Les mémoires de Georges Pirot |
Notes de Jean-Louis Laubry |
Le maquis de Jeu-les-Bois Quelques jours après, ce fut le débarquement tant attendu. Avec les armes et l'équipement que nous avions récupérés au parachutage, des mitraillettes, des fusils mitrailleurs, des revolvers et des munitions, nous pûmes armer une soixantaine de gars qui se trouvaient à la ferme des Jodons le soir du 6 Juin, en grande partie des gars de l'usine Bloch. Nous partîmes le lendemain soir, pour un cantonnement que j'avais été chargé de trou ver. En cours de route, sous la conduite de Jeannot, quelques pylônes à haute tension furent plastiqués. Dès notre arrivée aux Buttes de l'Âge, les uns sous les marabouts en plein bois, les autres autour d'un cabanon en bordure d'un étang à sec, il fallut s'occuper du ravitaillement sans trop se faire remarquer et récupérer du matériel de transport. Je suis rentré en contact avec les gendarmes d'Ardentes et ils devaient nous fournir des renseignements sur les déplacements des unités allemandes, dans la mesure de leurs possibilités. Nous nous mîmes d'accord avec deux pour faire un semblant d'attaque de la gendarmerie en vue de récupérer leurs armes. En même temps, nous avions pris contact avec le maquis de l'A.S. qui se trouvait au Seuil, près de Mers, pour préparer des sabotages en commun. C'est avec eux que nous devions attaquer la gendarmerie d'Ardentes. Avec Chéry, nous avions donc été les avertir le matin, et en revenant nous eûmes une panne, ce qui fit que les gars du maquis de Robert Vollet (65) et de Duplaix (66), ex-gendarme de Neuvy-Saint-Sépulchre, attaquèrent la gendarmerie d'Ardentes sans nous. Néanmoins, ils acceptèrent de nous donner une partie du matériel. Nous avions déjà une équipe sous la direc tion de Jeannot qui avait fait sauter le Pont du Gué de Venet souvent emprunté par les Allemands se rendant d'Éguzon à Châteauroux. Le 11 juin, j'avais reçu l'ordre d'aller arrêter un soi-disant collaborateur notoire à Orsennes. J'avais rassemblé quelques gars bien décidés et, tous armés de carabines plus un fusil-mitrailleur, nous partîmes vers Orsennes. Le plus court chemin était de passer par Cluis, mais, pour plus de sécurité, j'ai décidé de prendre les petites routes, c'est-à-dire par Bouesse, Maillet et Hallé. Bien nous en prit, car à Cluis, il y avait un détachement d'Allemands cantonné sur le champ de foire. Notre arrivée à Orsennes fut assez sensationnelle et discrète. Bartho, un Polonais, était en position avec son fusil-mitrailleur en plein carrefour de la place d'Orsennes. Je partis avec Barbaran au domicile de l'individu, mais, malgré une perquisition, nous fûmes obligés de constater qu'il avait mis les voiles ! De retour aux Buttes, je reçus un autre ordre, de perquisitionner une ferme de la commune de Mâron, pour y récupérer de l'essence. Mais là encore, pas de veine, le fameux dépôt d'essence qui nous avait été signalé était tout simplement du fuel. Nous rentrâmes dans la nuit, et dans tous ces va-et-vient, par l'intermédiaire d'un res ponsable, Roland Lamousse, un certain nombre de gars avaient quitté le cantonnement pour une maison inhabitée dans le village des Laboureaux. C'est donc là que nous arrivâmes le soir du 11. Dans cet intervalle, un contingent de jeunes venant de La Châtre, avec Yoyo (aujourd'hui Mme Rapoport (67)), était arrivé à notre maquis, avec Gilbert Le Forain, rejoint par la suite de Paul Schissenger l'alsacien, René Bellet et quelques autres dont je m'excuse de ne donner tous les noms. N'étant pas responsable militaire, j'ignorais comment les sentinelles étaient placées. Cela avait une grande importance, car le lendemain, le maquis fut attaqué par un fort contingent de deux mille Allemands environ ! Je venais de faire ma toilette quand j'entendis un premier coup de carabine. Je ne pensais pas à une attaque imminente, mais après une rafale de mitrailleuse et des explosions de grenade, je compris et pris un revolver, ayant donné ma carabine à un jeune qui se plaignait de n'avoir pas d'armes. Je sortis donc sur le chemin donnant derrière la maison où nous campions. Je me suis trouvé devant deux grands Allemands armés de mitraillettes. Comme j'étais arrivé en courant, je les avais surpris et j'ai tiré sur eux à moins de cin quante mètres. Je crus en toucher un, et aussitôt