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Sommaire des mémoires de Georges Pirot
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En 1939, remobilisé...

La débâcle et la résistance

Les parachutages

Le maquis de Jeu-les-Bois

Les mémoires de Georges Pirot

Notes de Jean-Louis Laubry

En 1939, remobilisé...

En 1939, j'avais décidé avec ma femme de chercher une exploitation plus grande, mais je reçus ma feuille de mobilisation avant d'avoir trouvé l'exploitation. Mobilisé donc au 3e d'aviation de chasse à la Martinerie (1), je me suis retrouvé avec un ancien camarade du 68e où nous étions en 1917 (2). C'était aussi le début où certains de nos camarades étaient arrêtés et déportés en Algérie, comme par exemple Pierre Gaultier (3) et bien d'autres (4).

À la Martinerie, plusieurs camarades et moi-même fûmes envoyés à la défense de l'usine de Déols (5) où il y avait comme directeur Marcel Bloch devenu Marcel Dassault. J'étais aux mitrailleuses et en dehors des positions sur les tourelles de l'usine ; à chaque instant, les officiers nous faisaient installer des nouveaux postes de mitrailleuses. Un soir que nous étions de service à l'intérieur de l'usine, nous chantâmes l'Internationale (6). Mais personne ne chercha à savoir lesquels avaient fait cela, malgré les mouchards. De toute façon, la discipline était difficile à appliquer avec des « vieux » comme nous. Je me souviens qu'un jour un « blanc-bec » sous-officier voulait me faire mettre au garde-à-vous. Je n'avais pas accepté et il me dit « pour vous dresser, on va vous envoyer où ça fume ! » Je lui répondis que j'avais déjà eu l'occasion d'y aller et que ce serait plus logique que ce soit lui qui en fasse un peu l'expérience.

J'étais en contact avec les camarades du Parti à Châteauroux, et un jour j'appris que le camarade Galatoire (7), directeur de la coopérative, était surveillé. Comme il avait sous sa responsabilité une grande partie des documents du Parti et d'autres organisations dont l'A.R.A.C. (8), je lui ai proposé d'enlever cela sans attendre. C'est ce que nous fîmes le soir même. Le lendemain, Galatoire était arrêté (9). Il fut bien questionné pour savoir qui était le militaire qu'ils avaient vu la veille, mais comme ils ne me connaissaient pas, ils arrêtèrent les recherches, et les documents étaient en sûreté, du moins provisoirement. Par la suite, j'en avais emmené une pleine caisse chez mes parents dans un grenier. Mais mon père se méfiait de plus en plus et cacha la caisse dans la terre. Je ne l'ai su que longtemps après et beaucoup de documents étaient inutilisables. Il y avait quelques livres sur le socialisme et j'ai beaucoup regretté leur perte !

Chez moi, j'avais reçu l'ordre de détruire une grande partie des documents. Avec l'ami Legrain (10), on tria cela et on en fit brûler toute une nuit dans la cheminée. En effet, il y avait beaucoup d'adresses de camarades et, craignant une perquisition, il était prudent d'agir ainsi.

Ce fut l'époque qui suivit le pacte germano-soviétique (11), dont on se servit pour insulter le Parti communiste. En plus, plusieurs communistes n'avaient pas compris et abandonnèrent le Parti (12). Cela amena de l'eau au moulin de nos adversaires.

Je me souviens que tout le monde se posait la question à savoir, si oui ou non, nous aurions la guerre. Nous étions alors à la machine à battre dans un domaine près de chez moi et le propriétaire voisin disait ses inquiétudes sur la guerre, mais si elle avait lieu, Hitler, qu'il appelait « le petit caporal », serait balayé comme une plume.

Après l'abandon de la Tchécoslovaquie par Daladier (13) et Chamberlain (14), le voilà qui revient le lendemain nous disant qu'il était heureux de nous apprendre qu'il n'y aurait pas la guerre (15). Il rajouta que les socialistes et les communistes devaient être vexés car ils l'attendaient avec impatience cette guerre pour faire leur révolution ! Je ne pus m'empêcher de lui répondre que la majorité des adeptes de ces deux partis était composée d'ouvriers et de paysans, que c'étaient eux qu'on envoyait à la boucherie, et que par conséquent ils n'avaient pas intérêt à faire la guerre ! Je rajoutai : « En effet, dans les tranchées, en 14-18 on rencontrait très rarement des P.D.G. et des multimillionnaires (16) ! »

Il comprit tout de suite à quel bord j'appartenais, et me répondit : « Je suppose que vous lisez probablement l'Humanité ou le Populaire (17), mais on vous bourre le crâne ! - Pardon, je ne vous demande pas, moi, si vous lisez le Figaro ou l'Action Française (18)! » Il s'était mis dans une colère folle et il fallut que sa femme le ramène au calme [...].

