Sommaire des mémoires de Georges Pirot
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Les mémoires de Georges Pirot |
Notes de Jean-Louis Laubry |
Les parachutages Je précise également que Roland Despains devait plus tard devenir le colonel Roland. Ils étaient donc venus chercher un terrain approprié pour faire un parachutage. Briant qui était un des premiers organisateurs de la résistance dans l'Indre m'avait envoyé deux jeunes garçons de la région de Chabris, Jean Bizeau (57) et Georges Bray (58), qui, avec un poste anglais, étaient chargés d'enregistrer les indications prévues pour le parachutage. L'un des messages était : « Ce soir, le coiffeur du coin rasera gratis. » Les deux autres, je ne m'en souviens plus. Ce n'est qu'à la troisième alerte que nous eûmes notre parachutage. Le premier avion avait, à notre connaissance, été intercepté au-dessus de la Manche. Le second, le temps étant très nuageux, ne put repérer les feux et il partit sans pouvoir larguer son matériel et il avait été pris en chasse sous les phares des Allemands à la base de la Martinerie. À chaque fois, nous étions un certain nombre de camarades à attendre, mais la troisième fois, qui fut la bonne, nous n'étions ce jour-là que quelques-uns : Jeannot (Bizeau), Bray, Hardy, Augras (59), mon fils Pierre qui avait quinze ans. Le parachutage avait eu lieu dans la nuit du 3 au 4 juin. Le vent, sans être violent, fit déporter tous les parachutes en dehors du terrain. Ils tombèrent dans un champ de blé. Inutile de dire qu'après avoir tout replié, il était dans un drôle d'état ! Le propriétaire était un brave homme et je lui fis dire par Chéry (60) de ne prévenir personne et qu'il serait indemnisé. Il ne put tenir sa langue, mais heureusement, nous ne fûmes pas découverts. Par la suite, il comprit qu'il avait eu tort de parler, mais il ne fut pas indemnisé ! Par dessus le marché, dans le champ que nous étions obligé de traverser pour enlever les containers, il y avait des pêcheurs dans une fosse, des domestiques d'une ferme près de chez moi. Jeannot fut chargé de les avertir qu'ils ne devaient rien avoir vu, ou que cela leur créerait des ennuis. Dans la journée, un des gars qui travaillait à la ferme et qui ne m'avait pas reconnu, me raconta ce qui s'était passé dans la nuit, en précisant qu'ils avaient été menacés de mitraillette, ce qui était faux ! Il voulait avertir les gendarmes, mais je l'en ai dissuadé vivement sans lui dire qui j'étais. Nous avions camouflé les containers dans de gros buissons des environs, et les caisses de munitions dans un champ qui venait d'être labouré et où, après être enfouis dans la terre, un coup d'herse par dessus, et tout était camouflé. Roger Samson qui était souvent de passage aux Jodons, était d'une témérité qui dépassait quelquefois les besoins de sécurité. Il avait déjà été arrêté trois fois, et s'était à chaque fois évadé ! Il avait dit, connaissant la prison de Châteauroux, que, s'il était enfermé là-dedans, il n'y serait pas longtemps ; c'est pourtant ce qui lui arriva, mais impossible d'en sortir et il fut déporté. Heureusement, il eut la chance d'en revenir ! Un soir du mois de mai 1943, il arriva aux Jodons avec deux camarades de la Corrèze, dont un tout jeune. Ayant sans doute des renseignements, ils partirent le lendemain de très bonne heure en vélo à la mairie de Graçay dans le Cher afin de se procurer du matériel et des bons d'alimentation. Revenant tous les trois avec leur chargement, le jeune homme ayant crevé son vélo, les deux autres le laissèrent sur la route après lui avoir enlevé sa marchandise. Pendant la réparation, il aperçut deux gendarmes au loin. Le gars prit peur et essaya de se sauver à travers champs, mais il fut rattrapé et arrêté. Il était vraiment très jeune et vulnérable et ne résista pas aux interrogatoires et parla. Heureusement, il ne connaissait pas mon nom, ni celui de la ferme. Il indiqua bien qu'il avait couché dans une ferme près de la forêt de Châteauroux. La police chercha bien ; nous fûmes au courant par le camarade Lavaud, garde forestier qui, n'étant pas soupçonné d'être avec nous, fut souvent questionné. Par contre, il avait après son interrogatoire indiqué qu'il y avait un homme qui avait prétendu pouvoir leur rendre service, le gérant de la coopérative du Poinçonnet où il s'était arrêté en allant à Graçay. C'était un de nos bons copains, le père Delavaud, et