ils se jetèrent dans le fossé, ignorant s'il y avait quelqu'un derrière. Mon revolver s'étant enrayé, je fis demi-tour en vitesse en appelant les gars de façon à se rassembler le plus vite possible et réagir rapidement. Le camarade Duhout tirait au jugé à travers les buissons et je me permis de lui dire de ménager ses cartouches. Au moment où j'ai sauté dans le chemin, Duhout fut touché mortellement. Bartho me rejoignit ainsi que Blanco, un Espagnol, et Camille (68) qui participa à la Résistance dans l'Indre dans à peu près tous les secteurs (lieutenant Camille, Madeleine Dumez). J'ignorais qu'il y avait des gars couchés dans les greniers qui n'avaient pas eu le temps de se débiner ; plusieurs furent prisonniers. Aussitôt sur le chemin où un buisson nous empêchait d'être vus, je dis à Bartho de mettre son fusil-mitrailleur en batterie, mais il me dit qu'il n'avait qu'un chargeur et que les autres étaient restés sur la table. Apercevant Chéry dans la cour, je lui ai crié d'essayer de récupérer le sac de chargeurs, mais il fut intercepté par les Allemands et fait prisonnier. Il réussit néanmoins par la suite à leur fausser compagnie en forêt de Châteauroux. N'ayant qu'un seul chargeur, je jugeai utile de le garder en réserve pour le moment, et avec les quelques camarades, nous gagnâmes la forêt en traversant la route de la Feuge. Parce que j'avais aperçu des mitrailleuses allemandes qui tiraient à une certaine hauteur, je fis traverser tous les gars à quatre pattes et, une fois en forêt, nous contournâmes Jeu-les-Bois pour essayer de rejoindre les rescapés de la bagarre. La première victime de la journée fut Rousselet qui, étant de sentinelle au coin de la route menant à la maison, tira sur le premier camion d'Allemands et lâcha sûrement une grenade. Au début de l'attaque, nos camarades cantonnés aux Buttes envoyèrent Jeannot avertir le maquis de Robert Vollet (qui se trouvait au Château du Magnet) pour venir à la rescousse. Alors, les deux équipes se déployèrent face au carrefour des Laboureaux et avec les bazookas firent de nombreux tués parmi les Allemands. Malheureusement, de notre côté, dix-neuf maquisards furent tués sur place et d'autres prisonniers et fusillés par la suite. [...] Chez les Allemands, il a été difficile d'évaluer les pertes, car les tués étaient enlevés au fur et à mesure, mais le chiffre d'une quarantaine est certainement près de la réalité. La bagarre avait duré plusieurs heures, mais devant le nombre important des Allemands, les maquisards des deux camps avaient bien été obligés de décrocher. Quant à nous qui avions gagné la forêt avec Camille, Barbaran, Bartho, Blanco, Marius, Spada et Manuel, nous étions un peu surpris de s'en être sortis ainsi. Si les Allemands avaient bien connu les lieux, ils auraient pu nous encercler et nous aurions eu du mal à nous en sortir. Heureusement que nous avions agi vite ! Nous décidâmes d'essayer de rallier nos autres camarades de l'A.S. et des F.T.P. En cours de route, ayant camouflé l'équipe, je suis allé chez un ami, un paysan du coin, pour nous ravitailler. J'en ai profité pour faire dire à ma femme que nous nous en étions sortis. Roland Lamousse, qui était chez moi, avait entendu la bagarre et était très inquiet. Nous rejoignîmes la vallée de l'Indre que nous traversâmes, culottes retroussées, pour savoir si les maquis étaient restés dans les environs. J'ai laissé mes camarades au bord de l'Indre et suis allé chercher des renseignements auprès d'un garde du Magnet que je connaissais. J'appris qu'ils étaient partis vers La Châtre. Toute la journée du 12, des avions avaient rodé dans la région pour essayer de repérer les maquisards. Arrivé à Mers avec les quelques camarades que je vous ai cités plus haut, je les ai laissés dans une prairie près du bourg et suis allé chez les camarades Barrois que je connaissais bien et qui me procurèrent du ravitaillement pour notre petit groupe. Je partis avec un copain de Neuvy-Saint-Sépulchre essayer de reprendre la liaison. À Neuvy, j'ai retrouvé Maurice Desfougères (69) qui, presque par miracle, avait échappé aux Allemands en se camouflant sous une porte de grange, mais comme les Allemands avaient mis le feu au bâtiment, il faillit y être grillé. D'ailleurs, il avait les sourcils tout grillés ; il avait eu chaud mais après le