands ont pris une partie de notre matériel incendie ; le feu est cependant rapidement maîtrisé et les immeubles voisins n'ont pas à souffrir.

À 13 heures 30, un honorable commerçant est tué par les Allemands. Motif : un coup de feu accidentel parti d'une voiture allemande tua un soldat et en blessa un autre sur le trottoir. Avant de se rendre compte de l'origine de cet accident, les Allemands se précipitent dans l'immeuble en face, poursuivent le propriétaire qu'ils abattent dans l'escalier et tiennent longtemps sa femme sous la menace de leurs armes.

Samedi 2 septembre

Nous avons fait approvisionner le marché en utilisant les attelages municipaux, les boulangers ont été ravitaillés.

Activité allemande réduite ; on croit le mouvement des troupes allemandes terminé dans notre ville.

L'après-midi, mon collègue deuxième adjoint rentre et assumera à l'avenir les fonctions de maire.

Du 3 au 6 septembre

Continuation de la retraite allemande, aucun incident notable.

Le mercredi 6 à 18 heures, je suis appelé à la mairie pour indiquer un logement pour un général qui doit passer deux jours dans la région.

Je propose plusieurs endroits et le choix est finalement fixé sur « La Pointerie », route de Châteauroux, propriété de M. d'Ornano (30).

C'est ce général qui, deux jours plus tard, se rend avec 18 000 hommes, entre Issoudun et Châteauneuf-sur-Cher. Sans doute instruit par les renseignements que lui donne son hôte sur la situation des armées allemandes, jugea-t-il sage de terminer ainsi sa campagne.

Samedi 9 septembre

Il n'y a plus un Allemand à Châteauroux, ce qui permet aux F.F.I. d'y faire à nouveau leur entrée.

Le Comité de Libération reprend place à la mairie. Il ne m'a passé aucune consigne à son départ, il ne me demande rien à son retour. Un mot de remerciements n'aurait pas été déplacé, semble-t-il, mais j'ai l'impression que son président (31) qui ne m'a pas vu depuis quinze jours, ne me reconnaît pas.

Mais, par contre, de nombreuses personnalités de tous les milieux me prodiguent de nombreuses marques de sympathie qui me touchent particulièrement.

Lundi 11 septembre

Grande fête de la libération, avec magnifique défilé des troupes F.F.I. L'affluence est énorme.

Nombreuses invitations, mais on exclut le conseil municipal et la municipalité. On a seulement invité le maire, mon collègue Duquesne doit donc seul y assister ès qualités. Mais avec insistance, il me demande de l'accompagner, ce que je fais.

Discours de M. Henriet duquel je ne retiens que les éloges bien mérités adressés à M. Brac dont on ne vantera jamais assez le mérite pendant cette pénible journée ; mais M. Henriet ne croit pas devoir citer mon nom et de nombreuses personnes s'en trouvent surprises.

Lorsqu'avant la dislocation de la foule massée place de la République, je sors de l'enceinte pour entrer à la mairie, je suis l'objet d'ovations.

***

DOCUMENT IV
La libération de Châteauroux racontée par la résistance
Un an après les événements, le quotidien dirigé par le président du C.D.L., Robert Monestier, assure la parution d'un long article sur les libérations de Châteauroux. Paru en deux fois et non signé, ce récit reconstitue le déroulement des faits de manière détaillée. L'équipe rédactionnelle désire informer aussi précisément que possible une population locale qui semble ne pas avoir très bien compris les choix et les actions de la résistance durant cette période.

o Article, « Il y a un an... Durant sa réoccupation, Châteauroux vivait des heures d'épouvante. Grâce au dévouement de M. Brac, la capitale de l'Indre sortait indemne de cette ultime épreuve », paru dans La Marseillaise du Berry, 2 septembre 1945.

L'an dernier, à pareille époque, Châteauroux vivait les heures les plus angoissantes de son histoire.

Après avoir connu les joies délirantes de la libération, les Castelroussins étaient soudain saisis d'appréhension anxieuse à l'idée de revoir des uniformes vert-de-gris avec leur cortège de deuils et de sang.

Aux jours de liesse sans contrainte et de folle exubérance succèdent des jours pesants de l'orage proche, où l'on scrute le visage fermé du voisin, où l'on chuchote de bouche à oreille les derniers bruits sur l'approche des colonnes allemandes... Angoisse mêlée de la satisfaction sourde de voir se confirmer la débâcle de l'ennemi exécré, de cette joie satanique du martyr devant l'agonie de son bourreau, bien qu'il sache que le dernier soubresaut peut facilement le faire périr avec lui.