il fut arrêté le lendemain et déporté. Il en revint mais mourut quelques années plus tard des suites de mauvais traitements en déportation. Quelques jours après, Roger fut de retour dans le secteur avec un camarade marseillais, dont je ne me rappelle plus le nom. Gillet (le commandant Jules) (61) avec la complicité de Maurice Vayer (62) et Peyrat, avait laissé un dépôt de matériel chez Augras à la Rue, où ils allèrent chercher du plastic, car ils avaient décidé de faire sauter une file de gros camions allemands stationnés à Châteauroux dans un atelier pour différentes réparations. Il y eut treize camions plastiqués dont neuf furent inutilisables. Un officier allemand avait réussi à en désamorcer quelques-uns. Aussitôt, le travail terminé, nos deux camarades n'attendirent pas plus longtemps pour se rendre à toute vitesse aux Jodons. Quelle joie quand ils entendirent les premières explosions ! Cela dura de sept heures du matin à onze heures. Personne n'avait rien vu, et paraît-il que la sentinelle, devant les remontrances de ses chefs, se serait suicidée par la suite. Pour se procurer des armes, ce n'était pas toujours facile, mais nous avions un camarade qui travaillait au parc d'artillerie de Châteauroux où se trouvaient toutes les armes récupérées par les Allemands. Ce camarade avait réussi à subtiliser un certain nombre de revolvers avec les munitions nécessaires. Avec lui, nous avions préparé un coup qui aurait été formidable s'il avait réussi ! Nous aurions eu la possibilité de récupérer des fusils-mitrailleurs, des mitrailleuses et un tas de munitions qui se trouvaient en dépôt. Gonon avait fait desceller les grillages des fenêtres, des échelles étaient prêtes, même une barque était prévue pour passer l'Indre, juste en face du parc. Des camarades de la Creuse devaient participer à ce coup de main en venant en camions et attendre route de Saint-Maur. Malheureusement, pour des raisons que nous avons mal connues, ces camarades ne furent pas au rendez-vous. En plus, l'alerte fut donnée à propos du descellage des fenêtres. Il n'était pas possible de recommencer de si tôt. Gonon fut victime de sa trop grande confiance qu'il avait vis-à-vis des autres. Un jour, ma femme avait été chez lui pour demander de trouver une chambre à Châteauroux pour Roger Samson. Elle trouva Gonon en grande discussion avec un homme qu'elle ne connaissait pas. Il lui présenta comme un résistant qui venait de s'évader de Belgique, et il était venu lui dire qu'il avait, paraît-il, appris qu'il était surveillé. Il lui demanda en plus s'il n'était pas possible de lui fournir des munitions pour un revolver qu'il possédait. Gonon n'étant pas méfiant, lui dit : « Si tu étais venu hier, j'avais un revolver et des chargeurs que j'ai donnés au garde forestier du Rio de la Motte, Lavaud. » Le lendemain, Gonon était arrêté par la Milice dont faisait partie ce fameux « résistant » ! Lavaud avait été perquisitionné et battu pour le faire avouer. Le revolver qu'ils cherchaient était tout simplement resté dans la veste du garde, le seul endroit qui ne fut pas fouillé, heureusement pour lui. Mais nous, nous avions très peur. Gonon (63) fut déporté et il n'en est jamais revenu. Aux Jodons furent hébergés des évadés des camps de concentration (64). En premier lieu, Vignals dont j'ai parlé plus haut, évadé de Saint-Paul d'Eyjaux, je crois. Puis Jules Legras, évadé des chantiers de La Rochelle, qui resta un mois pour se reposer et partit rejoindre les maquis de Dordogne (avec le Colonel Hercule Renou). Il était connu en Dordogne sous le nom de Moustache. Puis vint Pierre Berroyer, évadé du même camp où se trouvait Legrain avant son départ pour les chantiers. Berroyer était au courant que Legrain devait s'évader, et il était convenu qu'il serait averti par un code. Pierre Berroyer resta aux Jodons environ un mois pour regagner le maquis de la Creuse, où malheureusement, il fut arrêté quelques jours après, puis déporté d'où il ne revint qu'après la Libération. Comme Legrain venait assez souvent aux Jodons, il était connu et nous étions obligés de prendre des précautions pour éviter des surprises. [Suite] |