départ des Allemands, il s'en était tout de même sorti. À Neuvy, j'appris que les maquis F.T.P. et A.S. étaient regroupés au Virolant près de Briantes. Je m'y rendis et, avec un camion, nous sommes venus chercher mes camarades que j'avais laissés à Mers. Quelle satisfaction pour tous ceux qui se retrouvèrent car il y avait, comme je l'ai dit plus haut, beaucoup de manquants. Quant à l'attaque de Jeu, une enquête nous apprit que c'était par une dénonciation que nous avions été attaqués. Un nommé Joly fut arrêté parce que soupçonné et après certaines preuves, il fut condamné à plusieurs années d'emprisonnement, mais il en sortit au bout de deux ans et mourut juste après. Ce Joly était un drôle de loustic ! Il jouait sur les deux tableaux. Il était entré en relation avec Roland Lamousse dans des circonstances que j'ai toujours ignorées. Toujours est-il qu'il s'était vanté de pouvoir nous donner des renseignements sur les déplacements des Allemands, étant en contact avec certains éléments de la Milice qui, d'après lui, ignoraient qu'il aurait été avec nous. D'ailleurs, le jour de l'attaque de Jeu, il avait proposé de nous faire arrêter un docteur de Châteauroux qui collaborait avec les Allemands. Nous avions désigné un jeune maquisard de Châteauroux pour surveiller le domicile du docteur, le matin du 12 juin. Joly devait pénétrer dans l'immeuble et si, au bout de cinq minutes, il n'était pas ressorti, notre jeune camarade devait sauter sur un vélo et venir nous avertir derrière l'hôpital où nous devions nous trouver à deux ou trois, avec une traction pour arrêter cet homme. Au moment de l'attaque, le jeune homme prit peur et ne revint pas au maquis. Joly était également en relation avec une personnalité de Jeu, un réfugié que j'avais soupçonné de nous avoir dénoncé au moment où la Gestapo avait perquisitionné les Jodons. Mais, faute de preuves, il ne fut pas inquiété. C'était un drôle de bonhomme, lui aussi. Il avait réussi à procurer des fausses cartes d'identité à quelques jeunes. Il avait essayé de prendre contact avec moi, mais sans résultat car je m'en méfiais beaucoup trop, surtout quand j'ai eu connaissance de ses relations avec Joly (70). C'était une période où la vigilance était de rigueur et, hélas, beaucoup de camarades ont payé pour l'avoir oubliée. Nous reçûmes ordre de gagner Dampierre au maquis F.T.P. où Soulié (Esmelin (71)) était le responsable. Nous avions un certain nombre de prisonniers allemands qui avaient été pris lors d'une attaque d'un train en gare d'Argenton. Ils étaient parqués au moulin Garat sur les bords de la Gargilesse. Nous étions environ quatre-vingt-dix, dont une cinquantaine venait du maquis de Jeu. C'est à Dampierre que nous nous trouvâmes avec quelques responsables, dont Lemaître (72) que je connaissais déjà, ex-instituteur au Poiron, commune de Montchevrier, ainsi que le doyen, le camarade Bret (73), Fauguet, cultivateur à Orsennes, Duris (74), maçon à la Jarrige, Vallaud (75) du barrage d'Éguzon, Genestet (76), Pierre Sabroux (77) et son cousin Duchâteau, Arthur Pion et son frère Arthème, le russe Sintchenko (78) du barrage d'Éguzon, Dubranle (79) de Celon. Je m'excuse de ne pas pouvoir citer tous les noms. Sous les ordres d'un état-major important composé du lieutenant-colonel Roland Despains, des commandants Gillet, Esmelin, des capitaines Desfougères, Mers (80), Ferret (81), du lieutenant Carré (82), des agents de liaison Yolande Gerbaud (Yoyo) et Françoise, sa copine parisienne (toutes les deux furent décorées de la Croix de la Résistance à Limoges, elles l'avaient bien méritée). Nous étions en contact permanent avec les groupes F.T.P. de tout le secteur. Il y avait plusieurs groupes de saboteurs de Bazaiges, de Celon avec Dubranle et Pion, Vallaud et Genestet, Rabier (83) et un groupe de cheminots d'Argenton. Nous avions un peu partout des camarades restés dans la légalité ; mis en liaison avec la Résistance, ils nous fournirent souvent de précieux renseignements. À Arthon, nous avions un camarade, Barrault, secrétaire de mairie, qui était en contact avec la Résistance. C'est ainsi qu'un jour j'appris qu'à Arthon deux maquisards s'étaient emparés de deux chevaux de selle chez De Fougères et s'étaient habillés en tenue anglaise. Ils se baladaient dans la région et passaient leur temps dans