Depuis plusieurs jours, les troupes allemandes en retraite traversent à flots le nord du département. Pour éviter l'encerclement dont les menacent, et l'avance rapide des Américains vers l'Est, et la course vers Dijon des armées de De Lattre de Tassigny, l'ennemi désemparé se hâte vers Vierzon et Nevers [empruntant la vallée du Cher au nord de l'Indre].

De plus en plus nombreuses, les colonnes appuient chaque jour davantage vers le sud, à la recherche d'itinéraires couverts susceptibles de les abriter des attaques incessantes de l'aviation alliée.

Le 28, les Allemands descendent sur Levroux, Brion, La Champenoise. Nos F.F.I. inlassables, multiplient les coupures et les embuscades.

Des accrochages ont lieu un peu partout, mais les F.F.I. doivent reculer de plus en plus devant cette marée envahissante qui déferle vers l'est en s'étalant peu à peu vers le sud.

Tandis que les autorités

s'organisent

Pendant ce temps à Châteauroux, les autorités organisaient la vie de la cité libérée.

M. Monestier, entré à Châteauroux avec les F.F.I. et le C.D.L., avait fait les premiers jours fonction de préfet.

M. Laporte arrive à Châteauroux pour y trouver ses collaborateurs immédiats, M. Grillon, chef de cabinet, et M. Brac, secrétaire général de la préfecture, qui viennent d'arriver, eux aussi, après mille péripéties héroïques, l'un accompagné de sa femme, dans un énorme autobus, l'autre tantôt à pied, tantôt à bicyclette, et les genoux ensanglantés.

Mais à peine, hélas !, ces trois hommes sont-ils arrivés et ont-ils commencé à organiser leur travail en liaison avec le C.D.L. qu'il leur faut parer à une nouvelle réoccupation de Châteauroux avec tous les dangers qu'elle comporte.

Pour faire face à

la réoccupation

En effet, dans la soirée du 29, les nouvelles deviennent alarmantes. Des unités importantes ont quitté la région de Poitiers, et le bruit se répand en ville qu'elles vont réoccuper Châteauroux.

On sait très bien que les F.F.I., armés seulement de mitraillettes, sont incapables de résister à une forte unité organisée qui comporte des blindés. Pour calmer les alarmes, le C.D.L. et le commandement militaire font annoncer qu'ils feront mugir la sirène en cas de danger.

Les F.F.I. s'organisent pour quitter la ville, en laissant subsister le moins de traces possible de leur passage.

Des exemples vécus ont appris qu'en aucun cas les Allemands ne doivent trouver trace d'une organisation de résistance quelconque, les organisations « terroristes » comme ils disent, car ils procèdent alors à des répressions massives et impitoyables.

Leur première préoccupation consiste à rechercher le « préfet maquis » et toutes les personnalités les plus connues de la résistance. Il se trouve toujours quelque milicien pour les dénoncer quand les Allemands ne les connaissent pas eux-mêmes. Et s'ils trouvent quelqu'un, malheur à tous !

Aussi, après une longue et difficile réunion où les divers points de vue sont discutés, il est décidé que le C.D.L., dont les membres sont très marqués, ainsi que le préfet, connu des Allemands, se retireront dans le sud du département, vers Aigurande.

Mais, pour maintenir la pérennité des pouvoirs publics, chacune des autorités en place laissera sur place un représentant. Le C.L.L. sera représenté par M. Accolas [sic], le C.D.L. par M. Nadalon, dit « Nordin » (32), le gouvernement sera représenté par M. Brac, secrétaire général de la préfecture qui vient à peine d'arriver à Châteauroux et qui est volontaire pour rester à son poste (33).

M. Brac avait déjà fait preuve de cet esprit de sacrifice à Guéret, où deux mois auparavant, devant une colonne de répression, il avait réussi, par son calme et son courage, à sauver la population d'un massacre.

On fait appel à M. Blanchet, professeur au lycée, pour servir d'interprète : il vient se mettre immédiatement à la disposition de M. Brac.

Les Allemands

sont revenus !

Pendant que les premières mesures sont prises à Châteauroux, inexorablement les événements se précipitent. Des colonnes interminables sont signalées à Levroux ; elles sont dénombrées méthodiquement par un homme debout sur le seuil du bureau de poste, tandis que la téléphoniste transmet paisiblement les renseignements à Châteauroux. D'Ardentes, de Tournon-Saint-Martin, les mêmes renseignements parviennent.