(57) Jacques Bizeau (« Jeannot ») de Chabris, né en 1925, récupère dès juin 1940 des armes abandonnées durant la débacle, agent de liaison chez les F.T.P. d'Alex dans le Nord de l'Indre en 1943, assure tout d'abord la distribution de tracts ainsi que la collecte de fonds et de vêtements pour les maquisards, puis participe à des sabotages, entre dans l'illégalité à la fin de 1943 pour appartenir au triangle départemental des F.T.P. comme responsable aux effectifs, met sur pied dans les différentes localités de l'Indre des équipes de F.T.P. statiques « légaux » prêts à entrer en action et assure leur instruction, participe au sabotage de l'usine Bloch à Déols en février 1944, réceptionne des parachutages en juin 1944, fait sauter plusieurs ponts dans le sud de l'Indre en juillet 1944 notamment le pont de Fay sur la RN 20, part pour la région d'Issoudun après l'attaque du maquis de Dampierre le 27 juillet 1944 avec Georges Bray (53) pour former trois maquis, l'un au Bois Chasseigne confié à René et Jacques Bourdier, le second à Ambrault avec Michel Bougnoux, le troisième à Neuvy-Pailloux, assure le commandement de ces groupes F.T.P. sous le nom de capitaine « Jeannot ». À noter le très jeune âge des trois responsables F.T.P. du département de l'Indre choisis à l'automne 1943, Jacques Bizeau, Roland Despains et Robert Beaudoin. L'organisation des F.T.P. dans la zone sud a été beaucoup plus lente que dans la zone nord pour plusieurs raisons : la moindre implantation du Parti, l'efficacité de la répression menée par la police vichyssoise et par conséquent le manque terrible de cadres. (58) Georges Bray (le grand « Jojo ») né en 1922 à Chabris, cuisinier, engagé puis démobilisé de l'armée d'armistice avec ses amis André Desroches et Jean Petit, forme au début de l'année 1943 avec ses deux camarades et pour échapper au S.T.O. le premier maquis de l'Indre, celui de la Taille-de-Ruines près de Dun-le-Poëlier, entre dans les F.T.P. d'Alex dans la même région, rejoint en mai 1944 « Jeannot » à la ferme de Pirot aux Jodons et participe avec lui à toutes les opérations contre l'ennemi notamment la destruction des ponts et l'organisation des maquis de la région d'Issoudun, devient le capitaine Georges, responsable technique F.T.P. du secteur d'Issoudun. (59) Augras, militant communiste du Poinçonnet et résistant F.T.P. en 1944. (60) Georges Chéry, né en 1916 en Lorraine, mobilisé et affecté en 1939-1940 à Neuvy-Pailloux, demeure dans l'Indre après la défaite, habite l'agglomération castelroussine, ouvrier à la S.N.C.A.S.O. (ou Usine Bloch) à partir de 1942, trouve le « contact » avec la résistance F.T.P. sur son lieu de travail, permet le sabotage de son usine en février 1944, rejoint le maquis de Jeu-les-Bois le 6 juin, participe ensuite au sabotage de plusieurs ponts au sein de l'équipe de Jeannot, devient membre de l'État-Major F.T.P. Indre-Sud pendant l'été 1944. (61) René Gillet, garagiste au Puy-de-Lantains dans le nord de la Creuse, militant communiste, résistant actif dès 1941 avec sa femme Paulette, institutrice à Aigueperse, rédige et distribue des tracts et des journaux, rencontre Marcel Peyrat en avril 1942 et forme des groupes F.T.P. en 1943 dans la région de La Souterraine, chef départemental des F.T.P. de la Creuse, réceptionne des parachutages et organise de nombreux sabotages sur les lignes ferroviaires en 1943, part en Dordogne pendant l'été 1943 car menacé d'arrestation et y combat sous le nom de « Michel » comme chef militaire départemental, vient dans l'Indre avec les mêmes fonctions à partir du 1er juin 1944 sous le nom de Commandant « Jules », Directeur de l'E.P.S.M. (Établissement Principal de Service du Matériel) de Châteauroux à la Libération. (62) S'agit-il de Maurice Vayer, militant communiste arrêté et emprisonné à Châteaubriant, considéré comme otage et qui parvint à s'évader ? (Le secrétaire à l'organisation du P.C.F. dans l'Indre en 1945 s'appelle en effet Maurice Vayert.) Ou bien alors de Raymond Vayer, né en 1909 au Mans dans la Sarthe, résistant actif, électricien à Châteauroux en 1945 et candidat communiste aux élections de septembre 1945 dans le canton de Saint-Benoît-du-Sault ? (63) Maurice Gonon, ouvrier-ajusteur à l'E.P.S.M. de Châteauroux, arrêté à son domicile castelroussin le 4 avril 1944 par la Gestapo et mort en déportation. (64) Il s'agit des camps d'internement administratif ou des camps de travail pour prisonniers gérés par le Gouvernement de Vichy. Les conditions de vie y étaient extrêmement dures mais ne peuvent être comparées avec celles des camps de concentration nazis. |
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