les restaurants et les cafés, et se permettaient de régler l'addition avec des bouts de papier au nom de la Résistance. Au moment où je l'appris par ma femme, qui m'avait fait parvenir les renseignements qui lui avaient été fournis par nos camarades d'Arthon, je me trouvais à Orsennes où je venais d'arriver en vélo de La Châtre. Je repartis donc aussitôt chez moi pour avoir de plus solides informations. En arrivant au pont de Buxières d'Aillac, je fus arrêté par une sentinelle, mais n'ayant pas le mot de passe - je l'appris par la suite il était du groupe à Printet qui avait établi son poste à Buxières - j'eus beau dire au gars de m'emmener m'expliquer avec ses chefs, il ne voulut rien savoir et je fus obligé de retourner passer l'Auzon un peu plus haut, avec mon vélo sur le dos ! Ayant obtenu chez moi les renseignements concernant les deux acrobates, j'appris en effet qu'ils étaient au moulin de la Roche près d'Arthon. Comme ils étaient déserteurs du maquis à Gouliard (84), il nous avait demandé de lui laisser le privilège de les arrêter. C'est pour cette raison que je repartis pour Cluis, toujours à vélo, pour l'avertir où se trouvaient ses deux loustics. Arrivé à Cluis vers quatre heures, j'appris que Gouliard venait de rentrer avec une équipe de saboteurs ; en effet, ils avaient saboté le tunnel de Châtenet. Je réussis néanmoins à le trouver et il partit de suite cueillir ses deux déserteurs qui étaient encore couchés, paraît-il, au moulin de la Roche. Sans l'intervention de leurs parents qui apitoyèrent un peu l'équipe de Gouliard, ils auraient certainement été punis très sévèrement. Finalement, ils s'en tirèrent après avoir fait un peu de prison ; cela aura peut-être suffi à leur faire comprendre que la Résistance, ce n'était pas une partie de plaisir... Un jour, j'étais de passage chez Barrault, le secrétaire de mairie d'Arthon, et au moment où l'on discutait tranquillement, retentirent des coups de feu. Son fils entra en courant et nous dit : « C'est les Boches qui viennent d'arrêter un nommé Bernard, je crois. » C'était un juif réfugié qui avait essayé de se sauver à la vue des Allemands. Je reconnus les deux boches qui avaient perquisitionné chez moi. La femme de Barrault, que cela avait impressionnée, m'avait prié de foutre le camp croyant que j'allais les faire fusiller eux aussi ! J'essayai de la calmer et je sortis. J'étais obligé de passer devant les Allemands ; j'avais un revolver chargé dans ma poche, et j'aurais pu assez facilement les descendre tous les deux. Mais, en plein bourg où tout le monde me connaissait, il y aurait eu des représailles tant pour les habitants d'Arthon que pour ma famille qui n'était qu'à quelques kilomètres de là. Je ne pouvais pas le faire, et je le regrettai bien. J'étais le responsable aux effectifs, et je devais visiter les cantonnements des groupes F.T.P. répartis dans le sud du département, dans un secteur partant de Pruniers, La Châtre, Cluis, Eguzon, puis Argenton où il y avait un bataillon dans les environs de Chabenet commandé par le camarade Paul Demay (85), Saint-Benoît-du-Sault avec Piette (86), Tito (Lathière) (87) et Pichon (88), Le Blanc avec Guy Lebon (89) et d'autres responsables dont je ne me souviens plus des noms. Tous ces divers groupements F.T.P. ont fait un travail énorme et sans arrêt accrochèrent les Allemands dans tout ce secteur où il y eut de nombreux tués de part et d'autre. Le sabotage des lignes à haute tension se poursuivit, depuis octobre 42 où Chauvat avait fait sauter les trois premiers pylônes à Orsennes. Toute l'année 43, du nord au sud de l'Indre et cela continua jusqu'en 44. Je me souviens qu'à l'époque un agent anglais avait proposé à Peyrat de faire sauter le barrage d'Eguzon, ce que nous avions refusé, mais c'est de là qu'ils envoyèrent néanmoins du matériel pour saboter les transformateurs du barrage. Il y avait quelque deux cent cinquante Allemands au barrage, et le maquis F.T.P. avec le lieutenant-colonel Despains, décidé à sauver le barrage d'Éguzon, tout en prenant des dispositions pour surveiller les Allemands et éviter leur remplacement. Il y eut un sérieux accrochage avec les Allemands près du carrefour des routes de Montchevrier-Orsennes. Les Boches passant en camions furent mitraillés. Il n'en restait plus que des plumes. Oui, en