Dans la matinée du 30, les renseignements continuent d'affluer de plus en plus inquiétants.

Les uns après les autres, les F.F.I. sont partis. Dans la ville désertée, le silence s'étend, tragique, et la sirène, lugubrement, mugit.

14 h 30 : Les premières voitures allemandes se hasardent dans les rues de la ville. Derrière les volets, les gens, gorge sèche, risquent un coup d'oeil.

Le premier contact a lieu à la mairie. Un officier, mitraillette en mains, réclame le rassemblement immédiat des hommes de 16 à 60 ans.

Première angoisse. M. Brac, accompagné de son interprète, M. Blanchet, se rend place de la mairie dans la voiture officielle du préfet.

Entretien pénible et dangereux. Le général allemand réclame le préfet. M. Brac déclare l'ignorer et être le seul représentant investi par le gouvernement.

« Châteauroux ! Une ville de terroristes ! » vocifère le général allemand.

M. Brac répond en prenant l'engagement formel qu'aucune embuscade ne sera tendue aux troupes allemandes dans le périmètre urbain.

Finalement, le général allemand promet de ne pas exercer de représailles sur la ville, et même de ne pas réquisitionner la voiture du préfet.

Première victoire !...

(à suivre)

o Article « Il y a un an... "Il fera plus beau vers 16 heures." Il suffit à la R.A.F. de ce court message pour pilonner l'Allemand sur les routes d'Argenton, de Subtray et d'Issoudun » paru dans La Marseillaise du Berry, 3 septembre 1945.

Et la vie

continue

Et les troupes, sans arrêt, continuent d'entrer dans la ville. À chaque instant, on vient voir M. Brac à la préfecture, car les Allemands réclament partout des voitures, et surtout de l'essence.

La ville complètement paralysée continue à vivre malgré tout.

M. Vincens, l'économe du lycée, s'occupe du ravitaillement. On va collecter le lait à Saint-Maur, car il faut penser aux petits. On va chercher du bétail à la campagne, à pied. On rétablit les tickets pour le pain, car les stocks de farine sont minces. On en possède quelque peu à Neuvy-Pailloux. Mais il faut aller la chercher.

Tandis que les Castelroussins s'habituent à ce nouveau voisinage et reprennent leurs occupations, des incidents éclatent aux quatre coins de la ville.

Le 1er septembre, les Allemands pénètrent à l'hôpital Bertrand et veulent fusiller tout le monde. Il faut une seconde intervention courageuse de M. Brac pour fléchir les officiers grossiers, exacerbés par la défaite.

Une nuit, c'est l'imprimerie de La Marseillaise qui saute. Une autre fois, c'est l'ancien immeuble de la Milice qui brûle. À chaque fois, il faut des prodiges de courage et de volonté pour éviter que la rage de destruction des Boches ne s'étende à toute la ville.

Ce sont de véritables armées qui traversent maintenant Châteauroux. Et chaque fois, ce sont de nouvelles exigences, de nouvelles demandes d'essence. Et chaque fois, il faut parlementer et discuter. M. Brac doit faire preuve d'une tenacité inlassable pour faire accepter à chaque nouvelle unité les dispositions prises par celle qui l'a précédée. Et les jours lentement s'écoulent dans cette atmosphère d'orage et d'angoise où la ville, à chaque instant, est menacée des horreurs d'Oradour.

Mais tout le monde tient, tout le monde espère que ce sera la dernière épreuve. Plus elle sera dure, plus la fin en sera belle.

Toujours

en liaison

Car, malgré les pillages, les incendies, les meurtres sauvages - comme celui de M. Agenet, abattu férocement dans un escalier - que l'on supporte en silence, mais la rage au coeur, les nouvelles sont bonnes ; on sait que tous ceux qui passent chez nous sont pris dans la souricière et qu'ils ne pourront aller bien loin ; on sait que dès qu'ils sortent de la ville, ils tombent sur les vaillants F.F.I. qui les harcèlent sans trêve ni repos. La liaison a été constamment maintenue avec le préfet replié à Orsennes, les F.F.I. et le C.D.L. On leur décrit succintement la situation de Châteauroux, on les rassure.

Le 8 septembre même, la transmission de ce petit message, « Il fera plus beau vers 16 heures », permettra d'attirer les foudres de la R.A.F. sur les colonnes du général Elster en marche sur les routes d'Argenton, de Subtray et d'Issoudun.

C'est cette liaison, constamment maintenue, qui renforcera le courage de M. Brac et de ses collaborateurs, en leur apportant des nouvelles réconfortantes sur la situation des Allemands.