Pour les militants, il faut bien le dire, le pacte germano-soviétique nous a gênés quand même pendant un certain temps (19). On avait beau apporter toutes les explications que l'on pouvait, ce n'était pas si simple de convaincre les autres, avec ce que l'on appelait « le disque tournant (20) ». Envoyé en permission agricole au début février, j'oubliais bien de réintégrer la base de Déols où j'aurais risqué comme beaucoup d'être ramassé par les boches !

[
Suite]
(1) Située sur le territoire de la commune de Châteauroux, la Martinerie était une base aérienne avec un terrain d'aviation et une D.C.A.
(2) Georges Pirot fut incorporé en avril 1917 au 68e régiment d'infanterie à la caserne Bordessoules de Châteauroux avant d'être versé en avril 1918 dans un régiment du front.
(3) Pierre Gaultier (1900-1961), militant syndicaliste et politique, employé de commerce, secrétaire du rayon communiste de Châteauroux (1925-26, 1931-32), candidat du P.C. dans la circonscription du Blanc aux élections législatives d'avril 1936 (7,6 % des voix), secrétaire adjoint de l'union départementale C.G.T. (1936-39, 1945-46), arrêté le 16 décembre 1940 et interné dans différents camps notamment en Algérie à Maison Carrée, membre du Comité Départemental de Libération (C.D.L.) de l'Indre à son retour d'Algérie à l'automne 1944, maire de Châteauroux (1945-47), conseiller général de Châteauroux (1945-49), enfin secrétaire général de l'U.D.- C.G.T. (1951-1961).
(4) Après la déclaration de guerre, le gouvernement républicain de Daladier rédige le décret-loi du 18 novembre 1939 qui lui permet d'interner dans des « centres » et sur simple décision administrative les individus « dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Cette mesure vise en particulier les étrangers et les communistes.
(5) Usine de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Ouest (S.N.C.A.S.O.) à Déols.
(6) Chanson révolutionnaire composée en France à la fin du XIXe siècle, l'Internationale était en 1939 non seulement l'hymne international des partis socialistes et communistes mais aussi l'hymne national soviétique.
(7) Maurice Galatoire (1890-1940), militant socialiste puis communiste après le Congrès de Tours (1920), directeur de la Coopérative des travailleurs de Châteauroux (1927-39), candidat communiste aux élections législatives complémentaires du 30 novembre 1928 dans la circonscription d'Issoudun (14,8 % des voix contre 21,3 % au communiste Aurin en mai 1928), écarté des responsabilités politiques après un conflit avec Albert Dugénit à partir de 1937, arrêté en décembre 1939 à Châteauroux avec Guichard, sous-directeur de la Coopérative, pour rédaction et impression de tracts contre la guerre, libéré par l'arrivée des Allemands en juin 1940, « mort d'épuisement à Jeu-les-Bois » d'après L'Emancipateur de l'Indre , hebdomadaire du Parti à la Libération.
(8) A.R.A.C. ou Association Républicaine des Anciens Combattants fondée par Henri Barbusse et proche des partis de gauche notamment du P.C.F.
(9) Ce fait se situe en décembre 1939.
(10) Jules Legrain (1897-1971), militant socialiste puis communiste dans la Nièvre, mécanicien ajusteur à la Manufacture des Tabacs à Châteauroux à partir de 1931, candidat pour le P.C. à de nombreuses élections notamment les élections législatives d'avril 1936 dans la 2e circonscription de Châteauroux (9,6 % des voix), arrêté en septembre 1941 puis libéré, arrêté une seconde fois en avril 1943, maquisard dans l'Indre et en Dordogne après son évasion d'octobre 1943, membre du Comité départemental de Libération (C.D.L.) de l'Indre, adjoint au maire de Châteauroux (1945-1959).
(11) Pacte de non-agression du 23 août 1939 entre l'Allemagne hitlérienne et l'U.R.S.S. de Staline qui précède d'une semaine le déclenchement de la seconde guerre mondiale en Europe. Un article secret du traité prévoit le partage de la Pologne entre les deux signataires, partage qui devient effectif en septembre 1939. En outre, les deux États collaborent sur le plan économique et commercial jusqu'en juin 1941.