effet, car ils avaient des matelas en plume pour se garantir des balles. Nos maquisards se retirèrent indemnes. Combien d'Allemands furent atteints ? Plusieurs, certainement. Bien sûr, je n'ai pas du tout idée de reprendre tous les actes de bravoure pendant la Résistance qui furent menés à bien par tous nos maquisards F.T.P. et A.S. qui travaillaient souvent ensemble sous les ordres d'une partie des responsables dont j'ai cité les noms plus haut. [...] Pour en revenir à Dampierre où je me trouvais le 24 juillet, nous fûmes avertis que des soldats allemands de la division « Das Reich » faisaient route vers le sud de l'Indre, et nous avions reçu l'ordre de disperser les gars et d'évacuer Dampierre. Pour ma part, je n'ai jamais bien compris qui avait réellement donné cet ordre de dispersion. De ce fait, plusieurs camarades partirent, pourrait-on dire, en permission. C'était en pleine saison des moissons et ma femme se trouvait seule avec deux de mes enfants, l'un de dix-sept ans, et l'autre de quinze ans. Je suis donc parti le 27 avec deux camarades de Déols qui m'accompagnèrent, Maurice Desfougères et son frère, puis ils repartirent le soir même, après avoir remué des gerbes toute la journée. Quant à moi, j'avais décidé de repartir le lendemain matin de bonne heure. Je repartis donc à vélo rejoindre le maquis de Dampierre. En passant à Bouesse où je pris avec moi Christiane Ferret, une de nos agents de liaison et dont le père, le capitaine Ferret, venait d'être fusillé par les Allemands, ce que nous ignorions à ce moment-là. Avant d'arriver à Malicornay, j'appris que le maquis de Dampierre avait été attaqué la veille à Château-Gaillard. De ce fait, j'ai prié Christiane de regagner Bouesse et d'attendre les instructions. Ensuite, entendant une voiture qui venait de Malicornay et me méfiant, je fis semblant de réparer mon vélo. En plus, j'étais vêtu en vrai paysan, pantalon velours et gilet noir, et les deux types qui étaient dans la voiture roulaient doucement en regardant de chaque côté, mais ne s'arrêtèrent pas. C'était à mon avis sans aucun doute des Allemands. J'avais bien deux revolvers dans mes bagages, mais il m'était assez difficile de pouvoir les prendre illico ce que je regrettai à nouveau. La veille de l'attaque, nos camarades avaient décidé de transférer l'état-major à Château-Gaillard, mais, renseignés par des miliciens qui connaissaient le coin, les Allemands apprirent ainsi que des maquisards étaient à la ferme de Château-Gaillard. Ils n'eurent aucune peine à cerner la ferme, nos camarades n'ayant pas pris la précaution de placer des sentinelles. Aucune résistance ne fut possible. Les hommes étaient mis debout devant une mare de la cour, les mains sur la nuque et surveillés par des fusils-mitrailleurs en batterie. Puis arrivèrent deux autos mitrailleuses commandées par des officiers qui criblèrent de balles tous les hommes qui s'effondrèrent dans la mare. À Dampierre étaient restés deux camarades responsables des transports et qui avaient des camions garés dans un petit chemin près du bourg ; les Allemands ne les trouvèrent donc pas. Quand ils apprirent que les Boches étaient partis attaquer Château-Gaillard, ils s'en allè rent par les chemins du Moulin Garat pour couper au plus court et rejoindre leurs camarades. Roger Duris et Vincent Czali se firent mitraillés quand ils débouchèrent sur le plateau. Il y eut onze morts du maquis et un fermier, Duchéron (90). [...] Les prisonniers allemands détenus au moulin de Garat furent donc libérés, et comme ils connaissaient une partie des maquisards, cela nous incita à être très vigilants. Parmi les prisonniers, il y avait des membres des S.S. qui furent jugés par un tribunal de maquisards et fusillés. Les Boches, harcelés de partout, tant par les troupes F.F.I. du débarquement que par les maquis, se repliaient en vitesse mais non sans causer encore beaucoup de dégâts partout où ils passaient, même après que les maquisards réussirent à libérer certaines villes, dont Argenton fut une des premières, mais dont la joie fut freinée par les soixante-sept tués du 9 juin. Châteauroux, qui s'était cru libérée le 19 août, devait être réoccupée le 30 août par des divisions revenant des côtes de l'Atlantique, où il y avait un fort contingent d'Hindous qui pillèrent et violèrent les femmes