Et M. Brac, qui a entrepris les premières négociations pour la reddition des troupes du général Elster, envisage de faire recevoir la capitulation des Allemands par le préfet. Mais les troupes poursuivent leur route, et ce n'est qu'à Châteauneuf-sur-Cher que les négociations aboutiront.

La fin

d'un cauchemar

Le 10 septembre, au matin, les derniers convois ennemis s'éloignent de la ville.

Tandis que les jeunes surveillent une dernière fois les carrefours, la voiture de la préfecture démarre et fonce. Car il faut que l'administration, le C.D.L. et les F.F.I. rentrent immédiatement à Châteauroux. C'est elle qui va aller leur porter le message de délivrance et ramener le préfet.

Et, bientôt, Châteauroux revoit ses maquisards ; Châteauroux, qui a traversé sans trop souffrir ses journées terribles, grâce à l'abnégation d'un résistant de la première heure, grâce au courage tranquille de M. Brac.

DOCUMENT V

La mise au point des résistants sur l'explosion survenue dans la caserne Bordessoulle
En 1946, la rumeur d'une imprudence commise par les maquisards à la caserne Bordessoulle perdure à Châteauroux et dans le reste du département. L'hebdomadaire Le Bazouka fait paraître une mise au point : c'est l'article « Deuxième anniversaire de la tragique explosion de Bordessoulle » paru dans Le Bazouka, n° 102, samedi 14 septembre 1946. Plus de cinquante ans après, des témoins directs de l'explosion - souvent blessés à cette occasion - demeurent formels sur les origines criminelles de la tragédie et sont scandalisés par la version de l'imprudence.

Le 9 septembre 1944, le 2e bataillon du Groupe Indre-Est, sous les ordres du commandant Dupleix, entrait pour la première fois à Châteauroux et de nuit commençait à occuper les casernes Ruby et Bordessoulle.

Les hommes, harassés de fatigue, dormaient encore pour la plupart lorsque le dimanche matin 10 septembre, vers 9 heures, une forte explosion retentit. Les Boches, n'ayant pu prendre de face cette armée de volontaires, avaient lâchement miné une caserne. Un grand corps de bâtiment de Bordessoulle s'écrasait dans un bruit assourdissant.

Les secours furent organisés aussitôt. Une section du 2e bataillon, les pompiers, la Croix-Rouge, le service médical du corps des volontaires civils, s'employèrent fièvreusement à dégager les victimes.

Des décombres fumants, ils retirèrent onze morts et trente blessés. Ce n'est que le mercredi suivant que le dernier corps, celui de Lamy André, fut retrouvé.

Il y a deux ans déjà et la lumière sur ce fatal accident n'a pas été faite. Les morts sont oubliés, les blessés, horriblement brûlés et mutilés, ont toutes les peines du monde à faire reconnaître leurs droits à une pension et depuis qu'ils sont sortis des hôpitaux, traînent une existence misérable et désabusée. En plus, ne doivent-ils pas journellement s'entendre dire que l'explosion tragique n'est due qu'à leur imprudence et que c'est leur faute s'il leur est arrivé malheur.

Voici la lettre que nous écrit l'un d'entre eux : G. Simon, de Mers-sur-Indre.

« Comme moi, vous avez sans doute perçu des bruits de toutes sortes provenant de toutes les bouches, mais tous sans fondement sérieux. Voici ce que je puis dire de l'accident, en tant que témoin oculaire :

Nous rentrions en caserne le 10 septembre 1944, vers 2 heures du matin, et nous nous installions un peu partout, ignorant tout danger qui pouvait en résulter. Subitement, vers 9 heures du matin, j'ai entendu un bruit analogue à l'explosion d'un détonateur et j'ai vu une flamme se dirigeant vers des sacs de poudre qui étaient à proximité. Ce fut la catastrophe. Je puis affirmer et tous les camarades blessés l'affirmeront comme moi, que personne ne fumait, en dépit des bruits diffusés par des ennemis de la résistance.

D'autre part, aucun des blessés ne fut questionné sur les circonstances de l'accident et l'enquête ne put donner aucun résultat.

Il me semble qu'après deux ans, il serait convenable de mettre les choses au point, à seule fin que toutes les fausses rumeurs soient dispersées.

Je demande à tous les blessés de Bordessoulle de faire connaître leur adresse à la fédération des maquisards à Châteauroux.

Simon, vice-président de la section de Mers-sur-Indre. »