(12) L'un des cas les plus célèbres est celui de l'écrivain Paul Nizan. À la Chambre des Députés, 21 réprésentants du peuple avec à leur tête, le n°3 du P.C.F. Marcel Gitton, désavouent le Pacte germano-soviétique, démissionnent du Parti et constituent le groupe de l'Union Populaire Française. Un assez grand nombre de maires communistes de la banlieue parisienne quittent également le Parti à l'automne 1939.Une partie de ces « rénégats » rejoindront durant l'occupation le camp de la collaboration, notamment le P.P.F. de Jacques Doriot, lui aussi ancien communiste.
(13) Edouard Daladier (1884-1970), dirigeant du parti radical-socialiste et député du Vaucluse, était Président du Conseil depuis le 9 avril 1938. Il dirige bientôt le pays avec une majorité de droite après avoir été ministre du Front Populaire de 1936 à 1938. Il demeure chef du gouvernement français jusqu'au 20 mars 1940 et reste ministre de la Défense Nationale dans le cabinet Reynaud qui lui succède.
(14) Neville Chamberlain (1869-1940), Premier Ministre convervateur du Royaume-Uni de 1937 à mai 1940, partisan jusqu'en 1939 de la politique d' « apaisement » vis-à-vis de l'Allemagne hitlérienne.
(15) Les Accords de Munich signés par la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie à la fin de septembre 1938 donnent entière satisfaction aux revendications d'Hitler sur le territoire tchécoslovaque des Sudètes. La principal intéressée, la Tchécoslovaquie, n'est même pas conviée aux négociations. Cet État démocratique et industriel était pourtant allié à la France. La Wehrmacht occupe le reste du pays en mars 1939. Autre puissance écartée de la conférence : L'U.R.S.S., fait qui permet de comprendre en partie l'attitude de Staline à l'égard des démocraties libérales en août 1939.
(16) Cette discussion fait clairement apparaître non seulement la cécité de beaucoup de Français devant les vrais enjeux mais aussi l'affaiblissement du sentiment national et les préjugés qui divisent et opposent les classes sociales en France de 1936 à 1939. Certains nationalistes iront jusqu'à affirmer : « Plutôt Hitler que le Front Populaire ! »
(17) Journaux quotidiens, respectivement tribunes officielles du P.C.F. et de la S.F.I.O.
(18) Journaux quotidiens, respectivement de la droite républicaine et de l'extrême-droite nationaliste et monarchiste.
(19) Le 26 août 1939, alors que le P.C.F. refuse de désavouer le Pacte germano-soviétique, le Président du Conseil Edouard Daladier interdit la presse du Parti. À l'occasion de l'attaque de la Wehrmacht contre la Pologne, le 1er septembre, les dirigeants communistes français conservent une attitude patriotique, les parlementaires votant les crédits militaires. Mais l'entrée de l'Armée Rouge en Pologne (le 17) amène Daladier à dissoudre et à interdir le P.C.F. à la date du 26 septembre. Un autre décret autorise la suspension des conseillers généraux, maires et conseillers municipaux communistes. Les dirigeants restés fidèles au Parti entrent définitivement dans la clandestinité. Désormais, la consigne n'est plus de pousser à l'action contre Hitler mais de « lutter contre la guerre impérialiste, pour la paix et contre le gouvernement Daladier » (Thorez, principal dirigeant du P.C.F.). Les distributeurs de tracts sont poursuivis et certains militants internés. En raison des opérations de mobilisation, des arrestations et des démissions qui se multiplient, le Parti est totalement atomisé et désorganisé. Enfin, le 16 janvier 1940, une loi prononce la déchéance du mandat parlementaire de tous les députés communistes.
(20) L'expression « disque tournant » désigne le projet que les militants communistes croient identifier chez les démocraties libérales à savoir détourner les ambitions d'Hitler vers l'Est contre une U.R.S.S. déjà tenue à l'écart lors de la Conférence de Munich.

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