tout au long de leur passage. C'est donc à ce moment-là, fin août 1944, que déferlèrent en forêt de Châteauroux, du Poinçonnet et d'Ardentes un important détachement d'Hindous qui se hâtaient de remonter vers l'Allemagne, étant harcelés par tous les maquisards. Nos camarades avaient reçu l'ordre de les retarder le plus possible afin de pouvoir les empêcher de rejoindre à temps les troupes allemandes qui se trouvaient encore à l'Est. C'est ainsi que nos camarades, dans certains carrefours, avaient retourné les pancartes placées par les avant-gardes allemandes et indiquant aux troupes qui suivaient les directions à prendre. Ils ne savaient plus où aller, et il leur fallait un moment pour s'y retrouver. En passant au Poinçonnet, où ils commirent de nombreux viols, ils fusillèrent deux gendarmes près du cimetière du Poinçonnet, un maquisard sur la route de la Forge-de-l'Isle et, en pleine forêt, quatre autres maquisards au Rio de la Motte et sur la route d'Ardentes. Sans l'intervention d'un instituteur et d'un docteur qui connaissaient la langue allemande, il y en aurait eu une dizaine de plus à être menacés et probablement tués à la Seigneurie. Ce n'est que le 10 septembre que nous avons fêté à Châteauroux la Libération au cours d'un meeting où des délégués des maquisards vinrent de tous les coins du département. Étant à La Châtre au moment, je partis avec plusieurs camarades assister à ce rassemblement. Malheureusement, au même instant, il y eut encore de nombreuses victimes, par exemple à la caserne Bordessoule à la suite de l'explosion d'une bombe à retardement cachée dans un entrepôt de munitions. Cela fit onze tués. [...] Dans les mêmes jours, nous eûmes le regret de voir disparaître d'autres bons camarades : le capitaine Georges Dreyfus (91) à Neuillay-les-Bois, le lieutenant Georges Leclerc à Ambrault et le colonel Albert Gouliard quitrouva la mort sur la route d'Issoudun au moment où le général Elster (92) signait sa reddition à la sous-préfecture d'Issoudun. La Libération de l'Indre terminée, une grande majorité des maquisards continuèrent la lutte en s'engageant dans les unités chargées de poursuivre les Allemands jusqu'à la victoire définitive. Là encore, beaucoup payèrent de leur vie. |
(65) Robert Vollet, né vers 1921, journaliste après la guerre, membre du mouvement « Combat » (constitutif des Mouvements Unis de la Résistance ou M.U.R.), affecté à l'Armée Secrète (A.S.) et instruit comme cadre, arrive dans l'Indre en décembre 1943 à la tête de la mission Périclès chargée d'assurer l'entraînement et l'instruction militaire des membres de l'A.S. dans le département, vit dans la clandestinité et sillonne l'Indre d'octobre 1943 à juin 1944, lieutenant-colonel « Robert » commandant le G.I.E. (Groupe Indre-Est) durant l'été 1944, membre de l'État-Major départemental F.F.I. et du C.D.L., animateur du M.L.N. (Mouvement de Libération Nationale) dans l'Indre à la Libération, rédacteur en chef du Bazouka (1944-1947), président de la Résistance Unifiée de l'Indre et secrétaire national F.F.I.- A.S. en 1949, puis secrétaire national de l'A.N.A.C.R. (Association Nationale des Anciens-Combattants de la Résistance). (66) Gabriel Dupleix (ou Duplaix), gendarme à Neuvy-Saint-Sépulchre, commandant le 2e bataillon léger du Groupe Indre-Est (A.S. c'est-à-dire Armée Secrète). (67) Yolande Gerbault fait partie du groupe des lycéens du collège de La Châtre emmené par Jean Pacton qui rédige et distribue des tracts dès le début de 1942 dans leur ville, appartient avec François Brault aux Jeunesses Communistes de La Châtre en 1943, participe à l'organisation des F.U.J.P. (Forces Unies de la Jeunesse Patriotique) et des F.T.P. « légaux » de la cité castraise, accomplit à bicyclette avec son ami Françoise un rôle très important d'agent de liaison pour les maquis F.T.P., sous-lieutenant F.F.I. à la fin de la guerre. (68) Madeleine Dumez, secrétaire-adjointe du Front National de l'Indre en novembre 1943, partie prenante dans l'organisation du C.D.L. en mars 1944, prend le maquis le 6 juin 1944, participe au combat de Jeu-les-Bois et à des actions dans le sud en juin puis dans le nord de l'Indre à partir de juillet sous le nom de lieutenant « Camille ». (69) Maurice Desfougères, militant communiste, résistant F.T.P. qui rejoint le maquis de Jeu-les-Bois le 6 juin 1944. (70) Auguste Joly, né en 1902, originaire de Bretagne, habitant Châteauroux sous l'occupation, douanier suspendu en raison de plusieurs condamnations pour vol, agent double jugé par le Tribunal Militaire permanent de Châteauroux réuni en cours martiale le 23 octobre 1944, condamné à mort pour trahison et atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat, sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité puis réduite à 15 ans de travaux forcés, il obtient une remise de 5 ans de travaux forcés le 16 juillet 1951 puis sa libération conditionnelle par arrêté du 28 mars 1952. (71) Aimé Esmelin, né le 22 mars 1914 à Gannat dans l'Allier, instituteur déplacé par le Gouvernement de Vichy à Éguzon en 1942, militant communiste, prend rapidement contact avec Arthur Pion, Robert Duris et Marcel Peyrat, rédige des tracts, organise avec son équipe des sabotages à partir de 1943 notamment sur les pylones électriques, animateur du Front National à Éguzon, forme le maquis de Dampierre au moment du débarquement et prend le nom de Commandant « Soulié » dans les F.T.P., membre du C.D.L. et responsable de la commission d'épuration à la Libération, secrétaire-adjoint de la région communiste de l'Indre et délégué à la propagande en 1945, conseiller général du canton de Vatan (1945-1949). (72) Fernand Lemaître, né le 6 janvier 1913, instituteur déplacé d'office par le Gouvernement de Vichy de Saint-Genou à l'école du hameau du Poirond sur la commune de Montchevrier, militant communiste, rédige et imprime chez lui des tracts avec les frères Dugénit, capitaine F.T.P. et membre du C.D.L à la Libération. (73) Henri Bret, né le 14 mars 1881 à Montchevrier, artisan-charpentier au même lieu, militant socialiste puis communiste, rend avec sa famille de nombreux services au maquis F.T.P. de Dampierre en 1944, président du comité local de libération de Montchevrier en 1944, secrétaire de la section communiste d'Aigurande à la Libération et candidat communiste aux élections de septembre 1945 dans le canton d'Aigurande. (74) Robert Duris, né en 1900, maçon à La Jarrige, commune de Cuzion, responsable clandestin du parti communiste pour le canton d'Éguzon sous l'occupation, tire et distribue des tracts dans les villages environnants, participe à des sabotages pendant l'hiver 1943-1944 avec son camarade F.T.P. Sintchenko, rejoint le maquis à Dampierre en juin 1944. (75) Paul Vallaud (« Paulot »), ancien artificier, ouvrier au barrage d'Éguzon, fait exploser les deux transformateurs de la centrale électrique d'Eguzon le 31 décembre 1943 sur la demande d'Aimé Esmelin (« Soulié »), ce qui permet de mettre hors d'usage la centrale pendant trois mois et évite un bombardement de la R.A.F. dangereux pour la population civile et dommageable pour l'avenir économique de la région. (76) Jean Raymond Genestet, né le 20 mars 1901 à Saint-Astier en Dordogne, employé comme électricien à la S.N.C.F., militant communiste, arrêté et interné au début de la guerre, entre dans la résistance chez les F.T.P. à Éguzon, conseiller municipal de la même localité à la Libération et candidat communiste aux élections de septembre 1945 dans le canton d'Éguzon. (77) Pierre Sabroux de Dampierre, membre de l'État-Major F.T.P. Indre-Sud pendant l'été 1944. (78) Georges Alexandre Sintchenko, né en 1923, électricien au barrage d'Éguzon, prend le maquis à Dampierre en juin 1944 chez les F.T.P., conseiller municipal de Cuzion à la Libération. (79) Robert Dubranle, né en 1909, habitant de Bazaiges, musicien, militant communiste, distribue des tracts dès 1941, devient capitaine des maquisards « légaux » de Bazaiges-Celon dont la spécialité à partir de 1943 est le sabotage des voies ferrées, réceptionne des parachutages en 1944 et participe au sabotage de plusieurs ponts durant l'été 1944, conseiller municipal de Bazaiges à la Libération. (80) Emile Mer, capitaine F.T.P. tué le 27 juillet 1944 à la ferme Château-Gaillard lors de l'attaque du maquis de Dampierre par la Wehrmacht et les miliciens. (81) Henri Ferret, capitaine F.T.P., tué le même jour au même lieu. (82) Jean-Louis Carré, lieutenant F.T.P., tué le même jour au même lieu. (83) Étienne Rabier, employé S.N.C.F. à Argenton, maquisard F.T.P. spécialisé dans le sabotage avec son groupe de cheminots, prend le maquis de Dampierre au moment du débarquement, est affecté comme instructeur au maquis de Guy Lebon (région du Blanc), arrêté à la fin du mois de juillet 1944 avec Georges Machelidon, torturé et mort en déportation. (84) Albert Gouliard de Cluis, responsable à partir de mars 1944 du sous-secteur A.S. de Cluis, lieutenant commandant la 9e compagnie du Groupe Indre-Est, tué au combat le 10 septembre 1944 à Mareuil. (85) Paul Demay, ouvrier parisien réfugié dans l'Indre, auteur de sabotages notamment sur les voies ferrées en 1944, lieutenant F.T.P. responsable du maquis de Chabenet pendant l'été 1944 (86) Charles Piette, né en 1912, prisonnier de guerre évadé, chef de district du ravitaillement général à Saint-Benoît-du-Sault à la fin de l'Occupation, l'un des fondateurs de la résistance F.T.P. dans cette région, responsable politique du maquis de Saint-Benoît, président du Comité Local de Libération de Saint-Benoît-du-Sault, directeur départemental du Ravitaillement Général à partir de l'automne 1944 jusqu'en 1946 où le préfet de l'Indre Roger Gazier obtient sa mutation dans l'Aisne ; ce déplacement provoque « l'affaire Piette » qui enflamme la presse locale durant l'été 1946. (87) Henri Lathière, né en 1902, sous-officier de réserve, habite Mouhet sous l'occupation, responsable militaire du maquis F.T.P. de Saint-Benoît-du-Sault en 1944 sous le nom de Commandant « Tito ». (88) Pichon, responsable aux effectifs dans le maquis F.T.P. de Saint-Benoît-du-Sault en 1944. (89) Guy Lebon, né vers 1909, syndicaliste, homme de caractère, chef d'atelier dans le garage Renault du Blanc en 1940, appartient en 1941 au groupe formé par Paul Mirguet (futur « Surcouf » commandant des F.F.I. de l'Indre) où il est chargé du matériel sous le pseudonyme de « Guy », commence par des sabotages, constitue des sizaines au sein de l'A.S. (Armée Secrète) en prévision de l'insurrection, échappe par miracle à l'arrestation le 1er juin 1944 grâce à ces qualités de conducteur, organise et commande au moment du débarquement un important maquis dans la région du Blanc et de Belâbre, démontre un caractère indépendant et passe de l'A.S. au F.T.P. à la mi-juillet, réussit à capturer une quarantaine de soldats de la Wehrmacht le 12 août, assure la défense de la ville du Blanc à la fin du mois d'août en présence de Pierre Lefranc (futur préfet de l'Indre) et Marc Savigny, officiers F.F.L. parachutés ; son groupe forme au début de septembre 1944 le 4e bataillon F.T.P. (90) Le Hongrois Vincent Czali et le jeune Roger Duris (fils de Robert Duris de Cuzion), tous les deux maquisards F.T.P, sont tués au Moulin Garat ; le fermier Lucien Déchéron habitant la Mothe est brutalisé et défiguré avant d'être fusillé au coin d'un bois. (91) Georges (« Jojo ») Dreyfus, ingénieur, ancien des Brigades Internationales en Espagne, employé de bureau à l'U.G.I.F. (Union Générale des Israélites de France, organisme créé par Vichy) de Châteauroux, participe au sauvetage d'enfants juifs, secrétaire du Front National dans l'Indre, arrêté par la police française à la fin de 1943, détenu à Châteauroux puis à Limoges, libéré au début de 1944, entre dans la clandestinité, participe sous le nom de « lieutenant Paul » aux combats de la Libération, capitaine F.T.P., est tué le 30 août 1944 à Neuillay-les-Bois. Sa femme, Georgette Guéguen-Dreyfus est l'auteur de deux précieux volumes sur la résistance (voir bibliographie). (92) Le « groupement de marche Sud » commandée par le général Elster était la dernière des colonnes allemandes qui, venues du Sud-Ouest de la France, traversaient le Berry pour tenter de rejoindre l'Allemagne par la porte de Belfort à la fin du mois d'août et au début de septembre 1944. À cette période, l'étau se resserre sur l'armée allemande : au nord de la Loire, les forces alliées poursuivent leur avance vers l'Alsace alors que les troupes débarquées en Provence remontent la vallée du Rhône. Les 20 000 hommes de la colonne Elster doivent supporter les embuscades tendues par les maquisards et sont harcelés par les bombardements de l'aviation anglo-américaine : le 10 septembre 1944, le général Elster est contraint de signer le protocole de capitulation à la sous-préfecture d'Issoudun. |
Sommaire des mémoires de Georges Pirot
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